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Avec "Un fils perdu", Sacha Filipenko dénonce la léthargie de la Biélorussie

Sacha Filipenko. [DR - Lukas Lienhard]
Lʹinvité: Sacha Filipenko, "Un fils perdu" / Vertigo / 23 min. / le 8 avril 2022
Sacha Filipenko livre avec "Un fils perdu" un roman annonciateur de la situation politique en Biélorussie aujourd’hui. Après avoir pris position publiquement contre le régime de Loukachenko, l'écrivain et journaliste est forcé désormais de vivre en exil pour éviter la prison.

Sacha Filipenko est un écrivain né en Biélorussie il y a trente-sept ans. Formé en musique, en lettres et en magistrature à Saint-Pétersbourg, il vit en exil depuis ses prises de positions claires contre le gouvernement biélorusse d'Alexandre Loukachenko.

Actuellement de passage dans le canton de Vaud, il témoigne: "Je vis sans domicile et mon fils ne peut pas aller à l'école, car je dois tout le temps déménager. Dans ce sens, ce n'est peut-être pas la vie que j'attendais, mais d'un autre côté, je sais que beaucoup de gens sont dans une situation plus difficile que moi, donc je ne peux pas me plaindre de ma vie", explique-t-il à la RTS par le biais de son interprète, Maud Mabillard.

Son livre "Un fils perdu", paru aux éditions Noir sur Blanc et écrit en 2014, est son troisième roman traduit en français. On y fait la connaissance d'un jeune garçon de 16 ans, Francysk, qui vit avec sa grand-mère très protectrice. Il mène une vie plutôt banale d'adolescent jusqu'à un événement tragique: une pluie de grêle en pleine canicule qui engendre un mouvement de foule dans les bouches d'un métro et fait de nombreuses victimes. L'auteur fait ici référence à une véritable bousculade qui eut lieu dans le métro de Minsk en 1999 et qui fit plus de 50 morts et 150 blessés.

Des années de coma

Francysk tombe dans le coma. Condamné par les médecins, il est peu à peu lâché par sa mère, qui va refaire sa vie, par sa petite amie, qui change de copain, mais reste toujours accompagné par sa grand-mère, qui va s'installer dans sa chambre d'hôpital et contre l'avis de tous, continuer de croire en lui, en sa rémission et de lui parler, sans cesse. Et des années plus tard, lorsqu'elle se taira ce sera lui qui se réveillera. Et si le jeune homme n'a pas bougé, le monde autour de lui non plus, comme figé dans un état économique, social, politique léthargique. Que faire? Se résigner ou se battre? Comment, avec qui? Ce sont là certaines des questions soulevées par ce roman.

L'action se situe en 1999, dans un lieu qui n'est pas clairement nommé. Mais cette fiction est très imprégnée de faits réels. "On sait qu'après un coma, il est difficile de s'adapter à la vie qui a changé, mais comme en Biélorussie rien ne bouge... Je voulais aussi expliquer que je me sentais le fils perdu de mon pays. Malheureusement rien ne change: c'est une photographie de l'époque, que j'ai faite, mais c'est peut-être aussi une photographie du futur", livre Sacha Filipenko.

Le rapport biaisé de la Biélorussie à l'Histoire

La grand-mère de Francysk lui parle beaucoup de l'actualité et de l'histoire du pays, ce qui permet aux lecteurs d'en apprendre beaucoup sur la Biélorussie et son rapport à l'Histoire. Aux guerres, notamment. L'histoire est une arme de manipulation du peuple biélorusse, confirme Sacha Filipenko. "Je l'ai senti dans ma propre famille. Mon grand-père était un général dans l'aviation et on a grandi en se sentant les vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale. Nous avions sauvé le monde et étions le bien absolu qui a vaincu le mal absolu. Mais en travaillant sur les archives, je me suis rendu compte que les choses n'étaient pas si évidentes. Et quand on comprend que quand les troupes russes sont entrées en Allemagne et ont libéré les camps de concentration, elles ont pris les planches des baraques de Buchenwald pour reconstruire des baraques pour le goulag, comme chez Ikea, on se demande si c'est vraiment le bien qui a vaincu le mal ou si c'est un mal qui a vaincu un autre mal".

A travers ses fictions, Sacha Filipenko tâche de rétablir une certaine vérité historique. A propos du "Fils perdu", l'auteur biélorusse, qui figure parmi les plus traduits, répète souvent que "comme auteur, je suis heureux que mon livre reste actuel, mais comme citoyen, j'aimerais bien qu'il perde toute son actualité".

Propos recueillis par Anne Laure Gannac

Adaptation web: Melissa Härtel

Sacha Filipenko, "Un fils perdu", éditions Noir sur Blanc.

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