La médecine de proximité en péril
C'est l'histoire d'une ordonnance qui fâche. Elle vise à contrôler les coûts de la médecine en diminuant les tarifs des analyses médicales, une bonne idée si ce n'est que cette mesure administrative met en péril tout le système des soins de proximité de notre pays.
Un reportage d'Isabelle Dufour et Jean-Alain Cornioley.
L'administration fédérale a décidé de s'attaquer aux prix des
analyses médicales pour diminuer les coûts de la santé. L'économie
prévue : 250 millions de francs, 0,7% du coût total de la santé.
Or, depuis 2000, les prix ont déjà subi deux baisses successives de
10% chacune. Aujourd'hui, les laboratoires doivent faire face à une
coupe globale de 25% d'un coup! Tous les acteurs sont d'accord
d'adapter ce qui peut encore l'être, mais au-delà, la survie de
tout un système est en péril. Cette situation indigne, inquiète et
fâche les acteurs de la santé tenus à l'écart lors de la
procédure.
Si cette ordonnance est signée par Pasal Couchepin, Conseiller
fédéral en charge de la santé, on peut craindre des mises au
chômage en masse, des délocalisations de laboratoires, des reports
de coûts sur les hôpitaux... Tout cela accompagné d'une diminution
de la qualité de la médecine de premier recours.
Erreurs médicales: la vérité d'abord
Pourquoi est-il si difficile d'obtenir la vérité en cas d'erreur médicale? Cela éviterait pourtant de nombreuses procédures judiciaires.
Isabelle Moncada et Eric Bellot ont enquêté sur trois affaires particulièrement éloquentes.
Le diagnostic manqué
Juillet 2007, cela fait juste cinq
semaines que Diego est venu au monde. Depuis quinze jours, il a le
nez qui coule à cause d'un rhume qui ne passe pas, rien de grave,
c'est fréquent chez les enfants. Mais l'état du bébé se dégrade.
Ses parents l'emmènent dans un hôpital regional. De nouveaux
symptômes apparaissent sous les yeux des soignants: 38.9° de
température, des boutons sur tout son torse, boutons qu'il n'avait
pas avant de partir pour l'hôpital, de la diarrhée, des
vomissements. Diego est en train de développer une méningococcémie,
une maladie très rare, foudroyante, qui laisse peu de chance, même
si on réagit très vite. Aux urgences de l'hôpital, personne ne se
méfie de cette maladie. La jeune médecin assistante qui voit
l'enfant pense que c'est viral. Tout au long de la nuit, les
bactéries de la méningococcémie prolifèrent dans le corps du
bébé.
La température de Diego chute alors à 36.2°. Les boutons sont
devenus des plaques violacées, "des pétéchies". C'est signe de
septicémie. Enfin, les soignants s'inquiètent, tout le service se
précipite. Diego est mis sous oxygène, le pédiatre de garde est
appelé. Tout est tenté pour le sauver, mais la réanimation se passe
mal. Après deux arrêts cardiaques, le petit Diego est évacué vers
les soins intensifs de pédiatrie d'un hôpital universitaire, en
vain. Alors surgissent les questions. Ce drame aurait-il pu être
évité? A-t-on mis toutes les chances du côté de l'enfant? Pourquoi
est-on passé à côté du diagnostic? Comment les tests de laboratoire
ont-ils été interprétés? L'erreur est déniée. La famille dépose une
plainte pénale et demande à rencontrer tout le service. Ce n'est
pas la haine ou la rancoeur qui motive leur décision, c'est pour
comprendre mieux, pour prévenir d'autres drames. A la suite de la
discussion avec les soignants, les parents de Diego retirent leur
plainte. Même si certaines questions resteront sans réponse, ils
peuvent désormais penser à l'avenir.
Le cancer inexistant
2007.
Dominique*, 35 ans, se plaint à son gynécologue de douleurs au
sein. La mammographie ne montre rien d'anormal. A l'échographie,
une petite zone éventuellement suspecte est visible. Une biopsie du
sein est alors pratiquée, qui révèle une forme de cancer très
agressif. De nouveaux examens, une scintigraphie ainsi qu'un IRM,
n'indiquent rien d'inquiétant. Mais le gynécologue de Dominique
décide de l'opérer. Trois médecins et des infirmières lui posent un
hameçon, un repère pour l'opération. Le gynécologue pratique
l'intervention, une chirurgie blanche: impossible de trouver la
tumeur dans la pièce de tissus retirée.
Quelquefois, l'opération ne permet pas de repérer la lésion
tumorale, qui avait été diagnostiquée à la biopsie, il s'agit d'une
situation exceptionnelle. Dans ce cas, une procedure doit être mise
en place pour établir la presence ou l'absence d'un cancer. Cette
procédure n'a pas été pratiquée avec Dominique. Elle subit à
nouveau une série d'examens, toujours aucune trace de tumeur. De
plus, le ganglion sentinelle enlevé par le chirurgien est lui aussi
négatif. Néanmoins, un oncologue la presse d'accepter une
chimiothérapie, car, dit-il, le cancer décelé est très agressif, et
on ne peut pas se permettre d'attendre.
Dominique subit six chimiothérapies très
lourdes. Ce n'est qu'à l'Hôpital cantonal de son canton, au moment
d'entreprendre une radiothérapie, qu'un médecin a des doutes et
décide de discuter le cas avec ses collègues. Un des moyens
d'éviter des erreurs, c'est de ne pas se retrouver seul face à des
situations complexes. C'est l'une des évolutions des structures
médicales aujourd'hui. Les médecins du colloque interdisciplinaire
pré-opératoire proposent de faire un test ADN pour contrôler si le
tissu prélevé est bien celui de Dominique. Son prélèvement de sang
pour le test ADN ne correspond pas à la première biopsie.
Dominique a porté plainte pour connaître la vérité et obtenir
réparation. Elle se sent maltraitée et méprisée par les médecins à
qui elle a fait confiance. Elle a droit à la vérité et rapidement,
à toute la vérité.
*Prénom fictif
Fatale anesthésie
L'anesthésie s'est beaucoup inspirée de
l'aviation civile pour prévenir les accidents. Les Hôpitaux
universitaires de Genève utilisent même un simulateur, qui plonge
l'équipe dans des situations extrêmes, afin d'entraîner les
réflexes et la communication. La culture de la sécurité dans les
milieux à haut risque comme le nucléaire, l'aviation ou l'industrie
chimique, commence à se développer dans les hôpitaux. Toutefois,
quand on a appris une mauvaise règle ou qu'on applique une règle à
un mauvais contexte, il faut être deux, voire trois, pour récupérer
cette erreur, raison pour laquelle on travaille en binôme dans
l'industrie: je regarde ce qui tu as fait, tu regardes ce que j'ai
fait. C'est ce regard de l'aîné sur l'interne inexpérimenté qui a
manqué au petit Diego, c'est un second avis avant la chimiothérapie
qui a fait défaut à Dominique. C'est l'absence d'un autre soignant
qui est en cause dans cette troisième affaire.
Elle se déroule un matin, il y a plusieurs mois, dans un
établissement médical privé. Un patient doit se faire opérer d'une
hernie discale. Une intervention planifiée, sans urgence.
L'anesthésiste est seul; il endort son patient et le curarise. Le
curare provoque une paralysie flasque des muscles, qui facilite la
chirurgie. La paralysie touche aussi les poumons, le patient ne
peut plus respirer par ses propres moyens. Sa vie dépend
entièrement de l'anesthésiste et de la machine. Pour une raison
inconnue, le médecin fait alors quelque chose d'inconcevable: il
laisse le patient seul et vulnérable. Si le moindre problème
surgit, le temps de réaction est très court. Quand l'anesthésiste
revient, le patient ne respire plus. Malgré les tentatives de
réanimation, il mourra.
Une trop grande routine explique-t-elle
cette tragédie? Pourquoi fait-on l'économie d'un poste infirmier
dans ce service? L'affaire est devant la justice. Depuis, rien n'a
changé dans les procédures de sécurité de l'établissement en
question. Les hôpitaux qui nient les erreurs sont les plus
dangereux. Les plus sûrs sont ceux qui les identifient et cherchent
des solutions pour sécuriser les soins. Ces hôpitaux acceptent
d'investir pour une médecine plus sûre. Adapter la sécurité au
progrès médical, c'est le premier défi. Le second est d'améliorer
la communication en cas d'erreur ou d'échec, pour les équipes sous
pressions qui sont les victimes secondaires des erreurs, mais
surtout pour les patients. Ce que le patient demande, c'est d'abord
une explication claire de ce qui s'est passé, et qu'on l'écoute et
le croit. Puis s'il y a eu une erreur, c'est obtenir des excuses.
Enfin, le patient demande qu'au moins l'erreur serve aux autres
patients.