La police française avait mené une opération d'expulsion à Notre-Dame-des-Landes le 10 avril. [Keystone - Thibault Vandermersch]

"Les conservateurs ont changé de camp*

Cʹest ce quʹon pourrait appeler un contre-feu particulièrement astucieux. Faire évacuer les squatteurs-zadistes de Notre-Dame-des-Landes en début de semaine, pour détourner lʹattention de lʹopinion publique des grèves diverses qui paralysent le pays. Bravo Monsieur Macron, vous avez le sens du timing. Les images de policiers en tenue de Robocop sʹen prenant à quelques centaines de jusquʹau-boutistes, dans un climat plus ou moins violent ont fait le tour des médias. La France adore ces moments de tension, qui alimentent son histoire. Le soir entre la poire et le fromage, on peut aisément en causer en famille, à coup de pour ou contre et de mauvaise foi. De belles joutes verbales, comme en mai 68 où les assiettes volaient dans la cuisine lorsque les parents et les enfants sʹinvectivaient à propos de la légitimité des manifestations. Et puis… sʹengueuler le soir permet dʹoublier quʹon nʹaura pas de train pour aller travailler le lendemain matin.
Présenté ainsi le tableau serait presque pittoresque. Sauf quʹil ne lʹest pas. Même si certains romantiques, notamment les étudiants qui font le siège de leurs universités, rêvent de rééditer le coup de 68, le blocage actuel de la France nʹa plus rien à voir avec le mouvement libératoire issu des Trente Glorieuses. Il est même tout le contraire, puisque les conservateurs ont changé de camp. En 2018 les tenants de lʹordre ancien ne sont pas à chercher du côté du gouvernement mais bien de celui des éternels révoltés professionnels. Rappellons quʹEmmanuel Macron a cédé en ce qui concerne Notre-Dames-des Landes et abandonné le projet de construction de lʹaéroport, captant lʹesprit du temps qui nʹest plus celui du bétonnage mais plutôt celui de la protection de lʹenvironnement. Alors pourquoi continuer à se battre pour une cause qui nʹexiste plus, si ce nʹest peut-être parce que la lutte dogmatique donne à ceux qui la mènent un sentiment dʹexister pleinement…Et que dire de ces cheminots qui inventent une grève à temps partiel, deux jours sur cinq jusqu'à la fin juin prochaine ? Eux dont le statut existe depuis 1920, sans modification profonde, avec la possibilité de faire valoir leurs droits à la retraite entre 52 et 57 ans…perspective qui fait saliver les salariés du privé, qui nʹont pas la possibilité de faire grève, sous peine de perdre leur emploi. Car cʹest bien là tout lʹenjeu : la définition de lʹemploi de demain. Sʹarc-bouter sur dʹanciens acquis ne fera que prolonger le déclin. Sʹil leur fallait une cause dʹavenir, on pourrait suggérer à tous les grognards de la république de se battre, par exemple, pour un revenu de base universel, qui torpillerait comme ils le souhaitent la toute-puissance de la finance, et qui créerait un vrai mécanisme de solidarité entre les individus.
"Les conservateurs ont changé de camp*