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"L'île haute", un récit à hauteur de ciel et d’enfant signé Valentine Goby

L'écrivaine Valentine Goby. [Editions Actes Sud.]
Entretien avec Valentine Goby, autrice de "L'île haute" / QWERTZ / 30 min. / le 31 août 2022
Situé à cheval sur la frontière suisse, "L’île haute" de Valentine Goby (Ed. Actes Sud) est un double dépaysement: il déplace le lecteur dans un village de montagne pendant la Seconde Guerre mondiale, dont le quotidien nous arrive par les yeux d’un enfant.

De chez lui, Vadim doit tout oublier. En arrivant à Vallorcine en Haute-Savoie, il changera de famille, de prénom, et même de poumons. L’enfant asthmatique de "L'île haute", le seizième roman de Valentine Goby (Ed. Actes Sud), est en danger s’il reste aux Batignolles, le quartier populaire de Paris où il a grandi entre l’atelier ouvrier de son père et les jupes de sa mère.

Nous sommes en 1942, l’année où prend place son exil alpin. En descendant du train qui le dépose à Chamonix, Vadim sera rebaptisé Vincent. Le paysage qui lui fait face est totalement inédit aux yeux du garçonnet: telle une page blanche où s’écrira la suite de son histoire, la neige, omniprésente, couvre les montagnes qu’il voit pour la première fois.

Il voit, dressée au milieu d’une profonde échancrure et gravée sur le ciel pâle, une forme blanche et noire vaguement triangulaire, asymétrique, avec un sommet raboté de guingois (...) Vincent a vu des gravures de montagne, dans les manuels scolaires, peut-être quelques photos bichromes de cascades ou de glaciers, elles n’ont pas laissé d’empreinte dans sa mémoire, paysage de papier.

Extrait de "L'île haute" de Valentine Goby

Premières impressions

Il y a bien ce tableau de Kandinsky aperçu dans le livre d’un voisin. Mais le dessin d’alors ne ressemble pas au massif des Aiguilles Rouges qui lui font face. Comment nommer ce qu’on n’a jamais vu, touché, senti, goûté? Valentine Goby, également autrice d’une importante œuvre de littérature jeunesse, s’est tenue à hauteur d’enfant pour donner aux lecteurs l’impression de découvrir avec Vincent toutes les sensations qu’il enregistre pour la première fois.

Ce qui m’intéresse depuis toujours c’est le rapport immédiat aux évènements et au monde pour revenir à cet état de stupeur qui est aussi de l’effroi ou de l’émerveillement face à la nouveauté radicale.

Valentine Goby

La naissance du veau, la poudreuse fraîchement foulée, l’aplatissage des taupinières, l’éclosion des papillons, la brique chaude en guise de bouillotte, l’odeur du chalet en hiver, la première fleur après la fonte des neiges, le goût des œufs de grenouille et celui de la bouche d’Olga... Pris dans "cet âge de l’ignorance et des commencements sans fin", protégé de la guerre par l‘altitude et les forêts, Vincent vit dans "L’île haute" une formation accélérée au contact de la nature et des Vallorcins, ces paysans-danseurs arrimés aux versants abrupts, dont les saisons changent les tâches, mais pas la rudesse de leurs existences.

Extrêmement documenté

A travers eux, Valentine Goby fait vivre une formidable palette de personnages secondaires: Moinette, un "oiseau de nuit déguisé en petite fille", Blanche, la mère de famille gironde qu’il épie pendant sa toilette, l’abbé taiseux, mais protecteur ou Martin, le garçon aveugle qui lit Alexandre Dumas en braille.

Extrêmement documenté, "L’île haute" n’est pas seulement la renaissance d’un enfant chétif menacé par les ténèbres de son époque. C’est aussi le roman d’un monde, d’une langue et de gestes disparus, enseveli sous les couches sédimentaires du temps, et que l’autrice ressuscite par les voix miraculeuses du récit.

Salomé Kiner/aq

Valentine Goby, "L'île haute", Ed. Actes Sud, 268 pages

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