Sept petits contes cruels dans "Les immuables" de Guy Y. Chevalley

C’est avant toute chose à des personnages imaginaires que l’auteur Guy Y. Chevalley a souhaité donner naissance dans "Les immuables". Des héros et héroïnes aux profils et situations divers.

Au fil des pages, nous découvrons une écrivaine d’âge mûr retranchée sur une île italienne pour échapper à son éditrice, trois jeunes hommes voyageant ensemble façon routards pour resserrer les liens, une comédienne obsédée par l’idée de rompre avec son fiancé alors qu’elle est en séjour vénitien avec lui, un héritier qui prend la place de son aïeule dans l’appartement qu’elle lui a légué, un veuf donnant des notes aux femmes qu’il croise et qui s’apprête à faire la connaissance de la petite amie de son fils, un dandy évoluant en dilettante dans une Morges aux charmes indélébiles et bourgeois, une femme seule mais pas seule parce qu’enceinte qui attend la visite de son amie qu’elle préférerait ne pas attendre.

Chacun de ces caractères s’inscrit et évolue dans un moment de son existence où point la possibilité d’un changement, d’une modification de sa condition, ou simplement d'une mise en mouvement, d'une variation de sa nature.

Ce ne sont pas des nouvelles à chute au sens classique, mais plutôt des nouvelles d’atmosphère, même s’il y a quand même un arc narratif qui se referme à la fin de chacune.

Une chute en forme de coup de théâtre

A chaque fois différent, le cadre des récits joue en permanence avec les protagonistes, et parfois les dénouements s’apparentent à des coups de théâtre. Ainsi, la nouvelle "Sexe, vitesse, lumière" met en scène trois protagonistes sur la banquette d’un resto-bar dans une ville semi-déserte, dévorant d’énormes burgers-frites; mais c’est le décor d’un compartiment de train de nuit, occupé par un quatrième personnage inattendu, qui va mettre en exergue l’équilibre fragile du trio de baroudeurs.

Si les nouvelles des "Immuables" rompent avec les abondants récits d’autofiction dont l’auteur avoue être un peu lassé, les personnages de l'écrivain genevois Guy Y. Chevalley pratiquent néanmoins intensément l’introspection.

En plus de s’exprimer à la première personne, ils posent sur eux-mêmes cet œil lucide, souligné par le titre de la première nouvelle: "Le prix d’un regard sans concession". Une clairvoyance qui nous les rend instantanément sympathiques et proches, et qui participe pleinement à l’humour que dégage la lecture du recueil.

Je n’aime pas interférer dans le cours des événements. Cette forme de lâcheté qu’on m’a souvent reprochée, est l’une des conditions qui rendent mon travail possible: je ne peux pas en même temps prendre note et agir.

Observation fine

A l’image de leur auteur, les personnages des "Immuables" sont de fins observateurs. Ils scrutent le monde, la nature et la condition humaine, ainsi que le rapport qu’ils entretiennent avec eux, tout autant qu’avec leurs congénères. Aucun n’est dupe de ses propres manquements et failles. L’auteur nous rappelle aussi que chacune et chacun d’entre nous est tributaire de rapports de force dont il ou elle n’est qu’à moitié responsable, et au maintien desquels nous participons pourtant.

Autrement dit, pour faire honneur aux écrits de fiction, mais également pour faire bouger les lignes, il faut de toute urgence ouvrir le recueil "Les immuables" et se délecter du miroir qu’il nous tend, en espérant ensuite pouvoir peut-être nous délester d’une mue dont la perte pourrait s’avérer salvatrice, en premier lieu pour nous-mêmes, et pourquoi pas ensuite, pour les autres.

Céline O’Clin/mh

Guy Y. Chevalley "Les immuables", éditions d’autre part, 2023.

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