Jusqu’en 2020, les célèbres chansons "Le vieux chalet" et "Adyu mon bi payi" des abbés Bovet et Kaelin ne figuraient pas au répertoire de Florian Favre, dont les nombreux projets - du trio avec le bassiste Manu Hagmann et le batteur Arthur Allard au sextet Neology mêlant jazz et rap - voguaient à travers les scènes suisses et internationales.
Mais au début de la pandémie, comme la plupart des musiciens, Florian Favre s’est retrouvé seul chez lui, avec, comme envie principale, celle de se créer une bulle sonore protectrice. "J’avais besoin de jouer des choses qui me fassent du bien, créer des ondes positives en faisant des accords assez simples qui remplissent et fassent sonner le piano", indique-t-il à la RTS.
C’est dans cette bulle que germent les premières pousses sonores d'"Idantitâ" ("identité", en patois fribourgeois), des pousses auxquelles Florian Favre greffe des chansons qu’il entend depuis son enfance: "Dans les réunions familiales, où on se retrouve à plus de cinquante, ça chante facilement à plusieurs voix". En hommage détourné à l’art choral fribourgeois, le pianiste n’hésite pas à donner de la voix sur plusieurs titres d'"Idantitâ", chantonnant, ici ou là, à la manière d’un Keith Jarrett, des mélodies qui émergent, parfois, par surprise au détour d’un accord.
Piano préparé
Au fil des douze titres de l'album, le piano chante, swingue, décompose des thèmes connus, les étouffe ou les accompagne de rythmes de batterie. La percussion, très présente sur l’album, émane du piano que Florian Favre a "préparé" en truffant ses cordes d’un dictionnaire d’espagnol et de boîtes de trombones.
Ces objets offrent une impressionnante palette sonore en permettant d’imiter une caisse claire de batterie ou étouffer, détimbrer des notes comme dans "Don't Burn the Witch", une composition signée Florian Favre. Dans ce titre, qui rappelle les heures sombres de la chasse aux sorcières en Suisse, le pianiste joue la différence, taclant au passage un "certain esprit de clocher" parfois présent au cœur des vertes vallées fribourgeoises. "Je viens d'un village où ceux qui font des choses différentes - comme moi, par exemple, qui aime le jazz - sont susceptibles d’être mis de côté. J’ai eu envie de thématiser ça en imaginant une sorcière qui danse et qui casse tous ces regards et ces préjugés".
L’exploration des traditions et des identités culmine dans le dernier titre de l’album, "I’ve Got You Under My Skin" de Cole Porter qui ne détonne pas tant que ça sur fond de montagnes, de vaches et autres "Dzodzet". "Si je parle à cette identité, explique Florian Favre, je lui dis 'tu es là, sous ma peau, tu fais partie de moi'. Je dois faire avec et en même temps je te déclare mon amour parce que j'ai appris à vivre avec toi".
Anya Leveillé/olhor
Florian Favre, "Idantitâ" (Traumton Records).
Florian Favre en concert au Cully Jazz Festival, à l’Union Viticole, le 9 avril à 21h.