Sur Netflix, la marraine de Miami "Griselda" se dévoile cruelle criminelle et mère fragile

Une nuit. Une femme. Une plaie béante sur le ventre. Une serviette hygiénique scotchée à la va-vite pour éviter l'hémorragie. La blessée presse ses enfants de monter en voiture. Dans sa valise, des frusques, un pain de cocaïne et Miami en ligne de mire. Après un coup de fil à une amie, Griselda Blanco quitte précipitamment la Colombie incognito pour mettre sa progéniture, sa raison de vivre, à l'abri. Voilà comment débute en quelques plans rapides le parcours de celle qui marquera l'histoire du trafic de poudre aux Etats-Unis.

Malgré le coup de pression du dernier fils encore en vie de la véritable Griselda Blanco pour retirer la série de Netflix, estimant avoir été floué par la production qui aurait repris sans son autorisation ses anecdotes sur sa mère, les six épisodes toujours disponibles méritent largement le coup d'œil.

Il faut dire qu'Eric Newman, showrunner de "Narcos", tient la barre. Devenu producteur, avec l'actrice colombienne principale Sofia Vergara, il est en territoire connu et tire sur des ficelles identiques pour séduire un public avide d’histoires de gangsters. Comparée à "Narcos", la psychologie de cette fascinante Griselda prend l'ascendant sur la représentation de la violence à l'écran.

Une criminelle ambitieuse

Déterminée à protéger ses enfants, Griselda aurait pu mener une vie de paisible impécunieuse secrétaire dans une agence de voyages. Seulement elle est une criminelle ambitieuse qui rêve d'argent facile. Alors, elle va bâtir un empire de la drogue, sortir de la prostitution ses congénères colombiennes en les invitant à travailler pour elle, et écraser tous les hommes contrariant son ascension.

Certes, ses débuts sont difficiles. Mais Griselda déploie tous ses talents pour arriver à ses fins: intelligence, audace, sens du commerce. Cette cervelle qui renifle les nouveaux marchés juteux a toujours un coup d'avance sur ces messieurs. Plus cruelle, plus froide, plus redoutable, elle sait que dans ce milieu, il faut impressionner toujours plus pour s'imposer.

Lors d'une fête, il faut la voir tenir en joug un type nu, à quatre pattes, une laisse autour du cou. Elle l'oblige à aboyer sous peine de l'achever d'une balle.  Au fil des ans, ses ennemis s'organisent. Même si la peur de perdre ses fils dans une guerre de clans la ronge, elle poursuit sa route. Pour tenir le choc, elle tombe dans le crack. Bouffée par la came, elle est la proie d'une paranoïa grandissante, obnubilée par l'idée d'une taupe infiltrée dans son clan.

Mais que fait la police?

La police patauge. Pourtant, June Hawkins (Juliana Aiden Martinez), une enquêtrice hispanophone plus maline que les inspecteurs de Miami, a bien des intuitions, mais comme le machisme est au pouvoir, personne ne l'écoute. Ses rapports détaillés pointent pourtant dès le début Griselda Blanco comme la marraine à capturer. Il faudra attendre le milieu des années 1980 pour que June soit prise au sérieux et la reine de la pègre arrêtée.

A peine goûté au premier épisode, "Griselda" monte à la tête et la dépendance s'installe. Dommage toutefois que la jeunesse de l'héroïne ait été zappée, car il y avait du potentiel. Pickpocket, kidnappeuse d'enfants et meurtrière, le crime la possédait déjà.

Autre bémol: la non-ressemblance entre la vraie marraine ronde et quelconque, et son interprète Sofia Vergara, beaucoup trop glamour. Même si l'actrice joue impeccablement bien, la production aurait pu mettre davantage le paquet sur les prothèses. A noter que depuis le 31 janvier, Sofia Vergara s'affiche aussi dans "Baby Bandito", toujours sur Netflix, une série sur le casse du siècle au Chili en 2014 par un groupe de skateurs.

Philippe Congiusti/ld

"Griselda" de Eric Newman, avec Sofia Vergara, mini-série en six épisodes à voir sur Netflix depuis le 26 janvier 2024.