"Les trois mousquetaires" reprennent du service sur grand écran

Grand Format Cinéma

Pathé - Julien Panie

Introduction

Adapté du célèbre roman d'Alexandre Dumas publié en 1844, "Les trois mousquetaires" de Martin Bourboulon, dont la première partie est à voir actuellement, propose un grand film d'aventures avec une brochette d'acteurs en vue, de Vincent Cassel à Romain Duris en passant par Vicky Krieps et Louis Garrel. Très attendu, ce film à gros budget vient s'ajouter à une longue liste d'adaptations cinématographiques.

Chapitre 1
Un film populaire et généreux

Pathé

Les trois mousquetaires sont de retour sur grand écran dans une version signée du réalisateur Martin Bourboulon ("Papa ou maman", "Eiffel") budgétée à 70 millions d'euros. Avec François Civil, Romain Duris, Pio Marmaï, Vincent Cassel, Louis Garrel, Eva Green et Lyna Khoudri au casting, c’est l'un des gros événements de l’année pour le cinéma français qui compte sur un gros carton public pour remplir les salles.

Déjà adapté de nombreuses fois au cinéma, ce roman historique d'Alexandre Dumas raconte l'histoire de D'Artagnan, un jeune gascon qui débarque à Paris avec l'intention d'intégrer le régiment des mousquetaires. Il se lie avec Athos, Porthos et Aramis, mousquetaires du roi Louis XIII. Les quatre hommes vont s'opposer au puissant cardinal de Richelieu et tout faire pour sauver l'honneur de la reine Anne d'Autriche.

L'actrice Vicky Krieps tient le rôle de la reine Anne d'Autriche dans "Les trois mousquetaires". [Pathé]
L'actrice Vicky Krieps tient le rôle de la reine Anne d'Autriche dans "Les trois mousquetaires". [Pathé]

"Aucune version cinématographique du passé ne nous a fait éprouver le sentiment que l'on a en lisant le roman, un sentiment de véracité, de premier degré vis-a-vis de l'intrigue et des personnages et de noirceur par endroits", explique à la RTS l'acteur François Civil, qui campe le rôle de D'Artagnan, pour justifier cette nouvelle production.

Prévue comme un diptyque, cette adaptation a misé sur la "chasse au vrai" selon les propos de son réalisateur. "Comment faire en sorte que l'on croie au maximum aux enjeux qui se passent?", s'est-il demandé en amont de son projet. "Des enjeux qui ne sont pas rigolos: ce sont des guerres de religion, des morts par milliers. Il y a un mélange de drames qui sont noyés au milieu de petites fantaisies et de camaraderies qu'il faut essayer de rendre compte dans un temps assez court", précise Martin Bourboulon.

Un film d'aventure qui réussit son pari

Soixante ans après la dernière adaptation française au cinéma, Martin Bourboulon propose ainsi un grand film d'aventure avec des intentions très claires: moderniser Dumas et s’adresser au public d’aujourd’hui, davantage habitué aux superhéros qu’aux films de cape et d’épée.

Pour le critique cinéma de la RTS Rafael Wolf, le pari est réussi. C'est "une œuvre populaire, ample, généreuse qui, certes, n’est pas exempte de défauts, mais qui opère quelques choix judicieux", analyse-t-il. "Tout d'abord en traitant le récit au premier degré avec un certain sérieux. On mentionne clairement les guerres de religion entre protestants et catholiques, on décrit un pays déchiré par les rivalités de pouvoir et les complots. Et les quelques libertés prises - par exemple cette tentative d’assassinat de Louis XIII, qui fera grincer des dents les puristes - ont l’avantage de faire mieux résonner cette version avec notre époque."

Quant aux acteurs, le critique a aussi été séduit: Louis Garrel en Louis XIII est parfait d’arrogance, Eva Green campe une Milady complexe et redoutable, Lyna Khoudri incarne une Constance Bonacieux forte et décidée, François Civil est idéal en D’Artagnan et Pio Marmaï, Romain Duris et Vincent Cassel forment un trio de mousquetaires séduisants.

"Pour une fois que le budget d’une grosse production hexagonale se retrouve à l'écran, on ne boudera pas notre plaisir, en attendant la seconde partie, "Milady", qui sortira en décembre prochain", conclut Rafael Wolf.

>> A voir également: "Les trois mousquetaires" reviennent sur grand écran dans un film événement et avec un casting étoilé (sujet du 19h30) :

"Les Trois Mousquetaires" reviennent sur grand écran dans un film événement et avec un casting étoilé
19h30 - Publié le 5 avril 2023

Chapitre 2
Alexandre Dumas, le maître du roman historique français

AFP

Publié en 1844, "Les trois mousquetaires" est généralement considéré comme le chef-d'oeuvre d'Alexandre Dumas (1802-1870), un auteur qui, en quelque cinquante ans de carrière, a publié plus de 600 livres, soit un par mois, en tenant compte de ses récits de voyage, ses pièces de théâtre, ses nouvelles, ses essais historiques, ses biographies, ses opéras, son dictionnaire de la cuisine et ses mémoires.

Pour tenir le rythme, l'écrivain a employé de nombreux collaborateurs, dont Auguste Maquet, son prête-plume préféré. Alexandre Dumas donnait les idées et mettait la touche finale aux copies qu'on lui fournissait, mais laissait d'autres faire en grande partie le travail d'écriture. Un mode de production très éloigné de l'image artisanale de l'écrivain solitaire et angoissé devant sa page blanche.

Alexandre Dumas travaillant pour satisfaire à tous ses engagements. Caricature de Cham, en 1846, illustrant Dumas, qui mobilise nombre de prête-plumes. [DP]
Alexandre Dumas travaillant pour satisfaire à tous ses engagements. Caricature de Cham, en 1846, illustrant Dumas, qui mobilise nombre de prête-plumes. [DP]

Spécialiste des romans-feuilletons

Alexandre Dumas se lance dans le roman dans les années 1830, à une période où les journaux s'entichent du roman-feuilleton afin de s'ouvrir à un plus large public et le fidéliser. Les romans-feuilletons sont au XIXe siècle ce que sont les séries au XXIe: des produits totalement addictifs et fédérateurs.

Dumas comprend qu'il y a de l'argent à gagner et une place à prendre. Le dramaturge et romancier "investit cette formule avec son art du suspense, une tension dramatique, un goût pour l'Histoire qui touchent un très grand public", raconte à l'AFP Julie Anselmini, professeure de littérature française à l'université de Caen Normandie.

Dans "Mes mémoires", Dumas écrit que ses livres se veulent populaires, "amusant une classe qui sait et instruisant une classe qui ne sait pas pour rendre justice au peuple dépossédé de son histoire". Il lui a souvent été reproché de prendre beaucoup de liberté avec les faits. Et à un Monsieur qui l'accusait de violer l'Histoire, Dumas a eu cette réponse célèbre: "Certes, mais je lui fais de si beaux enfants!".

La forme du feuilleton, contrairement à ce qu'on croit souvent, ne l'incite pas à écrire au jour le jour. L'écrivain sait dès le départ où il va, aidé par le très cultivé Auguste Maquet qui le nourrit de documentation. C'est ensuite, une fois établi le plan, que le roman est tronçonné pour les besoins de la parution quotidienne.

"Dumas a le sens du rythme, il sait où accélérer, où faire une pause dans son intrigue. Ses canevas tiennent la route. Et en plus, c'est très drôle, avec le meilleur de l'esprit français: sa patte, c'est la fantaisie, la dérision", souligne son biographe Sylvain Ledda.

Une scène de combat dans le film "Les trois mousquetaires" de Martin Bourboulon. [Pathé]
Une scène de combat dans le film "Les trois mousquetaires" de Martin Bourboulon. [Pathé]

"Les trois mousquetaires", son roman le plus emblématique

C'est dans une certaine frénésie, mais avec toute sa maîtrise du suspense, qu'Alexandre Dumas écrit "Les trois mousquetaires", son premier essai de roman historique qui deviendra le plus emblématique, d'abord en feuilleton dans le journal Le Siècle de mars à juillet 1844, puis en volume juste après.

Son humour fait mouche avec les personnages des trois mousquetaires, immédiatement rejoints par un quatrième, le jeune D'Artagnan. Avec Athos, qui a le plus d'épaisseur et des côtés sombres, Aramis, coquet et irrévérencieux, et Porthos, costaud et vaniteux, le quatuor s'attire les faveurs dès les premières pages.

"Le roman nous fait entrer dans l'intimité des grands. Les mousquetaires sont dans les bals, à la cour, au plus près de la reine Anne d'Autriche, en Angleterre... De la même façon qu'on regarde la série "The Crown" aujourd'hui, à l'époque on lit "Les trois mousquetaires" et on se cultive sur l'Histoire de France", commente Karl Akiki, chercheur en littérature libanais qui a consacré sa thèse à cet ouvrage.

Une gravure des "Trois Mousquetaires" du XIXe siècle. [Photo12 via AFP - Pierre Pitrou]
Une gravure des "Trois Mousquetaires" du XIXe siècle. [Photo12 via AFP - Pierre Pitrou]

Son génie de la narration fonctionne toujours, près de deux siècles plus tard. "Dumas est le meilleur pour nous entraîner dans l'accoutumance", explique Karl Akiki. "On se dit: je ne vais pas éteindre, je vais lire le chapitre suivant. Mais le chapitre suivant nous donne d'autres réponses et fait naître d'autres mystères, ce qu'on appelle la narration à double hélice. Il n'y a pas tellement de portraits, de descriptions comme chez Balzac. Tout le monde finit par entrer dedans".

Le succès du roman incite Dumas à écrire deux suites, "Vingt ans après" dès 1845, et "Le Vicomte de Bragelonne", dont la parution en feuilleton s'étale sur trois ans (1847-1850).

L'auteur, jamais rassasié, et se ressourçant en dehors de Paris à Saint-Germain-en-Laye, publie aussi en 1844 un autre roman-feuilleton resté célèbre, "Le Comte de Monte-Cristo", dont une adaptation est annoncée au cinéma en octobre 2024 avec Pierre Niney dans le rôle-titre.

Ces énormes succès ont permis à l'écrivain de réaliser un rêve: rembourser ses dettes et se construire une maison, au Port-Marly, en région parisienne. Répit éphémère puisqu'il est à nouveau ruiné en 1848.

Chapitre 3
Un record d'adaptations au cinéma

Difficile de donner le nombre exact des films adaptés des "Trois mousquetaires", tant il est vrai que ce chiffre varie selon les experts, les sources et surtout ce qu'on y inclut. Quoi qu'il en soit, c'est un record doublé d'un intérêt du 7e art qui dure dans le temps et que l'on peut faire remonter à 1898 avec un court-métrage d'une durée de moins de deux minutes réalisé par l'Ecossais William Dickson, pionnier du cinéma.

Interrogé par la RTS, Hervé Dumont, historien du cinéma, ancien directeur de la Cinémathèque suisse et auteur d'une publication de référence sur le sujet, arrête quant à lui 46 versions, un total qui ne tient pas compte des parodies, films musicaux, suites et variantes. En tenant compte ce ses derniers, on arrive à un total d'environ 150 films.

>> A écouter: une chronique de l'émission "Vertigo" consacrée au nouveau film "Les trois mousquetaires" et aux précédentes adaptations du roman de Dumas :

Une scène du film "Les trois mousquetaires - D'Artagnan" de Martin Bourboulon. [Pathé]Pathé
Vertigo - Publié le 5 avril 2023

Une France plutôt timorée

Le spécialiste explique qu'au départ ce sont surtout la France et les Etats-Unis qui s'accaparent du roman de Dumas. Et ce, dans un duel qui démarre de manière assez cocasse. La première grande adaptation au cinéma date de 1921 et c'est un film américain de Fred Niblo avec Douglas Fairbanks en D'Artagnan.

"Le film a été monté avec beaucoup de soins et a été un succès mondial, sauf en France où il a été interdit", raconte Hervé Dumont qui poursuit en expliquant qu'à une période où, juste après la Première Guerre mondiale, le nationalisme réapparaît, certains Français ont été outrés de voir des Américains s'emparer d'un récit au coeur de leur Histoire. Sans compter que les bâtiments d'époque, l'architecture, les costumes et les historiens qui connaissent cette période se trouvent en France et pas aux Etats-Unis.

"The Three Musketeers", réalisé par Fred Niblo avec Douglas Fairbanks en D'Argagnan. [PHOTO12 VIA AFP]
"The Three Musketeers", réalisé par Fred Niblo avec Douglas Fairbanks en D'Argagnan. [PHOTO12 VIA AFP]

Les Français décident donc de tourner la même année une version en douze épisodes afin de compenser l'absence dans les salles du film américain, dont tous les journaux avaient parlé. Une version avec des acteurs de théâtre où "en effet les châteaux sont justes, les costumes et les références historiques sont justes, mais c'est une version qui est totalement somnifère", s'amuse Hervé Dumont.

Par la suite, le cinéma français reste timoré par rapport à l'oeuvre de Dumas. En 1953, on trouve une adaptation réalisée par André Hunnebelle, dans laquelle Bourvil joue le rôle de Planchet, le valet de D'Artagnan, qui prend presque le dessus sur les mousquetaires. Une oeuvre qui, selon Hervé Dumont est "du bon artisanat, mais qui n'a marqué du tout les esprits". En 1961, les deux volets mis en scène par Bernard Borderie constituent la dernière adaptation entièrement française réalisée pour le cinéma avant celle à voir actuellement.

Les versions les plus réussies jusque là sont américaines

Du côté des Etats-Unis, il y a une foison d'adaptations à toutes les époques, y compris des blockbusters pétaradants pour adolescents, qui capitalisent sur les explosions, les effets spéciaux et l’action.

Avec une récurrence qui correspond à la logique grand public de Hollywood, soit édulcorer les questions de mœurs ou les intrigues politiques présentes chez Dumas. "On s'est très vite heurté à des interdits, en particulier chez les Américains", explique Henri Dumont. Jusque dans les années 1960, le cinéma américain avait peur de certains aspects. Par exemple, dans le roman, Constance Bonacieux [qui tombe amoureuse de D'Artagnan, lui-même sous le charme de la jeune femme] est mariée à Monsieur Bonacieux. Dans tous les films américains, elle est sa nièce. Et Richelieu n'est pas cardinal, mais Premier ministre de Louis XIII". Quant au contexte historique, "si le siège de La Rochelle est évoqué, on ne précise jamais qu'il prend place dans une guerre de religion. De même les Anglais ne sont pas présentés comme des protestants, mais comme des Anglais."

Néanmoins, les deux versions les plus réussies de l'oeuvre de Dumas au cinéma sont américaines. La première, mémorable, sort en 1948. Signée George Sidney, elle propose des couleurs chatoyantes et une mise scène toute en élégance. D’Artagnan est incarné par la star de la comédie musicale, Gene Kelly, qui compose un héros bondissant, funambule, romantique. "Il y a dans cette version, à la fois de l'enthousiasme très communicatif et en même temps, le mélodrame n'est pas négligé, puisque ce film n'était pas fait pour des enfants", analyse l'historien du cinéma suisse.

La version la plus mythique reste celle de 1973, réalisée par Richard Lester. Une version irrévérencieuse, pleine d’ironie et d'humour, avec Raquel Welch en Constance Bonacieux et Faye Dunaway en Milady. Une version post-Mai 68 traversée par un esprit contestataire très défiant à l’égard des figures d’autorité. "Cette version se moque de la politique, le roi est insignifiant, la reine Anne d'Autriche, une gamine capricieuse et Richelieu est carrément ignoble (...). On y montre une France et une histoire complètement désacralisées et démasquées."

Une oeuvre universelle

Contre toute attente, l'oeuvre de Dumas connait un véritable intérêt en Russie où ont été réalisés, entre autres, un téléfilm très populaire de Gueorgui Jungwald-Khilkevitch, diffusé en 1978, dans lequel  le récit est traité sous l’angle de la comédie musicale et une version spectaculaire de Sergueï Jigounov, sortie en 3D en 2013.

De tout temps, de nombreuses réalisateurs se sont ainsi penchés sur "Les trois mousquetaires" pour une faire des adaptations fidèles ou non, transportant parfois ce récit dans d'autres lieux ou d'autres temporalités. Que ça soit dans le monde du kung-fu, des bikers, du western, au théâtre, en dessin animé ou en pâte à modeler, la force de l'univers inventé par Alexandre Dumas semble sans limite.