Jean-Pierre Rochat, écrivain paysan devenu écrivain voyageur

On n'avait plus beaucoup de nouvelles de Jean-Pierre Rochat depuis la parution de son précédent roman en 2017 intitulé "Petite Brume". Dans ce récit, on suivait la dernière journée de Jean Grosjean, paysan contraint de vendre son domaine agricole aux enchères après quarante-cinq ans d'exploitation. Avec, en point de fuite, son suicide. Trois ans plus tard, le romancier donne vie à un nouveau double littéraire dans une fiction autobiographique baptisée avec malice "Roman de gares".

L'écriture comme réconfort

Comme Jean Grosjean, celui qui se fait appeler dèdè par ses petits-enfants a perdu son domaine agricole, mais dans des conditions moins dramatiques. Contraint à la retraite pour des questions administratives, l'homme a cessé son activité de paysan, bien malgré lui. Ne lui reste plus que l'écriture pour témoigner de son mal-être et crier le désespoir de la petite paysannerie indépendante.

Une manière de me maintenir en vie qui peut sembler peut-être futile, c'est d'écrire des romans.

En quête de réconfort, dèdè s'adonne alors à l'écriture et accepte sans se faire prier les invitations aux rencontres littéraires organisées en son honneur. Devant la gare d'une ville montagneuse, il fait la connaissance d'une femme aux "yeux couleur miel de sapin" venue l'accueillir. Point de départ d'une liaison amoureuse et sensuelle avec une lectrice de la première heure. Qu'on se le dise, cette idylle qui se terminera par une scène de castagne n'a rien à voir avec les romans à l'eau de rose vendus dans les kiosques de gares.

En regardant Marianne, si belle, je me dis: merde, où est la couille dans ce conte de fées?

Un écrivain voyageur

Après un intermède constitué de quatre brefs récits autobiographiques non fictifs, Jean-Pierre Rochat redonne la parole à son double dèdè qui relate une seconde histoire d'amour, tout aussi sensuelle. Cette fois, la rencontre avec Dina n'a pas lieu devant une gare mais dans un train les menant à Paris.

Misère, j'ai perdu toutes mes terres, mais j'ai gagné ce territoire de peau.

Peu importe que Jean-Pierre Rochat ait véritablement vécu une double passion amoureuse en la transposant sur le mode romanesque. L'auteur sème d'ailleurs au fil des pages quelques indices qui laissent à penser que tout cela n'est que littérature. Comme par exemple cette confidence sur l'oreiller: "L'écriture, ce sont des fantasmes préliminaires ou des souvenirs fantasmés". Ce qui importe, c'est la puissance rédemptrice que l'auteur accorde à l'amour, à la sensualité et à la découverte d'un nouveau "territoire de peau". Ainsi, l'écrivain paysan devient en fin de parcours écrivain voyageur, vers des territoires jusque-là inconnus.

Un exercice de sincérité

Dans "Roman de gares", Jean-Pierre Rochat évoque avec humour l'importance salutaire qu'occupe l'écriture dans sa nouvelle vie. Comme "un radeau de survie pour le paysan qui ne sait pas nager". L'auteur y parsème aussi des bribes de sa poétique personnelle et de ses rituels d'écriture. Admirable exercice de sincérité que cette confidence: "Il me faut du silence pour la concentration, même une odeur me perturbe, chaussettes propres et slip impeccable".

L'acte d'écriture a son exigence et commence par le respect de soi, jusque dans ses fondements les plus intimes…

Jean-Marie Félix/ld

Jean-Pierre Rochat, "Roman de gares", Les Editions d'Autre Part.

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