"Une existence sans précédent", le roman slovène de Claire Fercak

Dans la petite voiture rouge, il y a à l’arrière, planquées dans le coffre, les cendres de Nicole Jollais, la figure maternelle et protectrice d’Helena. La mort de l’assistante familiale à qui Helena n’a pas pu dire adieu a eu pour effet de déclencher un double mouvement, celui d’abord de dérober l’urne pour la soustraire aux griffes du père Jollais, afin de lui trouver, comme dernier hommage, un port d’attache. Celui ensuite, de partir en Slovénie, au pays des Cervak, dans l’espoir d’y rencontrer sa propre famille dont elle ne sait rien, et tenter de s’y retrouver.

Le passé d’Helena est ponctué d’instants douloureux, de rejet, d’abandon et de violence. Elle est passée d’hébergements sociaux en familles d’accueil et a multiplié les séjours en maison de repos pour "adolescents décomposés", comme elle dit. Habitée par la colère qui se traduit par un cri qu’elle ne parvient pas toujours à étouffer, Helena se lie peu et nourrit de la méfiance envers les gens et l’existence: "J’ai du mal avec la vie en général", confie-t-elle. Ce sont les mots qui sont son refuge, "les mots c’est ce que je respecte le plus sur cette planète." Elle s’entoure de livres et écrit sur des carnets, pour se délester de la tempête qui souvent agite sa tête.

Je m’allonge sur mon lit et j’attends d’être orpheline tout à fait. C’est-à-dire pleinement. C’est-à-dire engendrée par rien. Ni déposée par une affreuse cigogne ni fourrée dans un ventre par un Saint-Esprit. N’étant plus l’enfant de personne, n’étant plus, je pourrais remonter à une origine quelconque du monde. N’être la fille d’aucuns. N’être la mère de qui que ce soit. Ce serait véritablement vivre une existence sans précédent.

Dès les premières pages d'"Une existence sans précédent", le rythme, la cadence de la langue d’Helena emportent tout avec eux; une liberté couronnée par un humour parfois détonnant, souvent tragi-comique, et l’art de faire jouer les mots entre eux, les disséquer, les démonter pour les remonter autrement et bien sûr les inventer. Helena s’invente une vie, et une enfance qu’elle voudrait vierge de toute histoire pour espérer enfin pouvoir en connaître la saveur.

Une longue gestation

Cela fait dix ans que l’autrice Claire Fercak espère donner naissance à ce roman, depuis le voyage qu’elle a elle-même effectué en Slovénie pour la première fois à cette époque. Elle y a rencontré de la parenté portant son nom et des ressemblances troublantes; deux éléments qui réapparaissent dans le roman, notamment lors de la rencontre d’Helena avec son sosie, qui donne lieu à des épisodes cocasses. De la drôlerie, il y en a dans "Une existence sans précédent ", où l’on se prend immédiatement d’affection pour cette héroïne écorchée, mal lunée et surtout d’une spontanéité qui n’est pas sans souligner son lien étroit avec ce que l’enfance inspire et recèle à la fois d’impertinence et d’insouciance.

Comme chacun sait, on voit le monde à travers sa langue. Que serais-je sans ma langue?

C’est lorsque Claire Fercak a trouvé la voix de son personnage et est parvenue à créer la langue d’Helena que le roman et son écriture ont réellement été lancés. Un point de départ, un déclic que l’autrice aura mis une décennie à provoquer, à attendre, à tourner autour, tout en poursuivant l’écriture d’autres livres, pour qu’enfin il ait lieu et qu’à partir de cet instant le langage d’Helena coule à flot. Cette langue, sa langue, est la seule et unique chose qui appartienne à Helena et qu’elle puisse véritablement faire sienne.

Céline O'Clin/aq

Claire Fercak "Une existence sans précédent", éditions Verticales.

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