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"Si Beale Street pouvait parler" et si l'amour pouvait sauver

Stephan James et Kiki Layne dans le film "Si Beale pouvait parler". [Tatum Mangus Annapurna Pictures DCM]
Stephan James et Kiki Layne dans le film "Si Beale pouvait parler". - [Tatum Mangus Annapurna Pictures DCM]
Oscarisé pour "Moonlight", le cinéaste Barry Jenkins adapte un roman de James Baldwin et raconte la condition afro-américaine à travers une histoire d’amour contrariée par le racisme.

En 2017, le réalisateur afro-américain Barry Jenkins remportait, à la surprise générale, l’Oscar du meilleur film pour "Moonlight": le récit, en trois étapes, d’un Noir de Miami qui allait assumer son homosexualité.

Devenu, du jour au lendemain, un cinéaste à la mode, Jenkins a pu concrétiser un projet qui lui tenait à cœur depuis cinq ans: adapter "Si Beale Street pouvait parler", roman de James Baldwin déjà librement porté à l’écran en 1998 par Robert Guédiguian.

Nous sommes à Harlem, dans les années 1970. Tish a 19 ans et aime depuis toujours Fonny, un jeune sculpteur. Elle tombe enceinte de lui. Ils décident de se marier et de trouver un logement. Mais entre les remontrances de la mère de Tish et les difficultés à trouver un appartement quand on est un couple noir, l’affaire s’avère épineuse. Elle devient tragique lorsque Fonny est emprisonné, accusé du viol d’une jeune Portoricaine.

Un sens du romanesque

Portée par ses amants maudits, la mise en scène de Barry Jenkins élève le film au rang de poème, guettant les éclats de lumière au sein d’un monde qui aspire ses héros dans les ténèbres. Le résultat, d’une beauté esthétique inouïe, s’écarte du récit linéaire et impressionne par son sens du romanesque. On pense par moment au cinéma impressionniste et envoûtant de Wong Kar-wai, réalisateur adulé par Barry Jenkins à qui il emprunte sa liberté narrative, son goût du contemplatif, et sa virtuosité formelle.

Un couple pour dire le monde

S’affirmant avant tout comme une histoire d’amour, "Si Beale Street pouvait parler" résonne tout de même avec le contexte politique et social des Etats-Unis, d’hier et d’aujourd’hui. Violence policière, incarcération arbitraire, justice partiale, préjugés raciaux: les oppressions multiples n’ont pour ainsi dire pas changé et continuent à écraser une communauté entière. Par instants, Barry Jenkins rappelle d’ailleurs, à travers des images d’archives, la condition des Afro-américains qui se retrouve incarnée dans le couple central du film.

Même si l’on pourra reprocher à "Si Beale Street pouvait parler" de réduire ses deux personnages principaux à de purs emblèmes, des figures en peu figées dans ce qu’elles sont censées exprimer, on ne peut qu’être bouleversé par la manière singulière avec laquelle Jenkins rattache le destin de ces amants à celui de tout un peuple.

Rafael Wolf/aq

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