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Le biopic "Back to Black" transforme Amy Winehouse en pâle midinette

“Back to Black”, le nouveau biopic sur la chanteuse Amy Winehouse sort aujourd'hui au Royaume-Uni
“Back to Black”, le nouveau biopic sur la chanteuse Amy Winehouse sort aujourd'hui au Royaume-Uni / 19h30 / 2 min. / le 12 avril 2024
Disparue en 2011 à l'âge de 27 ans, l'icône soul est au cœur d'un biopic intitulé "Back to Black" réalisé par de Sam Taylor-Johnson. Focalisée sur la relation amoureuse toxique entre la chanteuse et Blake Fielder-Civil, la fiction s'avère bien plus lisse que l'excellent documentaire sorti en 2015.

Il aura donc fallu treize ans avant de pouvoir concrétiser un biopic sur l'iconique Amy Winehouse, décédée en 2011 des suites d'une surconsommation d'alcool. Mais était-ce bien nécessaire? Si le succès du film paraît assuré, en regard de la notoriété de la chanteuse, ce "Back to Black" tourné à jeun fait bien pâle figure face au formidable "Amy" d'Asif Kapadia, documentaire sorti en 2015.

A croire qu'en matière de biopic, la fiction demeure incapable de restituer la fièvre, la passion et le génie artistique qui suintent du réel. Problème plus ou moins criant dans les récentes tentatives consacrées à des stars de la musique, de "Bob Marley" à "Bohemian Rhapsody" en passant par "Elvis", "Rocket Man", "Maestro" ou encore "Bolero".

Un amour toxique

On dira, et c'est bien la moindre des choses, que "Back to Black" garde le mérite de remettre en avant une artiste aussi unique que tragique. Qu'il s'agit de rendre hommage à cette musicienne à la carrière fulgurante, disparue prématurément. Que la fiction permet de se sentir en proximité avec la vie intime, l'intériorité d'Amy Winehouse.

Alors pourquoi ce sentiment de distance que l'on éprouve tout au long de ce biopic bien trop appliqué pour convaincre? Parce qu'on ne verra rien d'autre ici qu'une surface, une imitation, aussi vaine que les images des paparazzis qui ont tant fait souffrir l'artiste et que le film s'évertue à critiquer sans se rendre compte qu'il procède de la même démarche mortifère.

Car au fond, que nous montre "Back to Black"? Amy grandit dans le quartier londonien de Camden, entourée par un père protecteur, portée par sa passion du jazz et sa voix déjà remarquable, inspirée par une grand-mère adorée qui lui suggère ses goûts vestimentaires vintage. Viendra l'ascension fulgurante, le refus d'être transformée en énième Spice Girl, et, surtout, l'amour toxique qui va lier la jeune femme à Blake Fielder-Civil et lui inspirer son album le plus célèbre.

Une illustration lisse

Ce fil rouge romantique, qui suggère qu'Amy Winehouse n'était que la victime d'une bad romance, une star qui n'aspirait, au fond, qu'à une vie normale, un mari, des enfants, tout comme l'insistance sur les paparazzis, l'addiction à la drogue et à l'alcool, condamnent le film à se désintéresser des fêlures profondes, du génie musical, des qualités d'écriture prodigieuses de la chanteuse. Les rares scènes qui frôlent la complexité de son personnage trahissent un ensemble qui brosse le portrait confortable d'une artiste dont il ne subsiste ici que les clichés évidents.  

Si l'actrice Marisa Abela, qu'on a pu voir dans la série "Industry" et dans "Barbie", fait de son mieux pour incarner Amy Winehouse à l'écran, sans pour autant éviter l'écueil de l'imitation, la mise en image lisse et proprette de Sam Taylor-Johnson ("Nowhere Boy", "Cinquante nuances de Grey") se contente d'illustrer une existence dont les zones grises sont soigneusement édulcorées. Ainsi, le père d’Amy, montré comme un homme cupide et absent dans l'excellent documentaire d'Asif Kapadia, devient ici un modèle parental aimant et soucieux de la santé de sa fille.

En résulte un biopic sage et formaté aux antipodes du caractère flamboyant, fiévreux et autodestructeur de son héroïne. Un énième biopic pour rien.

Rafael Wolf/ld

"Back to Black" de Sam Taylor-Johnson, avec Marisa Abela, Jack O'Connell, Eddie Marsan, Lesley Manville. A voir dans les salles romandes depuis le 24 avril 2024.

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