En Suisse, la prostitution n'est plus hors-la-loi, pour autant qu'il n'y ait pas de contrainte. Résultat : la profession de proxénète est devenue quasi honorable et le nombre de salons de massages a explosé. Mais fini le maquereau bardé de tatouages qui relève les compteurs et distribue les claques. Aujourd'hui, les patrons de bordels y investissent leurs caisses de pension et gèrent leur lupanar comme une PME. Pour Swisscom, la presse écrite et les régies publicitaires, l'argent du sexe est également une aubaine à ne pas dédaigner.
Depuis 1992, date à laquelle la loi a cessé de poursuivre la « vente » de services sexuels entre adultes consentants, le délit de proxénétisme est tombé en désuétude. C'est à peine si l'on compte 5 condamnations par an. Ce reportage nous présente comment cette libéralisation a attiré de nouvelles vocations et permis l'incroyable développement d'un véritable business du sexe. En toute légalité.
Direction Lausanne. Gilles a flairé le bon coup au détour d'une conversation de bistrot : « …ce serait bien de voir la fille avant… ». Sex4you était né. En quelques mois, ce mensuel et son pendant sur Internet sont propulsés au rang de « guide romand du sexe » où s'affichent les filles de joie et les salons de massages. Salons de taille modeste, tel celui de Marc-Henri, qui s'est lancé à 57 ans en prenant une part de sa caisse de pension, ou celui de Milena, qui exerce le métier de prostituée depuis 30 ans et qui vient d'ouvrir boutique dans le quartier des Banques à Genève. Mais de plus gros salons ont également vu le jour. Thierry a ainsi monté une véritable start-up du sexe. Son salon est une incontestable entreprise commerciale, avec des objectifs de « vente » et une vraie approche marketing : promotions, bonus pour les filles les plus rentables : tout y est. Enfin, cap sur Lucerne pour visiter le « Zeus », le lieu de rencontre ultra-chic des échangistes de la jet-set alémanique. Son patron, Olivier, a quitté le Crédit Suisse pour ouvrir « un Club Med du sexe ». Avec des résultats commerciaux à faire pâlir ses anciens collègues.
Une autre voie lucrative et exclusive est celle de l'Escort-Girl. Cette fille de luxe que les gens fortunés ne paient plus à la prestation, mais à un coquet tarif horaire. On assiste même à un véritable entretien d'embauche dans cette agence spécialisée, dont le patron a quitté la France où le proxénétisme est condamné, pour exercer une profitable activité en toute légalité cette fois-ci.
Mais la vraie révolution, ce sont les retombées de ce secteur d'activité qui se discutent aujourd'hui dans les plus hautes sphères des grandes entreprises. C'est notamment un fantastique marché pour les annonceurs, puisque les petites annonces coquines représentent entre 8 et 9 millions de francs par an pour un groupe comme Publicitas. Soit une véritable aubaine pour un secteur touché de plein fouet par le recul des recettes publicitaires.
Chez Bluewin, le fournisseur d'accès internet de Swisscom, dont la Confédération est actionnaire à 65%, le sexe est carrément entré au cœur de la stratégie d'affaires. En signant un partenariat avec le géant érotique allemand Beate Uhse, Bluewin a réussi à positionner son offre coquine au premier rang de ses services en Suisse romande, devant l'information et le cinéma. Et si l'opérateur se refuse à divulguer ses marges, son partenaire assure que « ce partenariat est très bon pour le business ».
Avec la « libéralisation » du sexe, en un peu plus de 10 ans, une activité jusqu'ici marginale a été transformée en véritable offre de service. Et si la condition humaine des filles a peu évolué dans le fond, salons, médias et entreprises se taillent désormais la part du lion.