Au Crève-Coeur, les portes claquent dans la "Comédie des erreurs" de Shakespeare

Plaute, ce Latin malin, avait imaginé des frères jumeaux jetés dans une suite de quiproquos: ses "Ménechmes" ont bien fait rire les Romains et… William Shakespeare, quelques siècles plus tard. Jeune dramaturge, l’Anglais chipe l’idée en 1594 et double la mise. Dans sa "Comédie des erreurs", pièce de jeunesse, ce ne sont plus deux jumeaux, mais quatre, emportés par une avalanche de méprises plus cocasses les unes que les autres.

"La comédie des erreurs" est une pièce d’action. On y court dans tous les sens car le temps presse pour réparer les bourdes causées par cette valse de faux-semblants. Qui est qui? Les personnages ne s’y retrouvent plus et le public rit quand l’un gifle l’autre qui n’en pouvait rien et que l’autre rosse le premier qui n’y comprend rien non plus.

A la manière d'une pièce de boulevard

Sur la scène du mimi Théâtre du Crève-Cœur de Cologny, voici une suite de cabines de paquebot. Autant d’ouvertures bien pratiques pour faire disparaître et apparaître les jumeaux. Autant de portes qui vont claquer à la manière d’une pièce de boulevard. Les tenues sont estivales, colorées, façon Saint-Tropez des années yé-yé. Shakespeare toujours à la page se retrouve ici à la plage. Pourquoi pas: dans le texte, la comédie se passe à Ephèse (en Turquie actuelle, à deux pas de la station balnéaire de Bodrum) et l’on sent bien que cette localisation exotique n’est pour William Shakespeare qu’un pur amusement.

L’histoire: suite à un naufrage digne des contes de Sindbad le marin, un marchand et son épouse se retrouvent séparés, l’un sauvé par un bateau de Corinthe, l’autre par une galère d’Ephèse. Avec eux, il y avait quatre enfants. Leurs jumeaux de fils et d’autres jumeaux destinés à leur service. Chaque duo de juniors futur maître et futur valet est lui aussi recueilli par des sauveteurs différents.

Vous suivez? Tout ce joli monde qui ignore l’existence de l’autre va se retrouver quelques années plus tard dans le port d’Ephèse. Antipholus de Syracuse et son valet Dromio, sont des gens plutôt réglo. Alors que Antipholus d’Ephèse et son propre valet Dromio s’avèrent de sacrés noceurs au grand dam d’Adriana, l’épouse, et de Luciana, sa sœur. Vous suivez toujours? Il faut bien admettre que baptiser du même prénom des jumeaux est assez tordu de la part de Shakespeare.

Chacun cherche son double

Revenons sur la lilliputienne scène du Crève-Cœur. Pour mieux agiter cette farce de la confusion, le metteur en scène Eric Devanthéry limite sa distribution à cinq artistes. Nadim Ahmed campe des Dromio délicieusement irrévérencieux dans la lignée des Scapin et autres Sganarelle de Molière. Charles Mouron joue un Antipholus droit ou libertin selon qu’il est de Syracuse ou d’Ephèse. Rachel Gordy et Léonie Keller interprètent qui l’épouse jalouse qui la sœur célibataire. Et Verena Lopes se charge de tout le reste: maman devenue nonne, papa condamné à mort, orfèvre soucieux de récupérer ses gains ou encore geôlier et courtisane.

Comment s’y retrouver dans ce tourbillon? A chaque entrée de personnage, un haut-parleur annonce l’identité du quidam. Ouf, on suit sans peine et on rit de voir ce quintet courir après son double. N’allez pas chercher dans cette "Comédie des erreurs", les noirceurs de "Hamlet" ou les mystères du "Songe d’une nuit d’été", ici, le principal personnage et seul argument, c’est le jeu. Rondement mené.

Thierry Sartoretti/aq

"La comédie des erreurs", Théâtre du Crève-Cœur, Cologny (GE), jusqu’au 15 octobre 2023. Puis Alambic, Martigny (VS), le 29 février 2024.