Dans les pas d'Ella Maillart

Grand Format

Introduction

Voyageuse avant d'être écrivain, Ella Maillart reste plus de vingt ans après sa mort un modèle d'ouverture sur le monde. Retour sur le parcours d'une Suissesse éprise de sens et de liberté en marge de la diffusion du documentaire "Les voyages extraordinaires d'Ella Maillart".

Les aventures d'une femme d'avant-garde à l'écran

Célèbre pour ses trois grands voyages, au Kirghizistan, en Chine et en Afghanistan, à une époque où franchir les frontières relevait de l'exploit, Ella Maillart fait partie des plus grandes aventurières du XXe siècle.

"C'était une avant-gardiste en tous points de vue. Son parcours et sa réflexion peuvent aider les jeunes générations à trouver un sens au monde actuel et à leur propre vie", estime Raphaël Blanc, réalisateur du documentaire "Les voyages extraordinaires d'Ella Maillart", coproduit par la RTS.

Le film du réalisateur valaisan remet donc au goût du jour cette femme féministe avant l'heure, d'une indépendance farouche et dont les voyages ont donné lieu à des livres célèbres: "Des Monts célestes aux sables rouges" (1934), "Oasis interdites" (1937) et "La Voie cruelle" (1947).

>> L'interview du réalisateur Raphaël Blanc dans Vertigo :

Le réalisateur Raphaël Blanc. [Artemis Films Production]Artemis Films Production
Vertigo - Publié le 5 juin 2017

Des images d'aujourd'hui

Pour actualiser le propos et éviter de faire un film d'archives soporifique, Raphaël Blanc s'appuie sur des images actuelles, tournées au Kirghizistan, avec l'aide notamment d'un drone, et sur une musique originale toute en légèreté et aux sonorités orientales.

De superbes plans panoramiques (et en couleur) rythment ainsi le récit fait par Ella Maillart elle-même et ponctué par 200 photos noir et blanc qu'elle a prises au cours de ses aventures. Le tout est porté par la narration de l'ex-conservateur du Musée de l'Elysée, à Lausanne, Daniel Girardin.

Pour compléter le portrait, Raphaël Blanc fait appel à Bertil Galland, qui a édité les livres d'Ella Maillart, ainsi qu'à la libraire et voyageuse, Catherine Domain. Tous deux livrent leurs souvenirs d'Ella Maillart: une battante pleine d'humour, à la réflexion profonde sur elle-même, sur le monde et sur le sens de la vie.

>> Le sujet du 12h45 sur le film :

Un doc sur Ella Maillart
Info en vidéos - Publié le 14 juin 2017

Une jeunesse sportive

De la jeunesse -reconstituée- sur les bords du lac Léman, où Ella Maillart, née à Genève le 20 février 1903, se découvre une première passion pour la voile avec son amie Hermine de Saussure, dite "Miette", aux grands voyages, le documentaire de Raphaël Blanc raconte avec minutie - au risque d'être parfois un peu scolaire - le parcours d'une femme de nature fragile qui s'accomplit d'abord par le sport (ski, hockey, navigation).

Le bateau, plus qu'aucune autre chose est une école d'indépendance, vous prenez votre vie en main

Ella Maillart

"J'avais une enfance très faible sur le plan physique et le sport m'a sauvée, m'a donné de la force. Le bateau, plus qu'aucune autre chose est une école d'indépendance, vous prenez votre vie en main, les responsabilités. Il y a un instant profondément pathétique, c'est quand on pousse la terre du pied et que le bateau s'en va", raconte Ella Maillart dans l'émission "Tous les pays du monde" en 1973.

Ella Maillart et Jean Thevenot en 1973 [RTS]
Tous les pays du monde - Publié le 2 décembre 1973

Les grands voyages

Le film à revoir ici jusqu'au 29 avril 2020
Les voyages extraordinaires d'Ella Maillart

Principale témoin du film qui lui est consacré, grâce aux nombreuses archives existantes, Ella Maillart ne cache pas qu'elle a d'abord utilisé le reportage comme alibi à ses grands voyages. Un prétexte, doublé d'une façon de gagner sa vie pour une femme qui voulait à tout prix éviter de "tomber dans le piège du mariage".

Désemparée face à la guerre qui déchire l'Europe, en 1914, puis en 1939, elle cherchera ailleurs des réponses aux questions qu'elle se pose, cherchera d'autres valeurs pour guider sa vie et trouver la paix.

De la Russie à l'Asie centrale

Ses pas la conduisent d'abord vers la Russie, où elle s'intéresse en 1929 à la jeunesse, puis à travers le Caucase et le Turkestan soviétique, les déserts d'Asie centrale et l'Afghanistan.

Si elle voyage parfois seule, elle est aussi souvent accompagnée par des locaux ou d'autres aventuriers, à l'instar du journaliste et écrivain britannique Peter Fleming avec qui elle traverse la Chine pendant sept mois en 1935, de Pékin au Cachemire, un voyage qu'elle raconte dans "Oasis interdites".

Ella Maillart à son arrivée à Gilgit (au nord du Pakistan actuel) avec l'écrivain britannique Peter Fleming en 1935.
Ella Maillart à son arrivée à Gilgit (au nord du Pakistan actuel) avec l'écrivain britannique Peter Fleming en 1935.

A la veille de la Seconde Guerre mondiale, en juin 1939, c'est au côté de l'écrivaine zurichoise Annemarie Schwarzenbach qu'elle embarquera au volant d'une Ford, à destination de l'Afghanistan. Objectif affiché: "découvrir comment on peut vivre en accord avec son coeur".

Mais les paysages somptueux qu'elles traversent ne permettront pas à Ella Maillart d'arracher son amie, tourmentée, à la drogue. Une expérience poignante qu'elle raconte à merveille dans "La Voie cruelle".

Un récit à valeur ethnographique

"Pour traverser ces contrées au climat rude, et dans les conditions de l'époque, qui plus est en étant que femme, il fallait une réelle condition physique et beaucoup de persévérance. Ce qu'elle a fait relève de l'exploit", souligne Raphaël Blanc pour qui le récit d'Ella Maillart à "valeur de travail ethnographique".

Car si elle utilise l'écriture comme gagne-pain, l'aventurière dispose d'un don réel pour la photographie qu'elle a apprise en autodidacte. Quelque 20'000 clichés - déposés au musée de l'Elysée de Lausanne - documentent ses voyages à travers des contrées encore préservées de l'influence occidentale et témoignent de la vie des nomades à cette époque.

>> Retour sur l'Asie d'Ella Maillart dans Viva en 1990 :

Ella Maillart à Chandolin en 1990. [RTS]
Viva - Publié le 19 juin 1990

La quête spirituelle

Arrivée à Kaboul en septembre 1939, choquée d'apprendre que la guerre a éclaté en Europe, elle se rend en Inde où elle passe cinq ans dans un ashram. "J'ai décidé de quitter les livres et de vivre auprès d'un homme, un sage, pour voir si la sagesse de l'Orient peut m'aider dans ma recherche pour comprendre pourquoi est-ce qu'on vit", témoigne Ella Maillart, bien des années plus tard.

J'étais au début d'un voyage tout nouveau qui devait me conduire plus avant vers la vie complète et harmonieuse que je cherchais instinctivement. Pour entreprendre ce voyage, il me fallait apprendre d'abord à connaître les terres inconnues de mon propre esprit

Ella Maillart

S'interrogeant sur la part de prédestination dans son destin individuel, l'aventurière estime: "Ma vie est tellement extraordinaire, ce n'est pas moi qui suis responsable. La force du désir était en moi, je ne l'ai pas acquise". "On croit qu'on mène. On est menés, c'est ma conclusion", ajoute-t-elle.

Ella Maillart à Chandolin en 1990. [RTS]
Viva - Publié le 19 juin 1990

Un havre de paix à Chandolin

Dès son retour en Suisse, la Seconde Guerre mondiale terminée, Ella Maillart renonce à la ville pour s'installer dans le val d'Anniviers (VS) où elle passe au moins six mois par année. A Chandolin, elle se fait construire un chalet face aux montagnes où elle revient entre deux voyages et conférences.

Le but de la vie est d'arriver à cette paix profonde, cette compréhension de ce mystère suprême qu'est la vie

Ella Maillart

"Je retrouve ici un peu de cette atmosphère du sommet du monde où on domine, où l'air est pur, où on se sent heureux", confie-t-elle en 1973 dans l'émission "Tous les pays du monde". Et de saluer: "Je suis contente de constater qu'il y a de plus en plus de gens qui ont la même réaction, qui retournent vers des lieux sains, quitte à vivre plus simplement".

Ella Maillart sur le toit de son chalet de Chandolin en 1973. [RTS]
Tous les pays du monde - Publié le 2 décembre 1973

Au-delà des séjours lointains parmi les nomades, c'est aussi cette quête intérieure qui ressort magnifiquement du film de Raphaël Blanc et cette sérénité enfin trouvée par cette Genevoise installée au plus proche de la nature, en Valais, où elle s'éteint le 27 mars 1997.

Crédits

Textes et réalisation web: Juliette Galeazzi

Sources: archives RTS

Juin 2017

(remis à jour en décembre 2018)

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