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De la lumière sur ordonnance
Sida: 25 ans déjà
25 ans après la découverte du virus, l'épidémie continue ses ravages: 25 millions de morts et 33 millions de séropositifs à travers le monde. Grâce aux trithérapies, il s'est transformé en maladie chronique dans les pays occidentaux, mais reste un fardeau sur le plan relationnel.
Une enquête de Françoise Ducret et Bernard Novet
Sida : hier et aujourd'hui
Au début
des années 80 une épidémie frappe de jeunes hommes vivant à New
York et San Francisco. Ils ont un point commun : ils sont gays et
meurent des suites de cancers, notamment du sarcome de Kaposi ainsi
que de diverses maladies opportunistes. On appelle cette épidémie
le GRID ( gay related immunodeficiency ) ou en français déficience
immunitaire liée à l'homosexualité. Le 20 mai 1983, le prof Luc
Montagnier identifie le virus. On comprendra plus tard que la
maladie a été transmise à l'homme par le singe. Très rapidement le
sida se propage et touche toutes les couches de la population.
Trithérapies et effets secondaires
Alors que la pathologie reste mortelle dans les pays du
Tiers-Monde, faute d'accès aux médicaments, dans les pays
industrialisés le sida est devenu une maladie chronique. Les
trithérapies, introduites au milieu des années 90 ont profondément
changé la vie des malades. Les nouveaux médicaments s'attaquent aux
différentes phases de reproduction du virus, empêchant sa
propagation. La virémie devient indétectable et les défenses
immunitaires sont restaurées. Le traitement doit être pris à vie
car les médicaments n'éradiquent pas complètement le virus . Il
reste tapis dans les ganglions. Un arrêt du traitement peut être
fatal. Et toute interruption risque de générer des résistances.
Malheureusement, les trithérapies peuvent être accompagnées
d'importants effets secondaires. Le métabolisme des graisses peut
être perturbé avec à la clé une augmentation du taux de
cholestérol, la présence de trigylcérides dans le sang ainsi que
des accumulations de graisses sur le ventre (lipodystophie).
Sida et génétique
Une particularité a
intrigué les chercheurs. Ils ont constaté que certains grands
singes d'Afrique étaient infectés par le VIH mais ne développaient
jamais la maladie alors que d'autres tombaient malades. Ils ont
compris que la réponse était à chercher dans le patrimoine
génétique de l'animal. Chez l'homme la situation est similaire.
Certaines personnes ne seront jamais infectées ou, même si elles le
sont, elles ne développeront jamais la maladie. On appelle ces
chanceux des «contrôleurs de virus».
L'équipe du prof Amalio Telenti au CHUV , associée à celle du prof
Antonarakis de l'Université de Genève ont analysé la carte
génétique de ce type de patients. Certaines combinaisons de gènes
et certains variants génétiques sont responsables de la protection
contre l'infection. En clair , chaque individu, suivant son
hérédité, déclinera une réponse différente. Cette découverte
permettra peut-être d'adapter les traitements d'après le profil
génétique individuel.
Les séropositifs ne sont plus contagieux
En automne 2007, le
professeur genevois Bernard Hirschel défraie la chronique. Il
annonce que les malades dont la virémie est devenue indétectable
peuvent avoir des relations sexuelles sans préservatif. En clair,
toutes les personnes qui sont sous trithérapies et qui suivent leur
traitement à la lettre ainsi que les « contrôleurs de virus »
peuvent être considérés comme non contagieux.
Ces déclarations sont critiquées par les milieux de la prévention
qui craignent qu'elles ne soient mal interprétées. L'OMS
désapprouve également mais les autorités sanitaires suisses
soutiennent le prof genevois.
Ces déclarations ont le mérite d'offrir une base juridique pour
éviter que des séropositifs ne soient injustement condamnés pour
transmission de la maladie alors qu'ils ne sont plus contagieux.
Par ailleurs, elles permettent à des couples séro-discordants
d'avoir un enfant de manière naturelle. Il faut toutefois souligner
que les preuves scientifiques ne sont pas absolues en la
matière.
La prévention
En Suisse, l'office fédéral de la santé
publique et l'Aide suisse contre le Sida orchestrent depuis plus de
20 ans des campagnes de prévention et d'information pour éviter la
propagation du sida. Ce travail a porté ses fruits puisque,
jusqu'en 2002, le nombre de nouvelles infections a baissé. Grâce au
programme d'échanges de seringues et de distribution de méthadone,
les contaminations chez les toxicomanes ont également
diminué.
Epidémie à nouveau en hausse
Toutefois depuis 5 ans l'épidémie repart chez les homosexuels
suisses ainsi que chez les migrants provenant d'Afrique
subsaharienne. Des actions spéciales ont été mises sur pied. En
2008, l'opération Mission P a été proposée sur la scène gay. Elle a
incité les homosexuels à respecter de manière absolue 3 mois de
relations sexuelles protégées, puis les a invités à faire un test
de dépistage. Le but étant d'enrayer la vague de primo-infection.
Les semaines qui suivent une nouvelle infection sont en effet
particulièrement dangereuses. Le malade ne sait en principe pas
qu'il a été contaminé et sa charge virale dans le sang est très
élevée, avec un risque de contagion maximale.
Au niveau des migrants, le groupe Afrimedia propose des actions
spécifiques dans les commerces, les restaurants et les différentes
manifestations fréquentées par des hommes et femmes venant des
régions subsahariennes. Il s'occupe aussi des requérants
d'asile.
Le vaccin
"Il n'y aura
jamais de vaccin", déclare le professeur Bernard Hirschel. Comment
voulez-vous en développer un ,alors que le corps humain n'arrive
pas lui-même à vaincre le virus. En plus il existe plusieurs
souches du virus et il mute constamment. La firme pharmaceutique
Merk a abandonné, en septembre 2007, après 10 ans d'étude, un
candidat vaccin testé sur plusieurs milliers de personnes. Le
vaccin non seulement n'empêchait pas les infections, mais semblait
les faciliter. Le consortium européen Eurovac ne baisse en revanche
pas les bras. Le professeur lausannois Giuseppe Pantaleo conduit
une étude sur 40 volontaires sains. Il leur a injecté, en 4 fois, 2
candidats vaccins différents.
Les volontaires sont suivis pour voir si leur réponse immunitaire
est dopée. Pour l'instant, les résultats semblent intéressants,
mais il faudra pouvoir tester ce vaccin sur des populations à
risque. Cela devrait se faire en Afrique, si tout va bien en 2009
ou 2010.
La stigmatisation et la culpabilisation
« Etre
séropositif en 2008 c'est se sentir coupable de ne pas avoir su se
protéger ». Bien des malades ressentent les critiques d'être tombé
malade à cause d'une faute, d'un comportement déviant. Le sentiment
de culpabilité est aujourd'hui tout aussi fort qu'il y a 20 ans.
Malgré les campagnes de l'OFSP et de l'Aide suisse contre le sida
pour éviter la discrimination, les malades continuent à avoir de la
difficulté à parler de leur maladie. Que ce soit dans leur
entourage ou dans le milieu professionnel.
Notre société continue à vivre avec des peurs irrationnelles.
Partager la fondue avec un séropositif, l'embrasser peut être un
problème, alors que tout le monde devrait savoir que la maladie ne
se transmet que par le sang ou les contacts sexuels.
Obstacles
Les séropositifs ne sont légalement pas tenus de dire qu'ils sont
malades lors d'un entretien d'embauche. Ils ont d'ailleurs intérêt
à se taire car bien des patrons sont réticents à engager un malade
alors qu'ils n'hésiteront pas à embaucher un diabétique. Les
voyages peuvent également poser problème car 12 pays interdisent
l'accès à leur territoire aux séropositifs. Parmi eux, les
Etats-Unis et la Russie. Une situation dénoncée par le secrétaire
de l'ONU Ban-Ki Moon, qui a demandé à ces pays d'assouplir leurs
règles.