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Le refroidissement des eaux menace la faune sur les côtes de l'Afrique du Sud 

Coffee bay sur la côte Est de l'Afrique du Sud [Wikipedia - Jon Rawlinson]
Coffee bay sur la côte Est de l'Afrique du Sud - [Wikipedia - Jon Rawlinson]
Alors que la température de l’océan augmente sur la plupart des régions du globe, des refroidissements de grande ampleur provoquent de véritables hécatombes dans les écosystèmes, au large de l’Afrique du Sud. Les changements observés ces dernières années dans la circulation du courant des Aiguilles expliqueraient le phénomène.

Les plages d’Afrique du Sud ont été le théâtre d’un désastre écologique de grande ampleur en mars 2021. Les carcasses d'au moins 260 animaux marins provenant de 81 espèces différentes, telles que les requins-taureau, les raies Manta ou les poissons-globe, ont été retrouvés sur 230 kilomètres de côtes dans la région de Port Elizabeth, en Afrique du Sud.

Spécimen de requin-taureau en captivité [Wikipedia - Palma Aquarium]
Spécimen de requin-taureau menacé par le refroidissement des eaux près des côtes de l'Afrique du Sud. [Wikipedia - Palma Aquarium]

De telles catastrophes se produisent généralement par l’arrivée d’eaux chaudes, par un affaiblissement des teneurs d’oxygène ou par la prolifération d’algues toxiques. Mais dans le cas d’espèce - et de manière paradoxale dans le contexte actuel de réchauffement -, le coupable était un refroidissement des eaux, la baisse atteignant entre 7°C et 9°C en 48 heures sur certaines zones côtières.

Selon une équipe de recherche australienne, le phénomène serait en lien avec les changements observés depuis un certain nombre d'années dans la circulation du courant des Aiguilles. Relativement peu étudié, ce dernier longe la côte Est de l’Afrique du Sud, avec une orientation au Nord-est (voir ci-dessous). En arrivant à la hauteur du Cap, il subit un changement de direction ce qui le fait repartir vers l’Océan Indien.

Circulation du courant des Aiguilles entre les côtes d'Afrique du Sud et l'Océan Indien [Wikipedia]
Circulation du courant des Aiguilles entre les côtes d'Afrique du Sud et l'Océan Indien [Wikipedia]

Les scientifiques ont longtemps pensé que seule une infime partie du courant des Aiguilles pouvait rejoindre l’Atlantique mais les données satellite et les mesures effectuées au large des côtes ont montré il y a quelques années que les eaux qu’il transporte se déplacent relativement loin vers l’Ouest, formant des tourbillons qui atteignent jusqu’à 300 km de diamètre.

Circulation des courants à la surface de l'océan au large des côtes sud-africaines. [US Navy NLOM/Wikipedia - Jeremy Bishop]
Circulation des courants à la surface de l'océan au large des côtes sud-africaines. [US Navy NLOM/Wikipedia - Jeremy Bishop]

Dans leur étude, publiée la semaine passée dans la revue Nature, les chercheurs australiens ont constaté que, suivant leur localisation, ces tourbillons peuvent pousser les eaux de surface vers le large et faire remonter les eaux profondes – plus froides – à proximité des côtes. Phénomène qui s’étale sur environ une semaine.

L’équipe, dirigée par Nicolas Lubitz de l’Université James Cook, a également compilé des mesures de températures à la surface de la mer des quatre dernières décennies ainsi que relevés de vents des trois dernières décennies. Les résultats montrent que les remontées d’eaux froides sont devenues plus intenses et plus fréquentes avec le temps. Sur certaines zones, le nombre d'événements a pratiquement doublé, passant d'environ trois par an dans les années 1980 à cinq ou plus par an entre 2012 et 2022.

« Il est difficile de dire si cette tendance est liée au changement climatique, en grande partie parce que ces remontées d'eau ont un caractère assez local qu'elles ne sont pas bien représentées dans les modèles qui tiennent compte des interactions entre l'océan et le climat », explique David Schoeman, écologiste du changement climatique marin à l'Université de la Sunshine Coast et qui a participé aux recherches.

Circulation des courants à la surface de l'océan au large des côtes sud-africaines, mesurés par satellite [Mercator Ocean International]
Circulation des courants à la surface de l'océan au large des côtes sud-africaines, mesurés par satellite [Mercator Ocean International]

Mais les évènements se sont produits sur des périodes suffisamment longues pour qu’on puisse les attribuer à la variabilité naturelle du climat. Les tendances observées ces quatre dernières décennies sont également cohérentes avec les sorties de modèles climatiques qui montrent qu’avec la hausse mondiale des températures les vents de surface pourraient être plus soutenus entre le canal du Mozambique et l’Afrique du Sud et contribuer ainsi de manière plus forte à la bonne tenue du courant des Aiguilles.

L'étude, qui a été publiée la semaine passée dans la revue Nature illustre sous un angle inédit la vulnérabilité de la faune face aux changements climatiques.

Philippe Jeanneret

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