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Dans la mythologie gréco-latine, on trouve déjà des fake news

Portrait de l'empereur Justinien Ier (482-565). [AFP - Leemage]
Paléofutur: plongée dans l'origine des fake news / Paléofutur / 23 min. / le 4 août 2018
Canulars, calomnies, intox, propagande, autant de synonymes pour fake news. Si les fausses nouvelles ne sont pas nées d'hier, elles rencontrent un bel écho aujourd'hui. Retour sur leur origine.

Non, les fake news ne datent pas des réseaux sociaux, ni de la tweetomania de Donald Trump! Les fausses nouvelles, les hoax, les canulars, la propagande, les sales rumeurs, la désinformation, les faits alternatifs remontent au moins à la mythologie gréco-latine. D'abord avec Apaté, déesse grecque du mensonge et de la duperie, arrivée sur terre par la boîte de Pandore, dont elle était un des maux.

L'épisode du cheval de Troie, tapisserie du XVe siècle. [Maeyaert/AIC/Leemag - Cathedral Museum]
L'épisode du cheval de Troie, tapisserie du XVe siècle. [Maeyaert/AIC/Leemag - Cathedral Museum]

Ensuite avec Fama, déesse romaine qui pour venger la mort de ses enfants possédait deux trompettes, une longue pour chanter la gloire et la renommée; une courte pour diffuser ragots et malveillances. Enfin, ne pas oublier la ruse de guerre d'Ulysse qui grâce au cheval de Troie a fait tomber la ville et mis fin à la guerre. Un virus informatique porte d'ailleurs son nom.

Au IV siècle avant J.-C., dans "L'Art de la guerre" de Sun Tzu, on apprend comment gagner une bataille sans combattre. Les dernières élections américaines semblent s'être directement inspirées de ces recommandations.

Laurent Haug, spécialiste des technologies numériques

Laurent Haug rappelle le double jeu de l'historien byzantin Procope de Césarée, au V siècle après J.-C., dont l'oeuvre est consacrée à l'empereur Justinien. Du vivant de son modèle, il n'est question que de sa grandeur et de sa vertu, mais à la mort de l'empereur paraît son histoire secrète, pleine d'anecdotes malveillantes.

L'écrit et sa diffusion

Evidemment, avec l'invention de l'imprimerie au 15e siècle, les "fake news" - le plus souvent des histoires incroyables de monstres - se répandent mais c'est au XVIII siècle, avec une presse en pleine expansion grâce à la rotative, qu'elles deviennent un genre en soi, avec ses stars comme le Docteur Vipère. La presse anglo-saxonne est particulièrement friande de ces "ragots de taverne" tandis que la presse française condamne la diffusion de fausses nouvelles.

Modèle du crâne d'homme de Piltdown. [Photo12/AFP - Ann Ronan Picture Library]
Modèle du crâne d'homme de Piltdown. [Photo12/AFP - Ann Ronan Picture Library]

La science prise au piège d'un canular

Il existe plusieurs variantes de la "fake news". Parmi elles, le canular, imposture comique dans l'intention de tromper. Un des plus célèbres reste le crâne de Piltdown, "découvert" en 1912, vraisemblablement, par le docteur Dawson, qui devait être le chaînon manquant entre le singe et l'homme. La supercherie n'a été découverte qu'en 1959.

Autre canular mémorable, "La Guerre des mondes" d'Orson Welles, reportage diffusé sur CBS, le 31 octobre 1938, et simulant une attaque d'extra-terrestres. Des dizaines de milliers d'auditeurs y ont cru. La presse semble avoir volontairement exagéré le vent de panique afin de diaboliser la radio, nouveau média émergeant et concurrent.

Les avantages des fake news

Pourquoi tromper? D'abord, pour salir une réputation. Marie-Antoinette, le capitaine Dreyfuss ou Madame Claude Pompidou, victime de photomontages, ont été au coeur de scandales.

Ensuite pour réécrire l'histoire, à l'image de "Historia Augusta", à la fin du IVe siècle, un recueil de biographies d'empereurs romains prétendument collective mais en fait rédigé par un seul et même auteur anonyme.

Légitimer une politique

Les "fake news" servent aussi à justifier un conflit ou légitimer une politique. Deux cas retiennent particulièrement l'attention: la donation de Constantin, un faux par lequel l'empereur Constantin I était censé donner au pape le pouvoir suprême sur l'Occident. La papauté s'en est servi à partir du premier millénaire pour justifier ses prétentions territoriales et politiques.

Autre faux célèbre, le Protocole des Sages de Sion, au début du XX siècle, qui se présente comme un plan de conquête du monde établi par les juifs et les francs-maçons.

Forgé par la police secrète du Tsar Nicolas II pour le convaincre de renouer avec une politique antisémite, le protocole des Sages de Sion a été repris par Hitler dans "Mein Kampf".

Laurent Haug, spécialiste des technologies numériques

Ce texte a beau avoir été déclaré inventé de toutes pièces, il continue de faire les beaux jours de tous les sites suprémacistes.

Déstabiliser les institutions

Même si les "fake news" ont toujours existé, fabriquer et diffuser du faux n'a jamais été aussi aisé qu'aujourd'hui. Et rentable puisqu'il s'agit aussi d'un business juteux.

Tout le monde possède les outils digitaux qui permettent de reproduire le design d'un site, d'en faciliter la diffusion, de la relayer quand on en a les moyens et même de manipuler son identité.

Laurent Haug, Laurent Haug, spécialiste des technologies numériques

Le désir de croire le faux

Il existe bien sûr des moyens technologiques, pédagogiques et législatifs - après la France, l'Allemagne envisage une loi - pour dénoncer ou prévenir les "fake news", mais cela n'empêche pas le besoin de croire, de renforcer son idéologie ou d'attiser les divisons. L'époque le permet d'autant plus que la presse est en crise de crédibilité.

>> A voir: Les pièges de la pensée sans fil sur les réseaux sociaux dans La Matinale :

Sans sucre ajouté (vidéo) - Les pièges de la pensée sans fil sur les réseaux sociaux
Sans sucre ajouté (vidéo) - Les pièges de la pensée sans fil sur les réseaux sociaux / La Matinale / 5 min. / le 12 juin 2018

"Chaque société a les imposteurs qu'elle mérite. La "fake news" est avant tout un symptôme comme le dit le psychanalyste et philosophe Roland Gori dans "La Fabrique des impostures"", explique Laurent Haug.

Et de quel symptôme parle-t-on aujourd'hui? D'un désintéressement de la vie en communauté, d'une décrédibilisation des institutions et d'une défiance généralisée, comme si la démocratie était une chose acquise alors qu'elle reste fragile.

Propos recueillis par Antoine Droux

Réalisation web Marie-Claude Martin

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