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"Furia", le Brésil des favelas dansé poing levé

"Furia" de Lia Rodrigues. [DR - Sammi Landweer]
Danse: "Fúria" de Lia Rodrigues / Vertigo / 4 min. / le 11 février 2019
A Genève, le Festival Antigel invite la troupe de la chorégraphe brésilienne Lia Rodrigues. Une leçon de danse pour mesurer la température d'un pays sur des charbons ardents. A voir encore ce mardi soir.

Un méli-mélo de bâches, de chiffons et de corps effondrés à demi vêtus. C’est le début et nous voici immédiatement dans le vif du sujet. "Furia" est un radeau de la Méduse échoué au milieu d’une favela brésilienne. Il y a les morts, il y a les vivants. Bien vifs, les vivants. Il y a la violence, il y a la religion. Ou plutôt les religions: la catholique, l’évangélique, la magique, la vaudou, l’amazonienne. Roulement continu de peaux, les percussions ne vont plus nous lâcher.

Le sabbat de "Furia" peut commencer, agiter les corps de ses neuf danseuses et danseurs comme des démons de carnavals. Les voici emportés par la transe, possédés par les esprits à moins qu’ils ne défilent devant nous tels des superhéros de carnavals, des martyrs de la chrétienté, des militants du peuple en colère ou des chiens fous lancés par les gangs de la drogue.

Une école de danse au coeur d'une favela

La chorégraphe brésilienne Lia Rodrigues mène un centre culturel et une école de danse au coeur de la favela de Maré. On y trouve 130'000 habitants. Ils sont les oubliés, les cachés derrière un mur, que l’on aperçoit à peine quand on débarque de l’aéroport de Rio de Janeiro par l’autoroute.

Maré est saigné par les cartels de la drogue, saigné encore par les forces armées quand il faut "pacifier" cette ville dans la ville le temps des Jeux olympiques. Maré. On y vit, on y rit, on y fait la fête, on y aime aussi.

Un hommage à Marielle Franco

Il y a de tout ça dans ce spectacle dingue d’inventivité, de générosité et d’énergie. C’est de la danse contemporaine en ce sens qu’elle raconte le Brésil d’aujourd’hui. Et qu’elle lève parfois le poing pour les droits humains et cette culture créole, métissée, riche de pas grandes choses que les derniers politiciens au pouvoir aimeraient éradiquer dans la brutalité.

"Furia", c’est aussi cet hommage à Marielle Franco, femme d’humanité et de paix, politicienne tombée sous les balles le 14 mars 2018. Ce spectacle secoué comme une cérémonie du candomblé, le culte des esprits du Brésil, lui est dédié.

Les passages en Suisse de Lia Rodrigues et ses danseurs sont trop rares et dès lors précieux. Un passage à l’Octogone de Pully il y a si longtemps, un échange entre écoles de danse avec la Manufacture de Lausanne (on imagine le choc des jeunes danseurs helvétiques jetés dans ce maelstrom de sens et d’émotions que doit être Maré) et aujourd’hui cette invitation à Antigel.

Thierry Sartoretti/aq

"Furia" au Festival Antigel, salle du Lignon, Vernier. Conseillé dès 16 ans. Complet.

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