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"La sorcière", opéra oublié de Camille Erlanger, renaît à Genève

"La sorcière", joyau de l'opéra post-romantique français, est tombé dans l'oubli depuis plus de 100 ans. [Depositphotos]
"La sorcière", un joyau de l'opéra post-romantique français, est tombé dans l'oubli depuis plus de 100 ans. - [Depositphotos]
Tombé dans les oubliettes de l'Histoire, "La sorcière" de Camille Erlanger connut en son temps son heure de gloire. Escorté d'une considérable distribution, l'opéra est présenté pour la première fois depuis un siècle le 12 décembre au Victoria Hall de Genève.

Compositeur français proche du Tout-Paris, Camille Erlanger (1863-1919) connaît à son époque un phénoménal succès. Durant les premières années du XXe siècle, il compose treize opéras, presque tous créés à l'Opéra Comique ou à l'Opéra Garnier de Paris. Massenet, Debussy, Ravel ou encore Dukas faisaient partie de ses fréquentations et il était lui-même élève de Léo Delibes. Après son décès, ses compositions ne sont plus jouées et le nom même d'Erlanger est aujourd'hui méconnu.

C'est au chef d'orchestre Guillaume Tourniaire que l'on doit l'exhumation à Genève de l'opéra "La sorcière". En travaillant sur un précédent projet, le musicien tombe sur la correspondance entre Massenet, Saint-Saëns et Erlanger. Puis il découvre que Gustave Mahler avait programmé et dirigé lui-même l'opéra d'Erlanger "Le juif polonais" à l'Opéra de Vienne en 1906, quelques années après l'avoir entendu à Paris. Tombé lui aussi dans l'oubli après la mort d'Erlanger, l'opéra "La sorcière" n'a pas été joué depuis plus de cent ans.

Efficacité théâtrale

"J'ai vraiment été saisi par la théâtralité de cette musique. Ravel lui-même a relevé combien Erlanger est musicien et combien sa musique est théâtrale", indique Guillaume Tourniaire à l'émission Musique matin du 8 décembre.

"En leur temps, les oeuvres d'Erlanger ont vivement impressionné le monde musical par leur originalité, leur efficacité théâtrale et leur sens du décor sonore. Parmi ces partitions, "'La sorcière' - dont l'action frappe par la violence et la noirceur - est sans doute l'une des plus remarquables par sa force expressive", écrit dans le dossier d'accompagnement de l'opéra Jacques Tchamkerten, responsable de la bibliothèque du Conservatoire de musique de Genève.

>> A écouter, l'interview de Guillaume Tourniaire dans Musique matin :

Guillaume Tourniaire. [www.allegorica.art - © Sarah Matray]www.allegorica.art - © Sarah Matray
Guillaume Tourniaire, Indiana Jones de lʹOpéra du 20ème siècle français / L'Actu Musique / 8 min. / le 8 décembre 2023

Un livret tragique

L’action se déroule à Tolède en 1503, sous la terrible Inquisition. Don Enrique Palacios (Jean-François Borras), chef des archers de la Ville, et Zoraya (Joyce El-Khoury), Mauresque accusée à tort de sorcellerie, tombent follement amoureux l’un de l’autre. Malgré les mortels dangers pesant sur un tel amour, le couple continue à s’aimer en secret.

Promis depuis son enfance à un mariage de convenance avec la fille du Gouverneur, Don Enrique est surveillé par la police du Saint-Office. Il est bientôt arrêté et Zoraya traduite devant le tribunal de l’Inquisition. Pour sauver son amant, Zoraya finit par se sacrifier, en avouant – à tort et sous la contrainte – au diabolique Cardinal Ximénès (Lionel Lhote) avoir ensorcelé Don Enrique. Condamnée à être brûlée, Zoraya est déjà sur le bûcher lorsqu'elle voit arriver son amant. Ils s’embrassent une ultime fois avant de périr ensemble dans les flammes.

Un aspect pédagogique

Avec son association Ascanio, qui a pour but de faire connaître des oeuvres musicales injustement oubliées, Guillaume Tourniaire a insufflé à ce projet musical un volet pédagogique en partenariat avec la Haute Ecole de Musique de Genève. La création de "La sorcière" a mobilisé des dizaines d'étudiants et étudiantes ou anciens élèves, qui tiennent tous les rôles secondaires et ont bénéficié de plusieurs masterclasses.

Sur la scène du Victoria Hall de Genève le 12 décembre, on verra les choses en grand. Cet opéra en quatre actes et cinq tableaux, proposé en version de concert (sans mise en scène), mobilise vingt-quatre solistes, un choeur de soixante chanteurs et chanteuses et un orchestre de plus de cent musiciens et musiciennes sous la direction de Guillaume Tourniaire.

"Cette oeuvre reste terriblement d'actualité quand on voit les événements politiques aujourd'hui, avec la haine qui peut exister entre les religions d'une part et le traitement des femmes d'autre part. Le sujet est brûlant, sans faire de mauvais jeu de mots quant au bûcher de la fin de l'opéra", conclut Guillaume Tourniaire.

Propos recueillis par Sydney Fierro

Adaptation web: Melissa Härtel

"La socière", opéra de Camille Erlanger, Victoria Hall de Genève, 12 décembre 2023

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