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L'empreinte d'Alain Berset dans la sphère culturelle suisse

Alain Berset au Festival de Locarno le 4 août 2021. [Keystone - Urs Flueeler]
Emission spéciale Alain Berset / Vertigo / 27 min. / le 21 juin 2023
Chef du Département de l'intérieur, Alain Berset a annoncé mercredi qu'il quitterait ses fonctions gouvernementales en décembre. En compagnie de quatre représentants du monde de la culture, premier bilan des onze années que le conseiller fédéral a passées à la tête du dicastère culturel.

Pour informer de son prochain départ, Alain Berset a choisi le 21 juin, jour de la Fête de la musique. Et ce n'est sans doute pas tout à fait un hasard pour le conseiller fédéral en charge, entre autres, de la culture. Mélomane, il s'est même fendu d'un extrait de "Should I Stay or Should I Go" des Clash pour annoncer cette nouvelle sur son compte Instagram.

Fan de jazz, bon pianiste et improvisateur, Alain Berset a suivi à Fribourg des cours avec le musicien Christophe Tiberghien. "Lors de sa nomination, j'avais trouvé que c'était une excellente nouvelle qu'un passionné de musique et des arts prenne la tête de la culture", se souvient son ancien professeur. "Quant au bilan de son parcours politique par contre, c'est compliqué de répondre pour moi qui le perçoit davantage comme un artiste. Mais je pense que la Suisse a profité de sa gouvernance tant au sein du pays qu'à l'étranger".

>> A voir: Alain Berset improvise un blues au piano lors d'une réception donnée en son honneur à Fribourg en 2011 :

Séquences choisies - Le conseiller fédéral pianiste
Séquences choisies - Le conseiller fédéral pianiste / L'actu en vidéo / 58 sec. / le 23 décembre 2011

Un ministre présent et proche du milieu culturel

Lors de sa conférence de presse mercredi, Alain Berset s'est en tout cas félicité dans son bilan de l'accès à la musique pour les jeunes ou d'avancements dans le domaine de la culture du bâti. Reste que ce qui saute surtout aux yeux, c'est sa présence active et régulière lors de nombreux événements et manifestations culturelles, que ça soit les principaux festivals, comme Montreux, Paléo, Soleure, Zurich ou Locarno, mais aussi les remises des Prix suisses de la musique, de la scène ou du cinéma. Présent partout, on pouvait le voir aussi bien à l'inauguration du Pavillon suisse lors des Biennales d'art contemporain de Venise qu'à la cérémonie officielle de la Fête du yodel, comme ce fut le cas le week-end dernier à Zoug. Le conseiller fédéral a réussi à personnaliser la culture et à être proche de ses représentants et artistes.

"Ses prédécesseurs n'ont pas incarné le thème de la culture de la même manière qu'Alain Berset. Il faut lui reconnaître cette originalité d'avoir été présent, d'avoir souvent pris la parole dans toutes les disciplines qui avaient un lien étroit avec les domaines artistiques couverts par l'Office fédéral de la culture", estime Anne Bisang, directrice du Théâtre populaire romand (TPR) à La Chaux-de-Fonds, interrogée par la RTS.

"Alain Berset a toujours été très présent. Il restait pour discuter avec les gens de la profession et les cinéastes dans les festivals ou pour les Prix du cinéma suisse. Il a ainsi imposé sa marque, avec des contacts directs", confirme Frédéric Maire, directeur de la Cinémathèque suisse.

De son côté Thierry Spicher, producteur et distributeur dans le milieu du cinéma, se montre plus nuancé: "C'est un homme de communication. Il était très présent pour qu'on parle de lui. Je suis plus sceptique sur son impact politique réel". Et il ne mâche pas ses mots au moment de faire un premier bilan de la politique culturelle des années Berset en évoquant la "juridicisation, technicisation et la fin de la politique culturelle".

Loi sur la culture, nomination d'Isabelle Chassot et Lex Netflix

Parmi les bons points à mettre à l'actif du conseiller fédéral, le musicien et enseignant Christophe Tiberghien relève la réalisation et la mise en place de la Loi sur l'encouragement à la culture, acceptée par le peuple suisse en 2022. Une loi qui, selon lui, "permet de dégager des moyens financiers pour l'enseignement et pour l'accès à la culture pour tout un chacun en Suisse".

De son côté, Anne Bisang souligne l'importance pour les arts vivants de la nomination d'Isabelle Chassot au poste de directrice de l'Office fédéral de la culture en 2013. Une femme décrite par la directrice du TPR comme "très sensible au théâtre, à la musique et aux arts vivants". Elle estime que cela a donné de la visibilité aux arts vivants, par exemple avec la création des Prix suisses de la scène en 2021.

Frédéric Maire relève quant à lui l'appui "extrêmement solide et sérieux pour le développement de la Cinémathèque suisse" de la part du département durant le mandat du conseiller fédéral. Il cite également la Lex Netflix, acceptée par le peuple en 2022 qui, "même si c'est un tout petit ballon, amène un ballon d'air dans le milieu du cinéma. On en voit déjà les résultats aujourd'hui en termes de production".

>> A lire : Oui à la "Lex Netflix", les plateformes de streaming devront investir en Suisse

La gestion compliquée de la période Covid

Durant la période de la pandémie du Covid, ponctuée de fermetures de lieux culturels ou d'ouvertures partielles et avec des contraintes (vaccination, tests obligatoires), des voix se sont élevées pour dire leur déception face au manque de soutien et à la non-prise en compte du statut des artistes de la part du Conseil fédéral et d'Alain Berset en particulier. Le conseiller fédéral avait adressé une lettre aussi empathique que remarquée aux milieux culturels. Il indiquait ressentir leur "très grand sentiment d’injustice" tout en les appelant "à innover".

"Par rapport à la situation mondiale, ce qui s'est passé en Suisse est assez remarquable", estime toutefois le musicien Christophe Tiberghien. De son côté, Anne Bisang se rappelle avoir été suspendue aux décisions annoncées par Alain Berset lors des conférences de presse du mercredi. Une période très compliquée où le lien entre le conseiller fédéral et les artistes était "tendu, orageux même". Anne Bisang regrette surtout le fait que le politicien ait associé culture et loisirs durant ces conférences de presse, "ce qui pouvait, dans la tête des gens, faire penser que la culture était quelque chose de superflu. Des éléments de langage qu'elle a trouvés "terribles" et "cruels" et qui "auraient pu porter préjudice à l'image de ce que font les artistes".

Et si elle salue tout de même les mesures prises pour soutenir le milieu durant cette période, elle n'est pas sûre qu'Alain Berset ait réussi à faire passer le message que les artistes "ne sont pas des assistés, mais qu'ils apportent quelque chose d'essentiel à la construction d'une démocratie. Ça, on l'a malheureusement pas entendu".

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Quelle politique culturelle pour la suite?

Pour la suite, Anne Bisang attend toujours une vraie politique culturelle en Suisse. "Je rêve bien sûr qu'un département porte le nom 'culture' dans son titre. (...) Et j'espère vraiment que le projet comme "La Chaux-de-Fonds, capitale culturelle suisse", soutenu dans le message culture actuellement en consultation, puisse voir le jour, car cela permettrait de poser la question de la culture au centre du débat politique".

Frédéric Maire espère que la future politique culturelle en Suisse permettra de continuer à développer la Cinémathèque, mais aussi toutes les institutions culturelles. "Et c'est là toute la difficulté. Ce n'est pas le problème du conseiller fédéral, mais de l'état fédéral dans lequel nous vivons où la culture est la dernière roue du carrosse. (...). On est dans un pays où la visibilisation de la culture à travers l'un de ses ministres est quelque chose de central pour faire comprendre l'importance de la culture. Alain Berset l'a bien réussie et j'espère que son successeur ou sa successeuse pourra continuer dans cette ligne-là".

Thierry Spicher propose pour sa part de profiter du départ d'Alain Berset pour faire sortir la culture du Département de l'intérieur et de la transférer au Département de l'économie, de la formation et de la recherche où elle aurait davantage sa place.

>> A écouter aussi: l'interview d’Alain Berset à propos du message culture 2025-2028, présenté par le Conseil fédéral le 9 juin 2023 :

Le président de la Confédération Alain Berset. [Keystone - Gabriel Monnet]Keystone - Gabriel Monnet
Le CF veut réorienter sa politique en faveur de la culture sans augmenter les moyens: interview d’Alain Berset / Forum / 7 min. / le 9 juin 2023

Propos recueillis par Anne Laure Gannac

Adaptation web: Andréanne Quartier-la-Tente, Olivier Horner

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