"Au point du jour" d'Aurélie Jeannin, une fable vorace qui voit le jour au chenil

Florence, qui subit la médiocrité de sa vie comme une agression quotidienne, décide un soir de s'en aller. Mue par une colère sourde, elle largue les amarres et traverse la campagne. Elle tombe alors sur le chenil de Daguet, le Rallye Bellecroix. Très attaché au soin de ses chiens, ce dernier propose à Florence de l'épauler. Elle accepte et s'installe dans un mobil-home, à ses côtés. Une relation profonde se tisse alors entre eux deux.

Aurélie Jeannin a grandi en forêt, à Orléans en France, où elle vit encore aujourd'hui. Sensible à la question de la ruralité, elle explore dans ce nouvel ouvrage l'univers de la chasse à courre, une tradition millénaire aujourd'hui extrêmement contestée.

La fiction littéraire

La chasse à courre, appelé aussi vénerie, est un mode de chasse qui consiste à poursuivre un animal sauvage (un cerf, un sanglier, un chevreuil) avec une meute de chiens, jusqu'à le tuer. Les chiens sont dressés et entraînés pour chasser une bête à la fois. Les humains, à pied ou à cheval, encadrent la meute.

Sans porter de jugement sur la pratique de la chasse à courre, Aurélie Jeannin fait de cette tradition le décorum de son histoire plutôt que le sujet principal.  

Cela ne m'intéresse pas de porter un jugement manichéen sur les choses. Florence subit sa vie bien rangée comme une violence bien plus terrible que le fait de préparer des chiens à tuer (...). Mon rôle est de raconter ce qui existe, pas de le juger

Un amour pour lequel les mots ne suffisent pas

Daguet s'occupe avec énormément de passion, de patience et d'amour des 515 chiens de son chenil. Le métier de piqueux, il l'attend depuis de nombreuses années et il sait que cette première chasse à courre sera décisive pour le reste de sa carrière. Cet emploi obtenu auprès de la famille Bellecroix, propriétaire du chenil, il ne veut le perdre pour rien au monde.

En parallèle, il entretient une relation risquée avec la fille de son patron, Diane. Les contours de cette "romance" sont très brouillons pour lui, mais lorsqu'il fait la rencontre de Florence, tout devient clair. Parce qu’avec cette dernière, les échanges sont simples, évidents, immédiats. Chaque jour passé auprès d'elle est une invitation à lui déclarer son amour. Et pourtant, mettre des mots sur cette émotion paraît démesurément fade.

En lui-même, il pesta contre le fait que tout ait déjà été dit, parce qu'il aurait voulu être le premier pour que les mots restent forts. (…) Il fulmina en silence contre ça. Parce qu'il n'aurait plus rien d'autre à dire que ce 'J'ai le cœur qui brûle'. Et ça serait tellement insuffisant

Deux êtres qui cherchent leur place

La passion amoureuse est réciproque entre Daguet et Florence. Elle éclot au fil des semaines, entre leurs silences et le soin prodigué aux animaux. Et puis, surtout, leurs similitudes les lient, car ils sont tous deux tournés vers la même quête.

"Ils étaient deux êtres qui cherchaient leur place, se frayaient un chemin en ravalant leur envie de tout ravager. Pour cela, Flo était partie de chez elle. Daguet, lui, était revenu. Ensemble ici, ils faisaient comme ils pouvaient, tentant de rester sourds aux pulsations du monde", écrit l'autrice.

"Au point du jour" est un roman palpitant, dans lequel Aurélie Jeannin raconte avec sensibilité la quête violente et douloureuse de l'identité.

Layla Shlonsky/mh

Aurélie Jeannin, "Au point du jour", éditions de l'Olivier, mars 2024

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