Le bédéiste Thomas Cadène brise le tabou de la masturbation

"La masturbation, c’est quelque chose qui fait appel à l'imagination, à l'univers intérieur, et qui interroge la question de l'intimité", explique Thomas Cadène. Co-scénarisée avec Joseph Safieddine et Pierre Thyss au dessin, "A pleines mains" (éd. Dargaud), raconte l'histoire de Pablo, un jeune homme qui tient un sexshop, mais qui fait faillite. De retour chez ses parents, dans sa chambre d'enfant, revient Gudrun, sa femme imaginaire, sur laquelle il se branle depuis son adolescence. Là, Pablo a le déclic et crée une start-up pour proposer aux gens de replonger dans leurs fantasmes de jeunesse. En fait, il vend des salles de masturbation personnalisées.

Une approche franche et délirante

Une BD de cul joyeux. Une comédie ni creuse, ni vaine. Au contraire, "A pleines mains" pose un regard tendre et profond sur nos désirs insouciants. "Une de nos grandes inquiétudes avec ce sujet, c’était de sombrer dans le porno un peu ridicule, vulgaire et trash, parce qu’on voulait être explicite", précise Thomas Cadène. Une approche de la thématique, franche et délirante, dont le but est de nous renvoyer à notre propre sexualité, que le scénariste ne cesse d’interroger.

Une de nos grandes inquiétudes avec ce sujet, c'était de sombrer dans le porno un peu ridicule, vulgaire et trash, parce qu'on voulait être explicite.

C'est ce qu'il fait dans "Fluide", son précédent album. L'histoire de deux auteurs de BD, qui se créent un avatar, véritable Eros contemporain, afin de se projeter dans ses aventures les plus érotiques. Une manière pour ces personnages de fuir leur réalité, où désirs et principes sont constamment chamboulés. Tout commence d'ailleurs quand l'un n'accepte pas le besoin de sa copine d'expérimenter autre chose tout en restant avec lui.

L'amour qui est mis à l'épreuve du désir de l'autre est un sujet que je trouve vraiment intéressant. Qu'est-ce qu'on en fait, surtout s'il est en contradiction avec son désir à soi?

Un regard pertinent

"La sexualité est un terrain de jeu passionnant pour l'écriture, car c'est l'endroit où vont se nicher les ultimes tabous", renchérit Thomas Cadène. Et il en est lui-même touché. La vague #Metoo, la chute du patriarcat, la déconstruction des acquis, la question du genre, la crise environnementale, le numérique à tout-va, autant de thèmes d'actualité qu'abordent en filigrane toute la fiction de Thomas Cadène et qui font le sel de ses personnages: "Dans mes histoires, c'est toujours ça le sujet: des gens qui essaient". Un contexte autant passionnant que déroutant, que le scénariste veut retranscrire sans aucune morale. En tant qu'observateur: "Ma position, c'est d’essayer de comprendre et d'accompagner, de poser des situations qui permettent d'aller plus loin."

Que ce soit au travers de drames, de récits de science-fiction ou d'anticipation, de bédénovela, ou de comédies romantiques comme "A pleines mains", Thomas Cadène – et ses près de 30 albums depuis 2007 – porte un regard toujours pertinent et très concernant sur ce que nous sommes et sur comment nous évoluons entre nous. Et ce, toujours avec un temps d'avance.

Gilles de Diesbach/ld

"A pleines mains", Thomas Cadène, éditions Dargaud

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