Publié

A Vidy, Vincent Macaigne catapulte "Richard III" dans la folie contemporaine

Une photo du spectacle "Avant la terreur" de Vincent Macaigne. [Théâtre Vidy-Lausanne - Simon Gosselin]
Vincent Macaigne, "Avant la terreur" / Vertigo / 6 min. / mardi à 17:08
Du 19 au 21 avril, le metteur en scène français Vincent Macaigne propose une revisite du "Richard III" de Shakespeare au Théâtre Vidy-Lausanne. Intitulée "Avant la terreur", cette pièce se veut à la fois farce contemporaine et requiem pour une humanité destructrice.

"A l'aide!" Le cri sort d'une poitrine. Il est aussi tagué sur un mur du décor. Ils sont complètement paumés ces personnages errant sur l'immense plateau presque vide et sinistre, tel une friche industrielle ou un palais dévasté. Le pouvoir, des armes en abondance, de la répartie en veux-tu en voilà n'y suffisent pas: leur vide est abyssal. Leur incapacité à nouer des liens désintéressés avec autrui, leur manque de confiance, leur terreur d'aimer sous peine d'être trahis, les a transformés en monstres.

On les plaindrait presque ces personnages. En plus, ils sont souvent drôles dans leur méchanceté et leur pique. Sauf que nous serons leurs prochaines victimes.

Des solutions expéditives

Qui sont-ils, qui sont-elles? Ce sont les protagonistes à particule du "Richard III" de William Shakespeare et leurs fantômes, repêchés par Vincent Macaigne et sa troupe, dans les discours politiques récents des populistes de tous bords. En plus de Richard, de George, d'Elisabeth ou de Clarence, il y a là du Donald Trump, du Jair Bolsonaro, du Javier Milei et bien d'autres, plutôt des mâles alpha, des sanguins, toujours prompts à vous dégainer une solution expéditive: "Vous êtes pauvres, vendez vos organes!"

Cette injonction récente rappelle la "modeste proposition pour empêcher les enfants des pauvres en Irlande d'être à charge de leurs parents ou de leur pays pour les rendre utiles au public" de Jonathan Swift. Sauf qu'en 1729, avec son injonction cannibale, l'auteur de "Gulliver" plaisante, tandis qu'en 2024, celui qui veut faire de l'or avec les reins dirige une Argentine au bord du gouffre. Ou, pour reprendre les termes de Vincent Macaigne, "Avant la terreur".

Très librement inspiré de Shakespeare

"J'ai voulu parler de l'état du monde et aussi écrire une sorte de lettre d'excuse. Celle de ma génération qui n'a pas su agir et dont l'inaction aura été une forme de violence à l'égard des plus faibles", note Vincent Macaigne qui s'inspire très librement de l'œuvre de Shakespeare. Le metteur en scène et acteur français apprécie les spectacles manifestes, enragés, festifs, destructeurs aussi, quitte à brouiller ses intentions dans une tempête sonore. Les murs de Vidy-Lausanne résonnent encore de ses spectacles fleuves et chaotiques.

Son "Avant la terreur", deux heures et demie rondement menées par ses interprètes, se veut toutefois plus mélancolique, voire "assagi" (le terme est de Vincent Macaigne), même si sur scène on s'invective parfois et on se mitraille à qui mieux mieux.

C'est que cette histoire shakespearienne n'est pas une promenade de santé. Rappelons le sujet de "Richard III", ce difforme rejeté par sa famille et devenu méchant superlatif, assassinant tout ce qui pourrait se trouver entre lui et la couronne d'Angleterre. Il l'aura sa victoire, mais sur un champ de ruines, vanité dérisoire sur laquelle pourraient méditer les actuels hommes au pouvoir.

Un théâtre de la cruauté

Au milieu des insultes et des massacres, une enfant traverse le plateau boueux et sanglant. "Ce n'est que du théâtre", lui rappelle un personnage adulte. Un théâtre de non-sens et de la cruauté dont cette fille pourrait, peut-être, incarner l'espoir d'une rédemption ou d'un sursaut moral.

Si Vincent Macaigne est à coup sûr pessimiste, il refuse d'être désespéré. Ajoutant, soir après soir, des nouvelles répliques à ce spectacle qui tente le grand écart entre le théâtre politique élisabéthain et la géopolitique contemporaine. Si vous aimez ressentir l'énergie de la bataille, tentez le premier rang: on y meurt avec une conviction débordante.

Thierry Sartoretti/aq

"Avant la terreur" de Vincent Macaigne, Théâtre Vidy-Lausanne, du 19 au 21 avril 2024.

Publié