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"Atteindre l’aube", la traversée très personnelle de Diglee

L'écrivaine et illustratrice Diglee. [Pauline Darley]
Entretien avec Diglee, autrice de "Atteindre l'aube" / QWERTZ / 28 min. / le 22 juin 2023
Dans "Atteindre l’aube", l’écrivaine et illustratrice Diglee profite de l’histoire romanesque de sa grand-tante Georgie pour raconter comment nos héritages familiaux nous construisent. A moins qu’on ne les déconstruise.

Dans la famille de Diglee, la grand-tante Georgie avait un statut à part. Jamais mariée, nullipare, elle vivait seule dans un appartement qui croulait sous les fétiches, les babioles et les tapisseries. D’elle, on ne connaissait que ce qu’elle voulait bien montrer. Et encore, on ne pouvait pas lui rendre visite au débotté. Ses apparitions exigeaient d’elle une longue préparation: perruque, vêtements, arrangements du décor.

Personnage total, elle fascinait Diglee, qui vouait à la sœur aînée de sa grand-mère un amour plein d’admiration, exemple de liberté et de singularité. C’est même de l’une des grandes passions de son aïeule que cette illustratrice lyonnaise a tiré sa première bande dessinée, "À Renaud: Georges Soichot " (Manolosanctis, 2010).

Lettres sauvées

A l’époque, Diglee est fraîchement diplômée d’une école d’art lyonnaise. Elle publie ses dessins, alors inspirés de son quotidien de jeune femme, sur un blog qui fédère une grande quantité de lectrices et  lecteurs. Sous l’apparente légèreté des bulles, elle chronique les vicissitudes et les aberrations de la condition féminine.

Mais en 2014, Georgie fait une mauvaise chute et meurt. Précipitée dans l’antre marseillais de sa grand-tante, Diglee sauve in extremis plusieurs centaines de lettres et d’archives.

Cette boîte, sans me la montrer toutefois, tu m’en as souvent parlé. Probablement même ce jour-là. Tu m’avais promis de me la transmettre à ta mort. "Je veux que tu les aies, ces lettres. Toi, tu comprendras", c’est ce que tu m’as dit.

Diglee, extrait d'"Atteindre l’aube"

Un manifeste des relations non toxiques

Il faudra presque dix ans à l’autrice pour trouver son chemin dans cette masse de documents. Une décennie pendant laquelle, de son côté, elle fait aussi mûrir son rapport à la passion amoureuse, un art dramatique théâtralement entretenu par les femmes de sa famille depuis plusieurs générations: "et moi bêtement, faiblement, je succombais à cette croyance dangereuse: que les véritables amours font peur, ou tuent. Que seul compte d’aimer, et que l’on ne s’en remet jamais", écrit encore Diglee dans ce récit qui se lit également comme un manifeste en défense des relations non toxiques, de la tendresse désarmante et des corps libérés des injonctions genrées.

"Atteindre l’aube" arrive deux ans après "Ressac", où Diglee racontait sa retraite en solitaire dans un monastère breton. La jeune femme, secouée par une série d’évènements personnels, y exprimait son urgence à identifier et à faire face à ses véritables besoins, loin du tumulte des réseaux sociaux où elle anime une communauté de plus 75'000 abonnés.

Des préoccupations universelles

Dans ce nouveau livre, publié comme les deux précédents aux éditions La Ville brûle, Diglee apparaît plus apaisée que jamais. Elle a fouetté ses fantômes et réglé ses comptes avec les mythologies envahissantes de sa famille pour n’en garder que les légendes constructives. Elle a gagné des forces vives dans la lecture de ses autrices préférées.

Cette sagesse, qui puise autant dans la psychomagie que dans les jardins qu’elle cultive, Diglee la partage poétiquement dans ce livre personnel qui, sous couvert d’un portrait de femme, fait résonner des préoccupations universelles.

Salomé Kiner/aq

Diglee, "Atteindre l’aube", Ed. La Ville brûle.

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