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L’année classique 2017 en trois reflets

Le compositeur français Pierre Henry, décédé le 5 juillet 2017. [AFP - Didier Allard / Ina]
Le compositeur français Pierre Henry, décédé le 5 juillet 2017. - [AFP - Didier Allard / Ina]
Le hashtag metoo s’est invité cette année dans le classique; les projets de construction ont pris leur essor… ou du retard et deux grands compositeurs ont livré leur dernière note.

Pierres en plus

Variable, le climat institutionnel pour la musique classique en Suisse romande en 2017. Avis de beau temps pour la Cité de la Musique que l’on attend à Genève pour 2022. Elle accueillera à la place des Nations une scène philharmonique de 1800 places, nouvelle "maison" de l’Orchestre de la Suisse romande (OSR), et les élèves de la Haute Ecole de Musique. On connaît désormais son visage, un bâtiment élevé, vitré, à la forme de deux triangles enchevêtrés, et ses auteurs : les architectes genevois Pierre-Alain Dupraz et portugais Gonçalo Byrne. Un OSR qui s’épanouit d’ailleurs depuis janvier sous la baguette joviale du Britannique Jonathan Nott alors que l’Orchestre de chambre de Lausanne plébiscite, lui, l’Etasunien Joshua Weilerstein.

Vue de l'entrée des artistes de la Cité de la musique depuis la route de Ferney, à Genève. [DR - Pierre-Alain Dupraz]
Vue de l'entrée des artistes de la Cité de la musique depuis la route de Ferney, à Genève. [DR - Pierre-Alain Dupraz]

Averse surprise et brutale au Grand Théâtre de Genève dont les travaux ont pris quatre mois de retard qui imposent de reconfigurer la saison 2019-2020. Et coup de tonnerre dans le milieu musical romand avec la volonté exprimée par le Conseil d’Etat neuchâtelois de fermer sa Haute Ecole de musique.

Voix en moins

Avec le compositeur Klaus Huber, décédé le 2 octobre, la Suisse perd une très grande figure. Une voix mystique, un sens de la dramaturgie et aussi un pédagogue qui a été le professeur de Brian Ferneyhough, Kaija Saariaho, Wolfgang Rihm ou le Suisse Michael Jarrell. Une voix électronique, elle, concrète, innovatrice qui s’est éteinte, c’est celle de Pierre Henry. Le Français, sorcier de la bande magnétique, avait écrit la musique de plusieurs ballets de Maurice Béjart, dont la "Messe pour le temps présent". Maître dans l’art d’assembler et de sculpter les sons, il est mort le 5 juillet.

Parole libérée

Ou en partie. Comme tout milieu social, a fortiori un milieu où les hommes occupent majoritairement les positions de pouvoir, la musique classique n’échappe pas au harcèlement et aux agressions sexuelles. La déferlante de témoignages et de prises de position après les révélations sur les turpitudes du producteur Harvey Weinstein a aussi touché le classique. Mais timidement. La marque, peut-être, d’un environnement très hiérarchisé et des craintes légitimes de nombreuses victimes pour leur carrière.

En Suède néanmoins, 653 chanteuses lyriques ont publié un appel contre le harcèlement dans le milieu de l’opéra. En Suisse, une violoniste de l’OSR a témoigné pour la RTS. Aux Etats-Unis, le chef d’orchestre James Levine a été suspendu de ses fonctions au Metropolitan Opera après de nombreuses accusations d’agression sexuelle sur des adolescents. Ces derniers jours, ce sont les agissements du chef suisse mondialement réputé Charles Dutoit qui ont été révélés par une enquête de l'agence AP. Les orchestres de Boston et San Francisco ont d'ores et déjà mis fin à leur collaboration avec le chef d'orchestre romand. Les débuts, peut-être, d’une prise de conscience pour le milieu de la musique classique.

Pour 2018, osons le vœu que les structures qui emploient des musiciennes et des musiciens les protègent du harcèlement et que, sur ces agressions, les victimes puissent, sans préjudice, faire entendre leur voix.

Benoît Perrier/olhor

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Cinq événements de 2017

- Ascanio (24 et 26 novembre, Grand Théâtre de Genève). Spectacle efficace en forme de reconstitution d’un luxuriant opéra de Saint-Saëns; feu d’artifice théâtral à la cour de François Ier dirigé par Guillaume Tourniaire à la tête de l’orchestre de la Haute Ecole de Musique de Genève.

- "Bloch: Kammermusikwerke für Violoncello" par Chiara Enderle. Une jeune violoncelliste suisse défend avec bonheur dans un disque les suites pour violoncelles d’Ernest Bloch (1880-1959), compositeur suisse adopté par les Etats-Unis.

-"Carnevale 1729". Le carnaval de Venise 1729 comme si vous y étiez: la mezzo suédoise Ann Hallenberg et l’ensemble Il Pomo d’oro proposent des airs d’opéras tous joués à cette période. Un disque aussi aérien qu'exquis.

-Sergio Azzolini et l’Orchestre de la Suisse romande dirigé par Jonathan Nott, 1 et 2 novembre 2017. Comme si l’on avait donné un basson à Roberto Benigni – pour la gestuelle – et qu’il en modulait le son comme le ferait un chanteur de sa voix: un spectacle rieur, enjoué, sublime dans le concerto pour basson de Rossini.

-"Visions". Une diction impeccable, un timbre chaud et chamarré, la soprano Véronique Gens au sommet de son art dans une sélection discographique de scènes de visions ou d’extase de l’opéra français du XIXe siècle. Saisissant.