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Secrets de famille et rivalités au coeur du nouveau roman de Véronique Ovaldé

Véronique Ovaldé. [Flammarion - Pascal Ito]
Entretien avec Véronique Ovaldé, autrice de "Fille en colère sur un banc de pierre" (ed. Flammarion). / QWERTZ / 36 min. / le 10 janvier 2023
Dans "Fille en colère sur un banc de pierre", une jeune femme retourne sur une petite île imaginaire au large de la Sicile où elle a grandi. Secrets de famille, rivalités entre sœurs, filles empêchées, mais combatives, Véronique Ovaldé aborde dans son nouveau roman toutes les thématiques qui lui sont chères depuis vingt ans.

"La colère des filles a toujours été là. Maintenant c’est devenu quelque chose d’extrêmement visible, mais j’étais très en colère depuis très longtemps", explique Véronique Ovaldé à la RTS.

En effet. Depuis son premier roman il y a plus de vingt ans, "Le sommeil des poissons", ses personnages féminins forment une grande famille, filles toujours en rupture, contraintes de s’échapper d’un milieu étouffant qui aurait pu les broyer, rattrapées un jour ou l’autre par une sœur ou une mère.

Des filles tenaces, silencieuses et courageuses, qui ont dû très tôt affronter une violence qu’elles taisent. Cela aurait pu être de l’autofiction ou de l’autobiographie, mais Ovaldé a préféré se tourner vers la fiction, échafaudant des textes subtilement construits, imaginant des histoires familiales complexes, qui ne sont jamais totalement différentes sans pour autant être totalement identiques.

Elle a ainsi élaboré au fil des ans un art romanesque extrêmement personnel, totalement singulier dans le paysage littéraire francophone. Chaque fois, l’autrice examine les mille et un pièges qui vont parsemer le parcours de vie d’une femme, et permet au lecteur de mesurer la force qu’il faudra à l’héroïne pour parvenir à s’extraire des attentes familiales et vivre sa vie.       

Aïda, Violetta et la sœur disparue

Ici, la fille en colère s’appelle Aïda. La jeune trentenaire est en train de se préparer un plat de pâtes dans sa cuisine à Palerme, quand elle reçoit un coup de fil de sa sœur Violetta, qu’elle n’a pas vue depuis quinze ans. Leur père est mort, annonce Violetta. Aïda décide alors de rentrer à Iazza, la petite île où elle a grandi, et où vivent toujours sa mère et ses sœurs.

Ce roman surprenant, sur lequel plane le fantôme d’une petite fille trop tôt disparue, aborde différentes problématiques très contemporaines. L’émotion surprend souvent au détour d’une page, et Ovaldé ausculte avec beaucoup de finesse les réactions des personnages, sœurs réunies après une longue séparation, mère désormais veuve, dans une famille où les rôles ont été distribués très tôt, et où Aïda porte depuis toujours la culpabilité de sa petite sœur disparue.

Les îles, c’est très inspirant, un petit peu comme les familles. C’est à la fois quelque chose de protecteur, et à la fois très enfermant. Tout comme la famille qui est un territoire de tragédie, de dramaturgie complètement inépuisable, l’île est quelque chose de cet ordre-là.

Véronique Ovaldé

Comme dans "Ce que je sais de Vera Candida", "La grâce des brigands" ou "Des vies d’oiseaux", Véronique Ovaldé a placé l’action de son roman dans un endroit imaginaire et pourtant crédible. Car l’autrice sait jouer avec l’esprit des lieux, sans tomber dans la caricature, et créer un espace que chaque lecteur et lectrice peut s’approprier. Son île de Iazza battue par les vents, quelque part au large de la Sicile, est à la fois actuelle et légendaire. Les promoteurs immobiliers s’y affrontent, on s’y baigne dans des criques d’un blanc de craie, mais les ânes tombent parfois des toits et les femmes y font des rêves prémonitoires.

C’est en tous cas un lieu à l’écart, où vit une population isolée et recluse qui remâche ses rancœurs et ses amours perdues. C’est là qu’ont grandi les filles Salvatore, sous la coupe d’un père dont le décès bouscule soudain un ordre familial qui semblait immuable.     

Il ne reste plus qu’Aïda sur la terrasse. Elle s’accoude à la balustrade pour fumer une cigarette. C’est surprenant qu’elle n’ait pas eu envie de tous leur sauter à la gorge, non? Surtout à celle de Violetta et Gilda. Elle pensait depuis si longtemps qu’il serait dangereux pour elle de revenir à Iazza, de se confronter à la vie que ses sœurs ont menée sans elle, loin d’elle, contre elle. Est-il possible que son cœur s’apaise?

Véronique Ovaldé, "Fille en colère sur un banc de pierre"

Un roman en trois temps

Reste la construction hautement ingénieuse du récit, ce qui constitue sans doute un des aspects les plus intéressants de l’écriture d’Ovaldé: sa capacité à structurer ses textes, à emboîter des éléments narratifs, à ne dévoiler que parcimonieusement des indices qui vont peu à peu former un puzzle.

Ici, le roman débute sur une scène traumatique, la disparition de Mimi, la petite dernière. Puis le roman s’articule autour de trois temporalités différentes: le temps présent, avec le retour d’Aïda à Iazza et le séisme que sa venue provoque; l’enfance des sœurs, où se cachent bien des secrets; et "les contes et légendes de la famille Salvatore", sorte de mythologie des origines. Le résultat de cette non-linéarité savamment orchestrée est un roman qu’on ne lâche pas, où chaque mystère en recouvre un autre, et où les personnages secondaires, notamment les hommes, se révèlent bien plus riches que prévu.

Sylvie Tanette/olhor

Véronique Ovaldé, "Fille en colère sur un banc de pierre", ed. Flammarion.

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