Publié

Le film d'Andrew Dominik "Blonde" momifie Marilyn Monroe

L'actrice Ana de Armas dans le rôle de Maryln Monroe dans le film "Blonde". [Netflix]
Marilyn Monroe broie du noir dans "Blonde" / Vertigo / 6 min. / le 28 septembre 2022
Exclusivité Netflix adaptée du best-seller de Joyce Carol Oates, "Blonde", avec Ana De Armas dans le rôle de la star défunte, porte un regard mortifère sur Marilyn Monroe. Moins biopic que soap opera sans vie, un film d'horreur vampirique sur une femme dévorée par sa créature iconique.

Les premières minutes de "Blonde" posent d’emblée les motifs récurrents du biopic d’Andrew Dominik. La petite Norma Jeane Baker est martyrisée par sa mère, qui sera plus tard diagnostiquée schizophrène avec délires paranoïaques. La maman manque de noyer sa fillette qui idéalise l’image d’un père absent, se retrouve au cœur des flammes en train de ravager Hollywoodland, avant qu’un mensonge fasse croire à la gamine que son père travaille dans l’industrie du cinéma.

Retrouver l’amour du père en accédant à l’usine à rêves. La quête psychanalytique de la future Marilyn Monroe ne cessera d’être appuyée par le récit, à travers les futures chansons de la star ("My Heart Belongs to Daddy") comme sa manière de nommer "daddy" tous les hommes de sa vie, de son agent à Arthur Miller, en passant par Joe DiMaggio. Cet angle, en plus du traumatisme vécu par plusieurs avortements ou fausses couches, tisse le portrait d’une femme meurtrie par l’absence de filiation et ravagée par son impossible maternité. Et après?

Une vie sordide

Pour le reste, "Blonde" prendra tout son temps, plus de deux heures quarante, pour retracer chronologiquement la vie de Norma Jeane Baker, enquillant les scènes comme des épisodes d’un soap opera sordide, flirtant avec le film d’horreur sans réel souci de la véracité des faits. Avec les fils de Charlie Chaplin et d’Edward G. Robinson, elle découvre sa sexualité dans un "trouple" qui la confronte à son premier avortement: "Nous, on savait qui on était avant même de naître. Mais toi, tu n’as pas de père, tu es libre de t’inventer", relèvent-ils.

Alors que sa mère, internée, glisse dans la folie et traite sa fille de traînée, l’aspirante comédienne entre dans les bureaux d’un certain Z. (Darryl F. Zanuck, patron de la 20th Century Fox à l’époque) avant de se faire violer par le nabab. Norma Jeane devient Marilyn. Sa carrière décolle. Sa vie privée stagne. Elle épouse Joe DiMaggio, la star du baseball, qui la frappe en voyant ses photos de nu. Désireuse de s’extirper d’Hollywood, elle rencontre Arthur Miller, à New York, en 1955. Le dramaturge tombe follement amoureux de la star. Ils se marient. Une parenthèse enchantée avant la lente descente aux enfers.

Norma Jeane se bourre de calmants, boit, reçoit des piqûres de benzédrine ou de codéine. Une furtive scène la montre en train de pratiquer une fellation présidentielle à Kennedy, qui la traite comme une prostituée. La star sombre dans la paranoïa, croit voir des visages monstrueux tout autour d’elle, avant de mourir, seule, sur le lit de sa maison, saturée de cachets, d’alcool et de larmes.

Une fascination morbide

Alternant sans réelle logique noir et blanc et couleur, dans un écran carré qui s’élargit parfois pendant un bref instant, Andrew Dominik soigne sa mise en scène ultra-stylisée et ne s’embarrasse d’aucune subtilité pour enfoncer le clou de sa vision radicale. Avec la fascination morbide d’un taxidermiste en train d’empailler son animal, allant jusqu’à inclure des plans intra-utérins de la star en train de se faire avorter, le cinéaste écarte toute lumière pour ne préserver que le sordide de l’existence de Marilyn, victime crucifiée sur l’autel du spectacle hollywoodien, exhibée, chosifiée, exploitée.

En soi, ce traitement cinématographique pourrait dégager un intérêt s’il ne se contentait pas de prétendre démystifier l’icône Monroe pour, in fine, la remystifier sous un angle nécrophage. Tant tout ici est momifié, dépourvu de toute vie, de toute incarnation qui permettrait de créer un décalage entre Norma Jeane et sa créature, Marilyn. Et comme Ana De Armas imite, très bien il est vrai, Marilyn, adoptant sans contraste la voix que la star utilise dans ses films, toutes les scènes où Norma Jeane se voit sur grand écran et répète sans cesse que cette créature n’est pas elle, qu’elle ne s’y reconnaît pas, tombent à plat, tant "Blonde" abolit toute frontière, toute distinction, entre la femme et l’actrice.

Dans l’ombre de David Lynch

Incapable de faire exister Norma Jeane Baker, qui visiblement ne l’intéresse pas, Andrew Dominik se prend les pieds dans son propre tapis; plutôt que de raconter la vampirisation d’une femme par la créature à laquelle on l’a réduite, "Blonde" paraît davantage affirmer qu’il n’y a jamais eu de Norma Jeane Baker, qu’elle n’a toujours été que Marilyn Monroe, rien d’autre qu’une image ricochant contre une image ricochant à son tour contre une image. On pourrait trouver ça captivant si cet aspect ne paraissait pas autant contradictoire avec ce que le film prétend être, le réalisateur s’évertuant à aller contre cette lecture qui, pourtant, s’impose à nous.

Plongeant progressivement vers la pure abstraction, "Blonde" opère par ailleurs de multiples clins d’œil, dans sa dernière partie, au cinéma de David Lynch. La musique, signée Nick Cave et Warren Ellis, rappelle les nappes discordantes et vaporeuses de "Twin Peaks". Le motif des flammes renvoie à "Sailor et Lula". Le ciel étoilé dans lequel Monroe cherche l’image de son père rime avec celui dans lequel John Merrick retrouve le spectre de sa mère disparue dans "Elephant Man". Et on ne pourra s’empêcher de retrouver des emprunts récurrents au définitif "Mulholland Drive", sans doute le biopic détourné le plus passionnant autour de la star hollywoodienne et derrière lequel court, à perdre haleine, ce "Blonde", exercice de style cauchemardesque embaumant la dépouille d’une actrice qui attend toujours son grand film.

Rafael Wolf/ld

"Blonde" (166’) d’Andrew Dominik, avec Ana De Armas, Adrien Brody, Julianne Nicholson. Exclusivité Netflix.

Publié