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Rémi, le héros de "Sans Famille", enchante la scène

"Rémi" de Jonathan Capdevielle. [antigel.ch - Vanessa Court]
Spectacle: "Rémi", le théâtre contemporain parle aux enfants / Vertigo / 5 min. / le 23 janvier 2020
Le metteur en scène, chanteur, marionnettiste et ventriloque Jonathan Capdevielle recrée au théâtre le célèbre roman d’Hector Malot. Ce spectacle formidable intitulé sobrement "Rémi" est à découvrir dans le cadre du Festival Antigel de Genève.

Tout débute par ce sac à dos d’écolier. Il est noir, orné d’une tête de mort blanche et il s’en échappe le son d’une radio FM régionale française: "Salut Rémi, merci d’être venu dans l’émission! Ton premier album, "Sans famille", a fait un carton, dis donc! Il paraît que tes chansons sont nées directement de ton histoire?"

Formidable Rémi! Il y a le gamin imaginé par l’écrivain Hector Malot en 1878. Enfant abandonné, recueilli, rejeté, recueilli à nouveau, qui va grandir et se former en sillonnant la France aux côtés de Vitalis, son mystérieux maître, artiste de rue et montreur d’animaux. L’histoire tient en haleine et fait pleurer les chaumières depuis 142 ans. D’abord en feuilleton, puis en roman, en film, en série télévisée, en dessin animé, en BD. "Sans famille", c’est Victor Hugo à la portée des plus jeunes. Zola le socialo qui aurait rencontré Dumas l’épique. Palpitant,

"Rémi" de Jonathan Capdevielle. [antigel.ch - Vanessa Court]
"Rémi" de Jonathan Capdevielle. [antigel.ch - Vanessa Court]

Un plateau vide

Formidable Rémi, encore! Il y a l’acteur, présent devant nous, sur ce plateau de théâtre vide à l’exception d’une liane en néon. Le voici avec son nez passé au rouge, ses shorts, ses Doc et un gilet jaune de Gavroche contemporain. Nous sommes en 2020, Rémi fait du stop, les usines classées Seveso ont remplacé les mines de charbon des Cévennes, la harpe du saltimbanque est devenue petit synthé portatif à piles et les 4L ont remplacé les chevaux dans les campagnes. Acteur d’origine lettone, petit gabarit d’acrobate, Dimitri Doré EST Rémi. On y croit immédiatement, bluffé par la justesse de ce comédien qui donne l’impression d’être resté à jamais dans l’enfance.

En adaptant cette histoire à son univers empli de masques, de poupées et de ventriloques étranges, Jonathan Capdevielle livre une extraordinaire version de "Sans famille". Le réalisme humaniste du 19e siècle cède la place à une fable fantastique et mystérieuse. Pour figurer les animaux savants de la troupe de Vitalis (l’immense comédien sénégalais Babacar M’Baye Fall, sorti du film "Django Unchained" avec son grand manteau de cuir western), les comédiens portent des costumes sortis d’un bestiaire entre le vaudou et le rayon des animaux mécaniques. Il y a Capi le chien et Joli Cœur le singe, alias les excellents Jonathan Drillet et Michèle Gurtner qui endossent de nombreux personnages loufoques et bizarres au fil du récit.

Un spectacle adapté à tous

"Rémi" peut se voir dès huit ans. Il suit l’esprit du récit original et sa chronologie, prenant simplement quelques raccourcis et simplifications pour ne pas excéder 1h30 de spectacle sur le plateau. Il s’agit tout de même de boucler un tour de France à pied, avec plusieurs allers et retours à Paris! "Rémi" peut aussi se voir à l’âge adulte tant les clins d’œil au théâtre et surtout aux thèmes chers à Jonathan Capdevielle abondent dans cette relecture: identité, rapport à la famille, aux racines, constitution de l’individu, passage de l’enfance au monde adulte. Celles et ceux qui ont pu voir ses spectacles précédents - "Saga" (sur sa jeunesse dans les Pyrénées), "A nous deux" (adaptation de "Un crime" du romancier Georges Bernanos) ou encore "Adishatz/Adieu" (sur le monde de la nuit et sa transformation de jeune homme en créature de scène) - seront en terrain familier, comprenez… surprenant, extraordinaire et intime.

Il y a chez Capdevielle un goût sincère pour la variété et ses tubes que l’écrivaine Annie Ernaux considère, elle aussi, comme des marqueurs de notre existence et des miroirs de nos états d’âme. Ainsi Rémi avance, lui aussi, en chansons, contant sa vie avec synthé et vocoder. On retrouve aussi chez le metteur en scène bagnérais un amour du son: il faut saluer ici le travail exceptionnel de sa complice Vanessa Court dont les voix, musiques, paysages sonores et autres trouvailles radiophoniques jonglent avec l’espace et les textures sur le plateau. Le théâtre délivre rarement un tel festival de plaisirs auditifs.

"Rémi", c’est 400 pages en format poche. Comment les résumer dans le cadre (presque) bref d’une création destinée au jeune public? Le metteur en scène s’offre une pirouette avec une première partie à la scène et une suite d’une cinquantaine de minutes sous forme d’une fiction audio. A la fin du spectacle, le public reçoit "Rémi" le CD où l’on retrouve la même distribution (augmentée des voix de Jonathan Capdevielle, de l’excellente comédienne Anne Steffens et du musicien Arthur Bartlett Gillette). Sitôt le rideau du théâtre tiré, une seule envie: retrouver "Rémi" et l’écouter les yeux fermés. Captivé.

Thierry Sartoretti/mh

"Rémi", Festival Antigel, Genève, jusqu'au 28 janvier. Puis en tournée: Sierre-TLH, 31 janvier et 1 février. Lausanne-Arsenic, du 5 au 9 février.

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