A la Orson Welles
En 1971, la productrice Marlène Belilos décide de traiter le thème de la science-fiction dans son émission culturelle Correspondances. Le rédacteur en chef de La Gazette littéraire Franck Jotterand lui souffle une idée folle: pourquoi ne pas tester la croyance des téléspectateurs dans la vie extraterrestre? Les compères vont s’inspirer du célèbre canular radiophonique d’Orson Welles qui en 1938 jeta une partie de l’Amérique dans la panique. Ils construisent un scénario habilement orchestré qui tiendra en haleine durant plus d’une heure des téléspectateurs partagés entre incrédulité et stupéfaction.
L’atelier de décoration de la TSR imagina une soucoupe en Sagex. Une compagnie de pompiers fut convoquée pour empêche les curieux de s'approcher du lieu avant l'émission. Le plus dur fut de garder le secret.
Breaking news
La mise en place du canular exigea une organisation complexe au sein des équipes de la TSR. Tout commence à 20h30, ce 22 juin 1971: la speakerine Lyliam prend l'antenne pour annoncer au public romand qu'un objet non identifié vient de se poser à Aire-la-Ville.
Effet de réel
Sur le plateau, on retrouve Marlène Belilos et son complice Franck Jotterand. Images bougées, entrées de son aléatoires, bafouillages : tout nous fait croire que l'on travaille dans la précipitation. Pour renforcer l'effet de réel, on appelle sur le plateau un éminent scientifique du CERN. Une équipe de télévision, conduite par le journaliste François Enderlin, se rend sur les lieux.
Le standard téléphonique de la TSR explose. Plusieurs centaines de Genevois affluent sur le lieu supposé de l'atterrissage. Les premières images parviennent enfin aux téléspectateurs. On identifie peu à peu ce qui apparaît bien comme un vaisseau spatial.
Reportages plus vrais que nature
Durant l'émission, des reportages viennent encore brouiller les pistes. On donne notamment la parole à des personnes disant avoir été témoins de manifestations extraterrestres dans la région genevoise.
Rencontre du 3e type
L'ambiance est de plus en plus agitée à Aire-la-Ville. Elle devient carrément survoltée lorsqu'un courageux pompier en combinaison de protection s'approche de la soucoupe spatiale, d'où commencent à émerger des signes de vie.
Succès
Le canular imaginé par Marlène Belilos et Franck Jotterand fut un succès. L'ancienne productrice se souvient : "Les taux d'audience ont explosé. Les chaînes françaises, qui diffusaient des feuilletons d'habitude bien suivis, furent désertées." A part la déception que durent digérer ceux qui crurent vivre en direct la première rencontre du 3e type, tout se termina dans la bonne humeur.
Hier soir, on a bien cru pendant quelques instants qu'Aire-la-Ville avait l'insigne honneur de devenir le premier point de contact par où s'établirait la liaison entre les extra-terrestres et et notre bonne vieille Terre. Et qu'on ne dise pas que les Genevois manquent de courage: ils se sont précipités en masse pour accueillir les visiteurs intersidéraux.
Les canulars ne sont pas rares en télévision. Ils sont même devenus presque incontournables le jour du 1er avril. Mais les risques de dérapage existent. On se souvient du cas de la Belgique en 2006. Le 15 décembre de cette année, la RTBF diffusait en prime time un faux journal télévisé annonçant la déclaration d'indépendance de la Flandre. Cette fausse nouvelle provoqua d’abord une énorme émotion dans le pays, suivie d’un véritable tollé.
Sophie Meyer pour RTSarchives