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Critiques de tous les films en compétition à Cannes

>> Spécialiste cinéma pour la RTS, et présent sur place à Cannes, Rafael Wolf visionne les vingt-deux films en compétition pour la Palme d'or de cette 77e édition du Festival de Cannes.

>> Retrouvez ici, tout au long du festival, ses critiques, chacune ponctuée d'une note allant de un à cinq.

>> Toute l'actualité du Festival de Cannes est à retrouver dans notre dossier .

Un dossier réalisé par RTS Culture

"Les graines du figuier sauvage" de Mohammad Rasoulof

Note: 5/5

Téhéran, au moment des protestations populaires consécutives à la mort de Mahsa Amini, Iman prend ses nouvelles fonctions de juge d'instruction au tribunal révolutionnaire. Sa femme Najmeh se réjouit de sa promotion et rappelle à ses deux filles, Rezvan et Sana, qu'elles doivent désormais être irréprochables dans leur comportement. Mais l'ampleur des manifestations dépasse Iman, confronté à ses filles qui soutiennent le mouvement. Quand son arme de service disparaît et que son nom est dévoilé publiquement, il glisse dans une spirale paranoïaque.

"Les Graines du figuier sauvage" de Mohammad Rasoulof en compétition à Cannes.
 "Les Graines du figuier sauvage" de Mohammad Rasoulof en compétition à Cannes.

Cinéaste iranien dissident qui a fui son pays afin d'échapper à une lourde peine de prison, Mohammad Rasoulof signe avec "Les Graines du figuier sauvage" un film d'une ampleur, d'une complexité et d'une modernité exemplaires. En explorant comment les filles d'Iman, d'abord ignorantes du métier de leur père, s'ouvrent à une conscience nouvelle, osant défier l'autorité de leur géniteur, tout en montrant la mue bien plus difficile de la mère, qui cherche avant tout à protéger ses acquis et à se conformer à la loi, Rasoulof développe au sein de cette cellule familiale toutes les tensions de l'Iran actuel.

Traversé par les images réelles, tournées sur téléphone portable, des horreurs commises par le régime sur sa population, le récit fait monter une tension progressive, sur près de trois heures, qui frôle le thriller paranoïaque. Avec, au final, l'image saisissante d'un trio féminin opposé à une figure de patriarche, symbole du régime dans son entier. Une œuvre forte, importante, douloureuse, mais vibrante d'espoir.

Rafael Wolf

"Les graines du figuier sauvage" de Mohammad Rasoulof, avec Misagh Zare, Soheila Golestani, Mahsa Rostami, Setareh Maleki. 

"Anora" de Sean Baker

Note: 5/5

Anora, qui préfère se faire appeler Ani, vit avec sa sœur à Brooklyn et exerce comme strip-teaseuse dans un club new-yorkais. Un jour, on lui demande de s'occuper d'Ivan, 21 ans, fils d'un richissime oligarque russe. Le jeune homme oisif tombe sous son charme et exige de passer une semaine avec elle. Une semaine de fêtes débridées, d'alcool, de drogue, et de virée à Las Vegas où, sur un coup de tête, Ivan épouse Ani. Mais à peine de retour à New York, le couple voit débarquer des hommes de main envoyés par les parents d'Ivan, bien décidés à faire annuler le mariage.

Débutant comme une version trash de "Pretty Woman", avant de bifurquer vers la comédie noire façon frères Coen, "Anora" colle au plus près à l'énergie volcanique de son héroïne aussi naïve que teigneuse, incarnée par l'incroyable Mikey Madison.

Une scène du film "Anora" de Sean Baker. [DR]
Une scène du film "Anora" de Sean Baker. [DR]

Exposant toute la vulgarité et la trivialité du rêve américain, Sean Baker confronte une génération de parents à une jeunesse biberonnée au néocapitalisme pour qui tout est argent et transaction. Comme dans ses précédents films ("Florida Project", "Red Rocket"), le cinéaste imagine un faux conte de fées porté par des marginaux magnifiques qu'il filme avec une empathie prodigieuse.

Et lorsque "Anora" crée insidieusement une relation improbable entre la jeune strip-teaseuse et un homme de main russe laconique, le récit touche au sublime, unissant deux êtres capables de se regarder en dehors des archétypes et des jugements péremptoires. Une rencontre fragile et précieuse, point d’orgue de cette œuvre résolument au sommet de cette compétition cannoise.

Rafael Wolf

"Anora" de Sean Baker, avec Mikey Madison, Mark Eidelstein. 

"Emilia Perez" de Jacques Audiard

Note: 5/5

La première odeur de Palme vient de nous effleurer les rétines et pourrait bien valoir à son auteur son second trophée cannois après "Dheepan" en 2015. Il faut dire qu' "Emilia Perez" est l’un de ces films rares qui ose tout et touche au sublime, déambulant avec virtuosité au-dessus d’un gouffre de ridicule dans lequel il ne tombe jamais.

L’histoire démarre au Mexique. Là, Rita (Zoé Saldana) brade ses talents d’avocate pour un cabinet cynique qui vient de blanchir l’auteur d’un féminicide déguisé en suicide. C’est alors qu’un coup de fil mystérieux l’amène devant Manitas, massif chef de cartel qui lui propose de devenir riche en échange d’une mission insolite: l’aider à devenir la femme qu’il a toujours rêvé de devenir.

"Emilia Perez", un film de Jacques Audiard présenté en compétition à Cannes. [DR - Shanna Besson]
"Emilia Perez", un film de Jacques Audiard présenté en compétition à Cannes. [DR - Shanna Besson]

La mission est accomplie, Manitas feint sa mort et devient Emilia Perez. Son épouse, jouée par Selena Gomez, et ses deux enfants sont exilés en Suisse. Quatre ans plus tard, Emilia refait surface et demande à Rita de ramener sa famille auprès d’elle, sous l’identité d’une tante ayant hérité de Manitas. Les deux femmes se lient d’amitié et créent une ONG destinée à retrouver les victimes des narcotrafiquants, comme si Emilia tentait de réparer les horreurs commises par Manitas.

Un film aussi imprévisible que fascinant

Sur cette trame improbable ponctuée de numéros de comédie musicale d’une modernité et d’une énergie ébouriffante, "Emilia Perez" pose au cœur de son récit l’idée de changement, de genre, de sexe, de vie, et questionne une sororité qui s’oppose à la violence des hommes.

Mêlant film de gangsters, soap opera, romance, mélodrame familial, le résultat change lui-même sans cesse de direction, aussi imprévisible que fascinant. Le tout accompagné par une bande originale composée par Camille et Clément Ducol, digne d’un opéra aux accents de folklore mexicain, de hip-hop urbain et de musique classique.

>> A écouter, la critique du film "Emilia Perez" et une interview du réalisateur Jacques Audiard :

Le réalisateur français Jacques Audiard sur le tapis rouge pour son film "Emilia Perez" le 18 mai 2024 à Cannes. [AFP - Sameer Al-Doumy]AFP - Sameer Al-Doumy
Jacques Audiard / Vertigo / 6 min. / le 20 mai 2024

Karla Sofia Gascon, époustouflante

A ce stade, s’il faut souligner les performances impressionnantes de Zoé Saldana et de Selena Gomez, la bombe du film s’appelle Karla Sofia Gascon. Ex-acteur espagnol qui a fait sa transition il y a six ans, elle incarne à l’écran un personnage crédible, réel et bouleversant, essentiel à la réussite majeure d' "Emilia Perez".

L'actrice espagnole Karla Sofia Gascon à Cannes pour le film "Emilia Perez" de Jacques Audiard. [Anadolu via AFP - MUSTAFA YALCIN]
L'actrice espagnole Karla Sofia Gascon à Cannes pour le film "Emilia Perez" de Jacques Audiard. [Anadolu via AFP - MUSTAFA YALCIN]

L’aspect documentaire lié à son interprétation contraste par ailleurs magnifiquement avec l’artifice global du film qui reproduit les rues de Mexico, de Lausanne et de Londres dans un studio parisien.

En parvenant encore une fois à réinventer son propre cinéma, à l’aune de sujets sociaux ultra-contemporains qu’il aborde plus avec humanisme qu’avec militantisme, Jacques Audiard signe un grand film trans, dans tous les sens du terme, qui transforme même un baron de la drogue en sainte madone. Une Palme, on vous dit!

"Emilia Perez" de Jacques Audiard, avec Zoe Saldana, Selena Gomez, Karla Sofia Gascon

"Bird" d’Andrea Arnold

Note: 5/5

Bailey a 12 ans et vit avec son demi-frère Hunter et son père Bug dans un squat d’une petite ville anglaise. Quand Bug installe sa nouvelle compagne chez eux, et annonce qu’il se mariera dans quelques jours, Bailey prend très mal cette nouvelle lubie de son paternel, qui espère expulser d’un crapaud volé à des trafiquants de drogue quelques grammes de cocaïnes pour financer ses noces. Alors qu’elle expérimente ses premières règles, et qu’elle s’ouvre timidement à sa féminité, Bailey croise le chemin d’un mystérieux homme errant, prénommé Bird, à la recherche de ses parents dont il a tout oublié. 

Rythmé par une bande son composée de musique hip-hop ou de morceaux de Blur ou des Fountaines D.C., "Bird" s’affirme comme un récit initiatique au style ultra-réaliste. Après "Red Road", "Fish Tank" et "American Honey", la cinéaste Andrea Arnold continue à s’attacher à une mise en scène virtuose dominée par une caméra très mobile qui capte l’énergie de ses personnages, sans l’ombre du misérabilisme qui guette souvent un certain cinéma social.

>> A écouter, "Bird" d'Andrea Arnold, un vrai coup de coeur pour le critique Rafael Wolf :

Une image du film "Bird" d’Andrea Arnold. [DR]DR
"Bird" d'Andrea Arnold, un vrai coup de coeur pour le critique Rafael Wolf / Vertigo / 1 min. / le 22 mai 2024

La grande force du film est de ne jamais réduire ses protagonistes à des raccourcis sociologiques et ose par ailleurs l’incursion impromptue de visions mentales ou rêvées de Bailey, jusqu’à un final dont on ne dévoilera rien, sinon qu’il embrasse pleinement le fantastique, flirtant avec "Le règne animal" de Thomas Caillet.

En résulte un portrait à la fois dur et lumineux de parents qui n’ont jamais vraiment quitté le stade de l’adolescence, au mieux démissionnaires, au pire destructeurs, incapables de s’occuper correctement d’enfants et d’ados livrés à eux-mêmes et obligés, comme Bailey, à devenir adulte trop rapidement.

Et si le lien qui unit Bailey à Bird paraît de prime abord un peu trop schématique (la liberté contre l’enfermement), il trouble de manière bien plus surprenante les frontières entre le passé et le présent, entre le monde des hommes et le monde des animaux, accompagnant l’acceptation progressive de la jeune héroïne par elle-même et par ses proches.

Il y a une beauté bouleversante à voir des êtres qui ont passé la majorité du film à ses heurter, à se confronter, pouvoir se serrer l’un contre l’autre dans une étreinte qui apparaît comme le geste d’humanité le plus essentiel à "Bird". Geste qu’Andrea Arnold parvient à filmer avec une grâce absolue.

"Bird" d’Andrea Arnold, avec Barry Keoghan, Franz Rogowski. 

"La plus précieuse des marchandises" de Michel Hazanavicius

Note: 4/5

Un couple de bûcherons vit au fin fond d'une forêt polonaise. L'épouse pleure encore la mort de son enfant et implore les dieux de lui envoyer un cadeau au moment où les trains passent, transportant les juifs vers Auschwitz. Un jour, elle entend les cris d'un nouveau-né qu'elle recueille contre l'avis de son mari, celui-ci partageant avec la population locale une haine féroce contre ce peuple de "sans-cœur". La fillette est élevée grâce à l'amour de la bûcheronne, au lait d'un homme au visage ravagé, à l'empathie du bûcheron qui change d'avis à son propos, tandis que le destin tragique de sa famille, de sa mère, de son père et de sa sœur jumelle, nous est montré en parallèle.

Une image du film "La plus précieuse des marchandises" de Michel Hazanavicius.
Une image du film "La plus précieuse des marchandises" de Michel Hazanavicius.

Adapté du roman de Jean-Claude Grumberg, "La plus précieuse des marchandises" s'impose comme un film d'animation épuré, très beau, qui observe la Shoah par un angle formidablement singulier. Un conte raconté, en voix off, par Jean-Louis Trintignant, qui puise dans sa durée brève et dans la simplicité de son propos une émotion assez forte.

En suivant le père de la fillette dans le camp d'Auschwitz, Michel Hazanavicius n'élude par les horreurs nazies lors de quelques images-chocs qui éloignent a priori ce film d'animation d'un public d'enfants. Une histoire de lumière au cœur des ténèbres, préférant aux dieux absents la présence bien réelle d'êtres humains à la bonté exceptionnelle, qui rappelle qu'en dehors de l'amour pour les enfants, les siens et ceux des autres, tout le reste n'est que silence.

Rafael Wolf

"La plus précieuse des marchandises" de Michel Hazanavicius, avec les voix de Jean-Louis Trintignant, Dominique Blanc. 

"All We Imagine As Light" de Payal Kapadia

Note: 4/5

Infirmière à Mumbai, Prabha reçoit un autocuiseur de son mari, parti travailler en Allemagne, époux qu'elle n'a plus vu depuis des années. Anu, sa jeune colocataire, s'évertue à trouver un endroit discret pour s'abandonner aux caresses de son fiancé. Un séjour dans une station balnéaire met les deux femmes face à leur avenir.

Minimaliste, épuré, "All We Imagine As Light" s'appuie sur un récit simple qui contraste l'histoire d'une femme cherchant à oublier son mari absent et une autre tentant de vivre pleinement son amour. La frénésie de Mumbai laisse place au calme de la nature dans un final d'une beauté discrète qui révèle les désirs, les frustrations et les aspirations de ce duo féminin.

"All we imagine as light" de Payal Kapadia en compétition à Cannes.
"All we imagine as light" de Payal Kapadia en compétition à Cannes.

Sans être mémorable, le film impose une singularité et une justesse remarquables qui doivent beaucoup à la sobriété de l'ensemble, à un rythme sans hâte et au regard subtil que la cinéaste porte sur ses deux personnages.

Rafael Wolf

"All We Imagine As Light" de Payal Kapadia, avec Kani Kusruti, Divya Prabha. 

"The Apprentice" d'Ali Abbasi

Note: 4/5

Années 1970. Vivant dans l'ombre d'un père méprisant menacé par un procès pour discrimination à la location, le jeune Donald Trump (Sebastian Stan, impeccable de finesse) rêve d'un grand projet immobilier new-yorkais. Personne ne le prend encore au sérieux, sauf Roy Cohn, un avocat redouté qui devine un grand potentiel en lui. Le mentor remporte le procès des Trump avant de faire de Donald son disciple et lui apprendre les règles de la réussite à l'américaine.

Biopic très libre, "The Apprentice" suit la trame classique d'un récit initiatique sur fond de pacte faustien. Première surprise: le cinéaste danois d'origine iranienne, Ali Abbasi, ose susciter l'empathie du public à l'égard de son héros avant de la déplacer, en fin de film, sur la figure pathétique de Roy Cohn, trahi par celui à qui il a tout transmis.

Le film "The Apprentice" d'Ali Abbasi présenté en compétition à Cannes.
Le film "The Apprentice" d'Ali Abbasi présenté en compétition à Cannes.

On ne nait pas monstre

On ne nait pas monstre, on le devient souligne "The Apprentice" qui, en assumant cette absence de diabolisation immédiate, montre avant tout que le système américain dans son entier est responsable de la fabrication de créatures aussi épouvantables que Trump ou Cohn.

Même dans sa rencontre initiale avec une jeune mannequin du nom d'Ivana, qu'il séduit avec une maladresse adolescente presque touchante, Trump ne dévoile pas encore sa face la plus odieuse, explosant plus tard lorsqu'il viole son épouse dans une scène qui a déjà fait couler pas mal d'encre.

Doublé d'un portrait fascinant du New York délabré des années 1970, avant la frénésie néo-capitaliste des années Reagan, "The Apprentice" choisit qui plus est de ne pas raconter l'ascension de Trump à travers la forme d'un biopic flamboyant, mais comme un épisode de série télé qui renvoie son personnage à la vulgarité de sa destinée. Un film inattendu et pertinent qui pourrait valoir à son interprète un prix cannois.

Rafael Wolf

"The Apprentice" d'Ali Abbasi, avec Sebastian Stan, Jeremy Strong, Maria Bakalova. 

"The Substance" de Coralie Fargeat

Note: 4/5

Ancienne star du grand écran, Elisabeth Sparkle (Demi Moore) est sur le point de se faire virer comme une malpropre de son émission télévisée d’aérobic, considérée comme trop âgée par l’odieux producteur du show (Dennis Quaid). Par l’intermédiaire d’un infirmier, elle est invitée à tester un mystérieux produit chimique: la substance. Après s’être injecté le sérum, son corps expulse par le dos une autre version d’elle-même sous la forme d’une superbe femme plus jeune: Sue (Margaret Qualley).

>> A écouter, extraits de la conférence de presse de Demi Moore et critique du film "The Substance" :

"The Substance" de Coralie Fargeat, avec Demi Moore. [DR - Christine Tamalet]DR - Christine Tamalet
"The Substance": extraits de la conférence de presse de Demi Moore et critique du film / Vertigo / 5 min. / le 22 mai 2024

Les règles sont simples: une semaine pour l’une pendant que l’autre sommeille, et vice-versa. Des poches de nourriture pour faire subsister son double; un équilibre strict à respecter, Sue et Elisabeth restant organiquement liées. Quand Sue, engagée pour une nouvelle émission par l’ancien producteur d’Elisabeth, goûte à l’ivresse de la célébrité, les règles vont être brisées, entraînant des conséquences irréversibles.

Un frénésie sidérante

Déjà autrice de "Revenge", un rape and revenge anglophone particulièrement teigneux sorti en 2017, Coralie Fargeat vient de secouer la compétition cannoise avec sans nul doute le film le plus fou vu depuis des lustres.

Le risque de voir "The Substance" tourner en rond autour de son concept en forme de variation sur "Le portrait de Dorian Gray" était grand. Mais après une demi-heure, le film ne cessera de pousser son idée de départ jusqu’à ses extrêmes avec une frénésie sidérante. Faisant fi de tout bon goût, le film fonce tête baissée dans la satire grotesque, la comédie burlesque et le gore le plus répugnant dans une dénonciation féroce des diktats de la jeunesse et de la beauté.

Un délire orgasmique

Dans la peau d’un producteur immonde, logiquement prénommé Harvey, Dennis Quaid en fait des tonnes pour notre plus grand bonheur tandis que Demi Moore se met littéralement à nu dans ce rôle aussi gonflé qu’introspectif.

Truffé de références à "La mouche" de Cronenberg et à "Shining" de Kubrick, "The Substance" provoque l’hilarité, le dégoût, la stupéfaction dans un festival d’excès délirant proprement orgasmique.

"The Substance" de Coralie Fargeat, avec Demi Moore, Margaret Qualley. 

"L'amour ouf" de Gilles Lellouche

Note: 3/5

Dans une ville ouvrière au nord de la France, années 1980. Elève brillante, Jackie s'amourache de Clotaire, petit caïd qui vit sans aucune perspective d'avenir. Leur amour fusionnel explose le jour où Clotaire écope de dix ans de prison pour un meurtre commis par le fils du chef de gang qu'il a rejoint. Une fois sa peine purgée, Clotaire apprend que Jackie s'est mariée et mène une existence bourgeoise en apparence heureuse. Mais Jackie ne l'a jamais oublié, obsédée par son ancien amant.

"L'amour ouf" de Gilles Lellouche en compétition à Cannes. [Trésor Films]
"L'amour ouf" de Gilles Lellouche en compétition à Cannes. [Trésor Films]

Adapté du roman de Neville Thompson, "L'amour ouf" s'étire sur près de trois heures saturées de tubes musicaux de l'époque. Gilles Lellouche ne manque ni d'ambition ni de désir de cinéma avec un grand C, osant le mélodrame grandiose où l'amour de Jackie tente de désamorcer la violence de Clotaire. L'acteur-réalisateur parvient par instants à toucher au vertige à travers une mise en scène opératique qui finit tout de même par ressembler un peu trop à l'ouvrage appliqué d'un fan de Martin Scorsese.

Si la question du choix est au cœur du film, le résultat aurait sans doute gagné à opérer lui-même davantage de partis pris, tombant régulièrement dans la redondance, la répétition ou l'éparpillement. Une œuvre boursouflée, baroque, plus fascinante dans ses moments que dans son ensemble.

Rafael Wolf

"L'amour ouf" de Gilles Lellouche, avec Adèle Exarchopoulos, François Civil. 

"Grand Tour" de Miguel Gomes

Note: 3/5

Rangoon, Birmanie, 1917. Fonctionnaire de l'Empire britannique, Edward s'enfuit le jour où il devait épouser sa fiancée Molly. Déterminée à se marier, Molly part à sa recherche et suit les traces de son Grand Tour à travers l'Asie, de Singapour à la Thaïlande, en passant par le Vietnam, les Philippines, le Japon.

Le film "Grand Tour" de Miguel Gomes en compétition à Cannes.
Le film "Grand Tour" de Miguel Gomes en compétition à Cannes.

Drôle de film que cette grande roue géographique et temporelle, traversé par une voix off qui raconte l'histoire en changeant à chaque étape de narrateur et de langue. Mêlant images du passé et du présent, noir et blanc et couleurs, tournage en studio et plans documentaires, anachronisme (un téléphone portable en 1917), Miguel Gomes déploie une œuvre où le temps se retrouve suspendu, comme en boucle. Le cinéaste portugais, responsable du génial "Les 1001 nuits", continue à créer des dispositifs formels assez fascinants, même si le récit qui charpente ce "Grand Tour" peine ici à intéresser pour lui-même.

Rafael Wolf

"Grand Tour" de Miguel Gomes, avec Crista Alfaiate. 

"Marcello Mio" de Christophe Honoré

Note: 3/5

Alors qu'elle vient de passer un casting pour le tournage du nouveau film de Nicole Garcia, aux côtés de Fabrice Lucchini, Chiara Mastroianni se voit comparée une énième fois à son père et à sa mère. L'actrice décide sur un coup de tête d'endosser la vie de Marcello Mastroianni, de se grimer comme lui, de se comporter comme lui, chamboulant le regard que ses proches portent sur elle.

En partant sur cette idée à la fois audacieuse, burlesque et émouvante, "Marcello Mio", joue avec une certaine drôlerie sur un groupe d'acteurs et de chanteurs (Catherine Deneuve, Benjamin Biolay, etc.) qui composent une variation ludique autour de leur propre personnage. La question de l'identité, du lien aux parents, est au centre de ce film qui puise sa force dans la transformation de Chiara Mastroianni, ressuscitant en quelque sorte un père dont l'absence demeure douloureuse.

>> A écouter, débat critique autour de "Marcello Mio" de Christophe Honoré suivi d'extraits de la conférence de presse donnée à Cannes par l'équipe du film: :

Catherine Deneuve dans le film "Marcello Mio" de Christophe Honoré. [DR]DR
Débat critique autour de "Marcello Mio" de Christophe Honoré / Vertigo / 6 min. / le 22 mai 2024

On reste toutefois pas totalement convaincu par cette œuvre qui privilégie les réactions des proches de Chiara au lieu de développer son idée de départ dans une direction plus troublante, entre fiction et documentaire, mythologie de Mastroianni et réalité de Chiara, quand bien même la renaissance symbolique de la comédienne en fin de film touche réellement.

>> A voir, une interview de Christophe Honoré à propos de "Marcello Mio" :

Durant le Festival de Cannes, le réalisateur français Christophe Honoré a présenté son dernier film "Marcello Mio", une comédie à la nostalgie et à la poésie touchante
Durant le Festival de Cannes, le réalisateur français Christophe Honoré a présenté son dernier film "Marcello Mio", une comédie à la nostalgie et à la poésie touchante / 19h30 / 1 min. / le 25 mai 2024

Il aurait sans doute fallu se risquer à davantage de scènes comme celle, magnifique, où Catherine Deneuve embrasse par mégarde sa propre fille, pensant qu'il s'agit de son ancien amant, pour perturber vraiment notre regard et confondre plus profondément Chiara et son père.

"Marcello Mio" de Christophe Honoré, avec Chiara Mastroianni, Catherine Deneuve, Fabrice Luchini, Nicole Garcia, Benjamin Biolay, Melvil Poupaud, Hugh Skinner.

A voir sur les écrans romands dès le 22 mai 2024.

"Limonov - la ballade" de Kirill Serebrennikov

Note: 3/5

Adapté du roman d’Emmanuel Carrère, "Limonov – la ballade" retrace le parcours protéiforme d’Edouard Limonov, des années 1950 à 2020, date de sa mort.

De Kharkov, ville d’Ukraine, jusqu’à Moscou, en passant par New York, Paris et les prisons de Sibérie, le film tente de rendre compte de l’existence excentrique de cet homme tour à tour militant, révolutionnaire, dandy, bandit, majordome, SDF, puis poète provocateur, agitateur politique et romancier mégalomane.

>> "Liminov - la ballade" de Kirill Serebrennikov, avec Ben Whishaw : "Liminov - la ballade" de Kirill Serebrennikov, avec Ben Whishaw [DR]
"Liminov - la ballade" de Kirill Serebrennikov, avec Ben Whishaw [DR]

Un grand fourre-tout

Brassant les mutations de l’URSS sur plusieurs décennies, Kirill Serebrennikov ("Leto", "La fièvre de Petrov") signe une œuvre à la mise en scène très rock’n’roll rythmée par les tubes du Velvet Underground. Un grand fourre-tout par moments assez vertigineux où se retrouvent, pêle-mêle, des références à la guerre en Ukraine, le nationalisme, la dissidence, la décadence, l’opportunisme, la misogynie, incarnée par un personnage détestable que le cinéaste observe sans réel point de vue.

>> A voir aussi, le sujet sur le film dans le 12h45 :

Dans « Limonov la ballade », le parcours hors norme d'un écrivain russe controversé
Dans « Limonov la ballade », le parcours hors norme d'un écrivain russe controversé / 12h45 / 2 min. / le 24 mai 2024

Si l'acteur Ben Whishaw s’avère remarquable, on reste un peu sur notre faim face à ce récit qui s’attarde sur la partie new-yorkaise tout en survolant d’autres périodes plus paradoxales. A trop hésiter entre un récit plus court qui se serait concentré sur un moment de l’existence de son héros et une fresque qui, en l’état, aurait dû durer une heure de plus pour prétendre à une ampleur romanesque digne du personnage, "Limonov – la ballade" déçoit quelque peu de la part de Serebrennikov.

"Limonov – la ballade" de Kirill Serebrennikov, avec Ben Whishaw, Masha Mashkova.

"Caught by the tides" de Jia Zhang-Ke

Note: 3/5

Chine, début des années 2000. Chanteuse et danseuse, Qiao vit une histoire d’amour passionnelle avec Bin, un promoteur musical cynique. Quand ce dernier disparaît pour tenter sa chance dans une autre province, Qiao décide de partir à sa recherche.

Une image du film de Jia Zhang-Ke "Caught by the tides". [Festival de Cannes - X Stream Pictures]
Une image du film de Jia Zhang-Ke "Caught by the tides". [Festival de Cannes - X Stream Pictures]

Des Jeux Olympiques de 2008 au Covid en 2022, en passant par l’ouverture du gigantesque barrage des Trois-Gorges en 2003, le cinéaste Jia Zhang-Ke ("A touch of sin", "Les éternels") retrace 25 ans de l’histoire mouvementée de son pays à travers un couple qui ne cesse de se séparer puis de se retrouver.

Sur fond de patriotisme, d’affiche délétère de Mao, d’exil forcé de millions d’exilés déplacés à cause du barrage, "Caught by the tides" révèle les mutations profondes, sociales et architecturales, qui ont touché la Chine moderne. Il faudra toutefois attendre la dernière partie très mélancolique du film, située en 2022, pour réellement adhérer à cette épopée que le cinéaste restitue à travers un montage déroutant d’images documentaires et fictionnelles, de formats et de textures hétérogènes, au fil d’un récit décousu dont on peine souvent à suivre le cours précis.

"Caught by the tides" de Jia Zhang-Ke, avec Zhao Tao, Zhubin Li. 

"Oh, Canada" de Paul Schrader

Note: 3/5

Au seuil de la mort, Leonard Fife (Richard Gere), célèbre documentariste canadien, accepte une ultime interview en forme de testament accordée à un ancien étudiant de cinéma. Très vite, la confession à laquelle assiste la dernière épouse de Fife (Uma Thurman) s’embrouille dans les méandres d’un passé aux allures de puzzle incomplet, ou trompeur.

Quarante-quatre ans après "American Gigolo", Richard Gere retrouve le cinéaste Paul Schrader pour cette adaptation d’un roman de Russell Banks, auquel le film est dédié. Excellent, l’acteur incarne avec subtilité et intensité ce personnage qui rappelle à ses souvenirs les multiples femmes ayant traversé son existence par le biais de flashbacks récurrents.

Richard Gere et Uma Thurman dans le film "Oh, Canada". [DR]
Richard Gere et Uma Thurman dans le film "Oh, Canada". [DR]

Un homme qui n’aura fait que fuir ses différentes amantes, fuir sa paternité, fuir son pays pour éviter de partir au Vietnam avant de franchir la frontière entre les Etats-Unis et le Canada comme on passe de la vie à la mort.

Un beau film dont on reste toutefois un peu distant, tant le récit est troué de béances dramaturgiques (on ne nous montrera jamais vraiment comment ce cinéaste est devenu une icône du documentaire engagé) et tant le film oscille sans cesse entre une structure en flashbacks plutôt alambiquée et une forme de simplicité rare qui apportait toute leur force aux précédents et supérieurs longs métrages de Schrader, comme "Master Gardener", "The Card Counter" ou "First Reformed".

"Oh, Canada" de Paul Schrader, avec Richard Gere, Uma Thurman. 

"Trois kilomètres jusqu’à la fin du monde" d’Emanuel Parvu

Note: 3/5

Adi, 17 ans, étudiant à Tulcea, passe l’été dans son village natal perdu dans le delta du Danube. Un soir, il est violemment agressé dans la rue. Son père culpabilise, pensant aux représailles de l’homme le plus influent de la région à qui il doit de l’argent. Le lendemain, la police mène l’enquête et découvre que les deux fils de cet homme ont tabassé Adi parce qu’il est gay. Dans le village aux traditions archaïques, l’enquête est étouffée, chacun préférant taire l’homosexualité du jeune homme plutôt que de provoquer le scandale.

Une image du film "Trois kilomètres jusqu'à la fin du monde" d'Emanuel Parvu. [Festival de Cannes - © Vlad Dumitrescu]
Une image du film "Trois kilomètres jusqu'à la fin du monde" d'Emanuel Parvu. [Festival de Cannes - © Vlad Dumitrescu]

Exorcisme pratiqué par un prêtre convaincu que le vaccin du Covid serait responsable du "mal" qui touche Adi. Police corrompue qui tente d’enterrer l’affaire. Parents qui séquestrent leur fils. Le microcosme décrit dans ce troisième film du roumain Emanuel Parvu laisse pantois. Un monde pourtant à quelques kilomètres à peine de la modernité, de la tolérance et de la justice, et dans lequel la victime est désigné comme le coupable.

Le sujet est fort. Le traitement glaçant. Et la vision d’une Roumanie rurale où l’on regrette l’époque de Ceausescu fait froid dans le dos. Manque sans doute une réelle singularité à cette œuvre à la mise en scène maîtrisée, en plan long et en écran large. En l’état, le film suit un peu trop scolairement les rails thématiques et esthétiques d’un certain cinéma roumain de festival prestigieux.

"Trois kilomètres jusqu’à la fin du monde" d’Emanuel Parvu, avec Bogdan Dumitrache

"Diamant brut" d’Agathe Riedinger

Note: 3/5

Liane, 19 ans, vit avec sa mère démissionnaire et sa petite sœur à Fréjus. Obsédée par son apparence et par le besoin de devenir célèbre, elle nourrit son compte Instagram de vidéos aguichantes dans l’espoir de devenir une influenceuse admirée. Repérée par une productrice d’une émission de télé-réalité, elle est convoquée à un casting et en sort convaincue d’avoir été choisie. Dès lors, elle se voit déjà promise à un avenir de rêve.

Une image du film "Diamant brut" d'Agathe Riedinger. [Silex Films]
Une image du film "Diamant brut" d'Agathe Riedinger. [Silex Films]

Premier long-métrage issu d’un court déjà réalisé par Agathe Riedinger, "Diamant brut" vaut avant tout par la performance très naturelle de sa comédienne débutante, une mise en scène organique qui colle à son héroïne sans jamais la surplomber et une esthétique réaliste que des lumières trop blanches rendent légèrement onirique. Mais si ce récit initiatique d’une cagole ultra-connectée se veut en phase avec son époque, il en oublie de creuser au-delà du superficiel et de la vulgarité pour permettre au public de s’émouvoir d’un personnage pour lequel on ne ressent, en l’état, qu’une relative indifférence, sinon un vrai rejet.

La relation tendue avec cette mère irresponsable, la romance sans avenir avec un jeune cabossé de la vie, la petite sœur qui se comporte déjà comme Liane et le groupe d’amies qui entoure l’héroïne ne parviennent pas à donner de la substance à un film un peu schématique.

"Diamant brut d’Agathe Riedinger, avec Malou Khebizi, Andréa Bescond

"Motel Destino" de Karim Aïnouz

Note: 2/5

Sur la côte nord-est du Brésil, le jeune Heraldo s'échappe du gang pour lequel il travaille, accusé d'avoir provoqué la mort de son meilleur ami. Il trouve refuge au Motel Destino, cloaque où les locaux viennent louer une chambre le temps d'un rapport sexuel. Engagé sur place, Heraldo entame une relation fiévreuse et secrète avec Dayana, l'épouse d'Elias, propriétaire des lieux.

"Motel Destino" de Karim Aïnouz en compétition à Cannes. [DR]
"Motel Destino" de Karim Aïnouz en compétition à Cannes. [DR]

Filmé dans un festival de couleurs saturées, un écrin fauve qui constitue sa principale, sinon unique qualité, "Motel Destino" déroule son récit sans jamais parvenir à nous faire adhérer un tant soit peu aux personnages où à ce qui nous est raconté. Le cinéaste insiste sur l'animalité du sexe pratiqué au sein de ce temple rouge, deux ânes copulent hors du motel, les pulsions dominent la raison, pour une énième variation sordide autour du "Facteur sonne toujours deux fois", le propriétaire du Motel Destino devenant l'homme à abattre pour que Heraldo et Dayana puissent former le couple qu'ils rêvent d'être.

Anecdotique, le film s'enfonce au final dans une réflexion on ne peut plus convenue sur le destin, comme pour clarifier ce que le titre annonçait clairement. Merci, on avait compris.

Rafael Wolf

"Motel Destino" de Karim Aïnouz, avec Nataly Rocha. 

"Parthenope" de Paolo Sorrentino

Note: 2/5

Naples, 1950. Parthenope naît dans la mer et hérite de son prénom en référence à la sirène mythologique. 18 ans plus tard, le bébé est devenu une sublime jeune femme, déesse admirée par la gent masculine, qui ne sait pas encore comment vivre ses premiers émois amoureux. Après le suicide de son frère, ses parents s'éloignent d'elle, la tenant responsable de cette tragédie. Entre différents hommes qui entrent et sortent de sa vie, ses études brillantes en anthropologie, jusqu'à la fin du film, située en 2023, le récit traverse le destin imprévisible de cette jeune femme.

Fresque aux images ultraléchées, fascinée par la beauté et par la laideur, "Parthenope" se veut une réflexion poético-mélancolique sur le temps qui passe, sur l'amour, sur la liberté qui saura plaire sans doute aux amateurs de Paolo Sorrentino ("La grande Bellezza", "Youth").

On avoue pour notre part notre aversion devant cet étalage de poésie publicitaire qui nous a surtout intéressés dans la relation platonique qui se noue entre un vieux professeur d'anthropologie (Silvio Orlando) et Parthenope (Celeste Dalla Porta).

Irritant, le reste dévoile le regard d'un vide abyssal que porte un cinéaste démiurge sur son héroïne à laquelle il fait mine de s'intéresser alors qu'elle ne dépasse jamais le stade de la marionnette fantasmée. Quant au contexte global de l'Italie, des années 1950 à aujourd'hui, Sorrentino s'en fiche comme de son premier travelling, condamnant son film à rester au niveau de la fable chic et toc.

Rafael Wolf

"Parthenope" de Paolo Sorrentino, avec Celeste Dalla Porta, Silvio Orlando, Gary Oldman, Stefania Sandrelli. 

"Les linceuls" de David Cronenberg

Note: 2/5

Incapable de faire le deuil de son épouse, décédée d’un cancer, Karsh (Vincent Cassel), un homme d’affaires réputé a inventé un système novateur, GraveTech, qui permet aux vivants de voir leurs morts dans leurs linceuls. Une nuit, plusieurs tombes, dont celle de sa femme, sont vandalisées. Karsh se met en quête des coupables, aidé par son beau-frère et la sœur de son épouse disparue.

Parsemé d’images morbides de cadavres en putréfaction, "Les linceuls" développe une intrigue nébuleuse et paranoïaque autour d’un groupe secret caché en Islande, de saboteurs chinois, tout en explorant l’obsession de son héros à l’égard du corps défunt de son épouse. Le tout sur fond de technologie, d’intelligence artificielle, d’avatar et de piratage informatique.

Si l’on perçoit sans trop de peine la dimension autobiographique des "Linceuls", David Cronenberg ayant lui-même perdu sa femme en 2017, le film se noie très rapidement dans un bavardage incessant, des dialogues redondants, le cinéaste préférant mettre en avant un aspect purement verbal au détriment des visions saisissantes autrefois au cœur de ses chefs-d’œuvre.

Un pensum prétentieux et soporifique qui n’a plus grand-chose à voir avec l’immense cinéma allégorique de l’auteur de "La mouche", "Faux-semblants" ou "Videodrome".

"Les linceuls" de David Cronenberg, avec Vincent Cassel, Diane Kruger. 

"Kinds of Kindness" de Yorgos Lanthimos

Note: 2/5

Un banal employé remet tous ses choix de vie entre les mains de son patron. Ce dernier, véritable démiurge dictant l’alimentation, les heures de lever et de coucher, les fréquences des ébats sexuels de son subalterne, lui demande un jour de percuter une voiture sans autre raison que de prouver sa dévotion.

L’employé refuse et met ainsi en péril les fondations de son existence. Un policier dont la femme a disparu en mer voit sa dulcinée revenir, mais le comportement inhabituel de celle-ci l’amène à penser qu’il s’agit d’une autre. Enfin, une femme, vivant au sein d’une communauté dont les membres se réservent sexuellement pour leurs gourous, tente de trouver une personne dotée d’un pouvoir surnaturel et destinée à devenir le chef spirituel du groupe.

A travers ces trois histoires distinctes, l’auteur de "Lobster" et du récent "Pauvres créatures" signe une comédie aussi noire que cynique en forme de variations autour d’un même thème: jusqu’où est-on prêt à aller par amour et par dévotion?

>> A écouter, les critiques de Philippe Congiusti et de Rafael Wolf sur le film "Kinds of Kindness" :

"Kinds of Kindness" de Yorgos Lanthimos. [DR]DR
"Kinds of Kindness" de Yorgos Lanthimos: critiques de Philippe Congiusti et de Rafael Wolf / Vertigo / 3 min. / le 22 mai 2024

Si le premier segment s’avère de loin le plus intéressant, et que l’on assiste avec une certaine jubilation aux changements de rôles des mêmes interprètes, incarnant chacun et chacune trois personnages différents, on retombe rapidement dans les travers du cinéma de Lanthimos qui appuie le moindre de ses effets faussement provocateurs et souligne son surréalisme de surface avec une pesanteur assommante.

Les amateurs de "Pauvres créatures" aimeront. Les autres attendront la fin du film comme une libération bien méritée.

"Kinds of kindness" de Yorgos Lanthimos, avec Emma Stone, Willem Dafoe. 

"Megalopolis" de Francis Ford Coppola

Note: 2/5

A 85 ans, le cinéaste doublement palmé pour "Conversation secrète" et "Apocalypse Now" revient en compétition à Cannes. Et c’est peu dire qu’on attendait ce nouveau film, treize ans après "Twixt", son dernier en date, avec un mélange d’excitation et d’appréhension.

Fresque aux ambitions colossales que le cinéaste a rêvée pendant des décennies avant de la produire avec ses propres deniers, "Megalopolis" nous emmène dans une Amérique dystopique et décadente. Cesar Catilina (Adam Driver), un architecte visionnaire, s’oppose à Ciceron (Giancarlo Esposito), le maire conservateur de la ville de New Rome, version futuriste de New York, pour reconstruire la cité sur des bases plus durables.

Parallèlement, le fille du maire, Julia (Nathalie Emmanuel), jet-setteuse en apparence superficielle, tombe amoureuse de Cesar qui la détourne des valeurs rétrogrades de son père.

>> A écouter, une chronique et une critique sur le film "Megalopolis" de Francis Ford Coppola :

Le réalisateur américain Francis Ford Coppola de retour en compétition au Festival de Cannes. [Keystone]Keystone
Francis Ford Coppola, le retour. / Vertigo / 5 min. / le 20 mai 2024

Si la première demi-heure parvient à séduire, grâce à des séquences d’une outrance assez jubilatoire, puis par quelques fulgurances, notamment quand le personnage joué par Adam Driver arrête littéralement la marche du temps, le film dans son ensemble s’enfonce progressivement dans une allégorie pachydermique des Etats-Unis, imprégnée de références directes à la Rome antique et à Shakespeare.

Le tout adoptant un ton si sentencieux et démonstratif qu’on en arrive à regretter déjà que cet hymne maladroit au genre humain et à son avenir puisse devenir le film-testament de Coppola.

"Megalopolis" de Francis Ford Coppola, avec Adam Driver, Nathalie Emmanuel, Talia Shire, Dustin Hoffman, Jon Voigt, Giancarlo Esposito, Aubrey Plaza, Shia LaBoeuf. 

"La jeune fille à l'aiguille" de Magnus von Horn

Note: 2/5

Copenhague, 1918. Jeune ouvrière, Karoline est expulsée de son appartement alors que son mari, parti à la guerre, est supposé mort. Le patron de l’usine qui l’emploie s’amourache d’elle et la met enceinte. Mais après lui avoir promis de l’épouser, son amant la délaisse. Le mari de Karoline réapparaît soudain, gueule cassée de la Grande Guerre, au moment où Karoline accouche d’une fillette qu’elle se résout à abandonner à la directrice d’une agence d'adoption clandestine où elle accepte un rôle de nourrice.

Une image du film "La jeune femme à l'aiguille" de Magnus von Horn, avec Trine Dyrholm. [Festival de Cannes]
Une image du film "La jeune femme à l'aiguille" de Magnus von Horn, avec Trine Dyrholm. [Festival de Cannes]

Inspiré de l’histoire vraie la plus controversée de l’histoire du Danemark, "La jeune femme à l’aiguille" épouse la lutte permanente pour survivre de son héroïne tragique. Dans un noir et blanc ciselé, en format carré, le film bifurque à plusieurs reprises, empruntant des pistes narratives avortées qui ne font que renforcer le sentiment d’impasse qu’éprouve Karoline.

Mais si l’on peut admirer l’élégance de la mise en scène, le ton outrancièrement pesant et l’insistance sur le sordide qui accable l’héroïne nous mettent à distance. Quant à la récurrence du thème de la monstruosité, repris à la fois par le mari au visage déformé de Karoline que par les actes que commettent certaines personnes prisonnières d’une existence misérable, elle ne débouche que sporadiquement sur une vision plus large d’une société qui ne réservait aux femmes qu’un sombre destin.

"La jeune femme à l’aiguille" de Magnus von Horn, avec Trine Dyrholm

Les films en compétition

Vingt-deux films sont en lice pour la Palme d'or

"The Apprentice" d'Ali Abbasi:

Après "Border" et "Les nuits de Mashhad", le réalisateur danois d'origine iranienne se penche sur les jeunes années de Donald Trump, bâtissant un empire immobilier dans les années 1970-80.

"Motel Destino" de Karim Aïnouz:

A l'affiche avec "Le jeu de la reine", en compétition l'an dernier à Cannes, le Brésilien est parti dans le Nordeste pour tourner une "comédie sexuelle" centrée sur le désir.

"Bird" d'Andrea Arnold:

Double actualité pour la cinéaste britannique. Réputée pour dynamiter les films sociaux, elle recevra le Carrosse d'or, sacrant chaque année à Cannes un réalisateur/réalisatrice faisant preuve d'audace et d'innovation. Et Andrea Arnold présentera son nouvel opus porté par le duo Barry Keoghan et Franz Rogowski.

"Emilia Perez" de Jacques Audiard:

Palme d'or en 2015, le Français revient avec un film au croisement du polar et de la comédie musicale sur fond de narcotrafic au Mexique, avec un casting cinq étoiles porté par Selena Gomez et Zoe Saldaña.

"Anora" de Sean Baker:

Figure du cinéma indépendant, le réalisateur américain de "The Florida Project" suit le parcours d'une travailleuse du sexe entre New York et Las Vegas.

"Megalopolis" de Francis Ford Coppola:

Les épithètes manquent pour ce film, peut-être le plus attendu de la compétition, au budget de 100 millions de dollars, autour de la destruction et reconstruction d'une mégalopole. Avec Adam Driver.

"Les linceuls" de David Cronenberg:

Le roi du gore viscéral imagine un système permettant aux vivants de se connecter à leurs disparus dans un film sur la perte des êtres chers, avec Vincent Cassel et Diane Kruger.

"The Substance" de Coralie Fargeat:

La Française qui avait réalisé le bien nommé "Revenge" en 2018 orchestre le retour au premier plan de Demi Moore pour un film gore assumé, avec beaucoup de sang sur l'écran, nous promet-on.

"Grand tour" de Miguel Gomes:

Le Portugais, réalisateur de "Tabou" en 2012, imagine un fonctionnaire britannique installé en Birmanie en 1917, délaissant sa fiancée pour partir faire un "grand tour" de l'Asie.

"Marcello Mio" de Christophe Honoré:

Marcello Mastroianni (disparu en 1996, dont on fête le 100e anniversaire de la naissance cette année) évoqué à travers sa fille Chiara, aux côtés de sa mère Catherine Deneuve et de ses proches, Benjamin Biolay et Melvil Poupaud.

"Caught By The Tides" de Jia Zhang-Ke:

Le maître chinois livre une épopée filmique inédite qui traverse tous ses films et vingt-cinq ans d'histoire d'un pays en pleine mutation, avec sa muse et épouse à la ville, Zhao Tao.

"All We Imagine As Light" de Payal Kapadia:

La réalisatrice filme les désirs de deux femmes en Inde, dont une infirmière de Bombay empêtrée dans un mariage arrangé.

"Kind of Kindness" de Yórgos Lanthimos:

Le réalisateur grec retrouve son actrice fétiche Emma Stone, auréolée d'un deuxième Oscar pour "Pauvres créatures". Elle incarne une femme ne revenant pas tout à fait la même d'une disparition en mer.

"L'amour ouf" de Gilles Lellouche:

Après le succès du "Grand bain", présenté hors compétition, l'acteur français conte l'épopée amoureuse d'un couple insubmersible qui se rencontre au lycée, incarné par François Civil et Adèle Exarchopoulos.

"Diamant brut" d'Agathe Riedinger:

Premier film de la Française, sur les rêves et utopies d'une adolescente sous le soleil poussiéreux de Fréjus (sud de la France), perdue dans les méandres des réseaux sociaux.

"Oh Canada" de Paul Schrader:

Uma Thurman et Richard Gere au coeur d'un film adapté d'un livre de Russell Banks. Un célèbre documentariste canadien, condamné par la maladie, accorde une ultime interview à l'un de ses anciens élèves, pour dire enfin toute la vérité sur ce qu'a été sa vie. Une confession filmée sous les yeux de sa dernière épouse.

"Limonov, la ballade d'Eddie" de Kirill Serebrennikov:

Après "La femme de Tchaïkovski", le cinéaste russe en exil s'intéresse à l'écrivain et dissident politique russe Edouard Limonov, incarné par Ben Whishaw dans une adaptation du roman d'Emmanuel Carrère.

"Parthenope" de Paolo Sorrentino:

Le réalisateur de "La Grande Belleza" filme les amours impossibles d'une jeune femme avec, comme décor, Naples, "ville qui ensorcelle, enchante, hurle, rit et peut nous faire mal", selon le synopsis.

"The Girl With The Needle" de Magnus Von Horn:

Un film d'époque sur l'histoire de Dagmar Overbye qui a assassiné des dizaines de nourrissons à Copenhague dans les années 1910 et a été condamnée à la prison à vie. Par le réalisateur suédois de "Sweat" (2020).

"Trois kilomètres jusqu'à la fin du monde" d'Emmanuel Parvu:

Adi, 17 ans, passe l’été dans son village natal niché dans le delta du Danube. Un soir, il est violemment agressé dans la rue. Le lendemain, son monde est entièrement bouleversé. Ses parents ne le regardent plus comme avant et l’apparente quiétude du village commence à se fissurer.

"La plus précieuse des marchandises" de Michel Hazanavicius:

Une première tentative dans le cinéma d'animation pour le réalisateur très éclectique de "The Artist". Adapté d'une pièce de Jean-Claude Grumberg, le film évoque le souvenir de la Shoah et le sort d'un enfant juif qui échappe miraculeusement à la déportation vers le camp d'extermination nazi d'Auschwitz.

"Les graines du figuier sauvage" de Mohammad Rasoulof:

On ne connaît pas exactement l'intrigue de ce film. Réalisé dans le secret et sans autorisation des autorités iraniennes, le film pourrait aborder des thématiques liées à la répression du régime iranien et à la lutte pour la liberté.