Il n’y a pas de réponse à cette question qui soit vraiment exacte et simple.

Il est communément accepté qu’en condit ions normales le cerveau humain moyen ne supporte pas l’absence d’oxygène (anoxie) pendant plus de 3 minutes sans souffrir de lésions irréversibles. Il y a dans cette réponse une multitude de variables qui ont un impact extrême sur la sensibilité du cerveau à l’anoxie.

Pour commencer, nous pouvons nous interroger sur la raison du besoin en oxygène. En effet, bien des bactéries et même la plupart de nos cellules peuvent fonctionner sans oxygène. La vie a même débuté et perduré durant 1 milliard et demi d’années sans oxygène. La plupart des cellules peuvent vivre avec très peu d’énergie en mode anaérobique formant du lactate. L’oxygène permet l’oxydation, hachage menu, et la libération de beaucoup d’électrons à haute énergie permettant de générer environ 18 fois plus d’ATP qu’en mode anaérobique et surtout de libérer du CO2 plutôt que du lactate, plus facile à évacuer. C’est un peu comme les voitures hybrides, le mode anaérobique permettant le maintien de la vitesse et les petites accélérations, alors que le moteur à combustion permet d’avoir de la puissance.

Il est aisément compréhensible que les neurones en action aient besoin du moteur à combustion, en revanche il n’est pas clair pourquoi au repos les neurones ne sont pas capables de survivre en mode anaérobique. Il est même intéressant de noter que certains animaux en hibernation ou certaines grenouilles en plongée peuvent préserver leur cerveau de tout dégât même en l’absence d’oxygène durant plusieurs heures. Il est remarquable qu’un groupe de neurones à la base du cerveau humain résiste parfaitement à l’anoxie durant plusieurs heures également. Le cerveau humain dans son ensemble souffre donc du manque d’oxygène, mais les neurones le constituant ne souffrent pas tous autant.

Les conditions de fonctionnement du cerveau au moment du manque d’oxygène influencent également beaucoup sa fragilité. L’activité comme décrite précédemment nécessite une grande quantité d’énergie. La production d’énergie par la voie anaérobique est largement insuffisante pour maintenir quelque activité neurologique que ce soit. Un mécanisme de protection force donc rapidement tous les neurones au repos, raison pour laquelle nous perdons rapidement connaissance quand l’alimentation cérébrale est interrompue (ischémie). Ce mécanisme se déclenche en quelques secondes et c’est ce qui permet de drastiquement limiter la consommation d’énergie aux seules fonctions cellulaires assurant la maintenance des structures essentielles à la survie. Malheureusement, cette mise au repos (quiescence) ne peut être maintenue que durant une période de quelques minutes et c’est la capacité à maintenir cet état le plus longtemps possible qui détermine la résistance du neurone à l’ischémie. Certains neurones peuvent rester quiescents durant plusieurs dizaines de minutes, d’autres seulement quelques secondes. Cette capacité est grandement améliorée en baissant la température et ceci explique pourquoi certains noyés ont survécu sans séquelles après

des immersions en eau froide de longue durée et pourquoi l’on peut dans certains cas procéder à des interventions avec arrêt de la circulation cardiaque durant 40 minutes à 1 heure sans entraîner de lésions.

La sensibilité à la rareté de l’oxygène (hypoxie) est également très variable d’un sujet à l’autre. Ceci s’explique par une multitude de mécanismes d’adaptation dont le premier est la perte de connaissance comme décrite ci-dessus. D’autres mécanismes plus lents se mettent en place sur deux à trois semaines et permettent l’accoutumance à l’altitude que les alpinistes connaissent bien. Personne ne pourrait survivre au sommet du Mont Everest s’il y était déposé en provenance directe du bord de mer sans y avoir été progressivement adapté. Certains guides himalayens, par sécurité pour leurs clients, refusent d’inhaler de l’oxygène. Cela leur permet ainsi de rester conditionnés et, en cas de dysfonctionnement des suppléances en oxygène des clients, de pouvoir leur venir en aide. L’exposition d’un cerveau à une condition d’hypoxie ou d’anoxie alors qu’il est pré conditionné permet ainsi d’éviter ou de retarder l’apparition de lésions irréversibles.

D’autre part, comme l’illustre la faculté de certains à fonctionner normalement au sommet du Mont Everest durant plusieurs heures, le cerveau peut fonctionner avec la moitié des apports normaux en oxygène. Quand la quantité d’oxygène est réduite de 5 fois, l’individu perd connaissance mais ne souffre de lésions irréversibles qu’après 1 heure. Ceci explique qu’en cas d’arrêt cardiaque, le rétablissement ne serait-ce que partiel d’une circulation cérébrale par un massage cardiaque et une ventilation artificielle initiés rapidement permettent également d’augmenter la survie et de limiter les séquelles. Il n’est pas impossible que dans le futur on puisse conditionner les neurones à survivre sans oxygène durant bien plus longtemps qu’actuellement.