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Laurent Aubert, pionnier de l'ethnomusicologie et passeur de sons genevois

Spécialiste suisse des musiques du monde, Laurent Aubert en interview. [RTS - Alexandre Chatton]
L'invité:Laurent Aubert, Prix Fondation Meylan 2023 / Vertigo / 22 min. / le 27 novembre 2023
Musicien passionné, Laurent Aubert a fondé il y a quarante ans à Genève les Ateliers d’ethnomusicologie (ADEM). Ce travail de fond a été récompensé il y a un mois par le Prix de la Fondation Pierre et Louisa Meylan. Retour sur le parcours d’un homme fasciné par les sonorités orientales.

Prix culturel unique en Suisse, le Prix de la Fondation Pierre et Louisa Meylan est remis chaque année impaire et récompense des personnalités qui, par leurs écrits, ont contribué à la vie musicale romande. Attribué pour la vingt-cinquième fois, cette récompense a été remise en novembre au Genevois Laurent Aubert.

Rockstar ou rien!

Auteur, chercheur, mais aussi producteur de disques, musicien, curateur de nombreuses expositions au Musée d’ethnographie de Genève, son parcours musical commence dans les années 1960.

Devenir Jimi Hendrix, quoi de plus normal à l’époque? Mais voilà, que le guitariste découvre - grâce à un oncle journaliste - la musique indienne, les tonalités de l’Orient, des instruments encore très peu connus et encore moins pratiqués en Occident. Il confesse s’être reconnu dans ces musiques: "C’est difficile à verbaliser. À leur écoute j’ai ressenti une émotion, comme si elles m’étaient familières. D’où mon désir de m’y fondre". En 1973, c’est le grand départ, le voyage vers l’Est qui aboutira à un mémoire consacré à la caste des musiciens au Népal suivi de l’apprentissage du sarod, instrument à cordes pincées Indien.

L’organisation de son premier concert, à son retour à Genève un an plus tard, sera l’occasion de faire venir soin maître de sarod, Jamaluddin Bhartiya pour les premiers concerts de musiques et danses du monde dans le cadre des Ateliers d'ethnomusicologie de l'Association pour l’encouragement de la Musique impRovisée (AMR). Les Ateliers seront plus tard rattachés au Comité pour les arts extra-européens (Extra-European Arts Committee, EEAC) en tant que membre régulier représentant la Suisse. Fondé en 1978, ce réseau sera à l’origine de la venue d’innombrables musiciens en Europe.

Les Beatles, ou le cheval de Troie

Laurent Aubert se souvient que la musique indienne a été la porte d’entrée des musiques du monde en Europe: "Le grand maître du sitar Ravi Shankar était le professeur de George Harrison. Il a contaminé les autres membres des Beatles, qui ont fait le voyage en Inde et rencontré le gourou Maharishi Mahesh Yogi. Et comme lorsque les Beatles faisaient quelque chose, tout le monde les imitait, ça a été, à la fin des années 1960, le début d’une grande mode de l’Inde. Et pas seulement dans le rock: Yehudi Menuhin, dans la musique classique, et parmi les musiciens de jazz, John Coltrane qui a même appelé son fils Ravi! Et ce n’est pas pour rien".

Et l’appropriation culturelle?

Il y a quarante ans, l’Occident émerveillé découvrait et commençait à jouer ce que l’on a nommé à l’époque "les musiques du monde". Alors que les débats sur l’appropriation culturelle font rage, la question ne s’est jamais posée pour Laurent Aubert.

"Au départ, c’était l’idée d’un ailleurs. Il ne s’agissait pas de s’approprier une musique, mais de s’intégrer à une culture musicale. Ensuite, il y a eu la fusion musicale Orient-Occident avec par exemple Shakti, le groupe du guitariste John McLaughlin, l’un des plus marquants. Mais il n’a jamais été question d’appropriation! Au même titre qu’un musicien chinois ou japonais jouant Bach ne s’approprie pas la musique, mais s’intègre. La culture n’est pas innée, elle fait partie de l’acquis. Donc on peut intégrer une culture musicale, comme on apprend une langue étrangère".

Aujourd’hui retraité du Musée d’ethnographie de Genève, Laurent Aubert pratique ses instruments quatre heures par jour, l’oreille tournée vers toutes les musiques.

Pierre Philippe Cadert/aq

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