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Avec "Ressac", Diglee capte l'intensité tranquille du recueillement

Diglee. [DR - Pauline Darley]
Entretien avec Diglee, auteure de "Ressac" / QWERTZ / 28 min. / le 9 juin 2021
"Ressac" est une anagramme de "casser". Sous la plume de l’écrivaine et illustratrice Diglee, c’est le récit réparateur d’une jeune femme qui fuit pour mieux se retrouver. Ce livre au titre double vient de paraître aux éditions La Ville brûle.

"J’avais envie qu'on prenne soin de moi". Cette phrase, Diglee (de son vrai nom Maureen Wingrove) ne l’écrit pas. Elle la jette sur le papier, comme un cri désespéré, dans les premières pages de "Ressac", pour introduire le projet à l’origine de ce livre: s’offrir une semaine d’isolement, reconquérir le calme et la disponibilité qui manquent à sa vie quotidienne.

Cette illustratrice lyonnaise de 33 ans s’est fait connaître très jeune sur Internet, puis à travers ses bandes dessinées féministes, ses aquarelles à la gloire du "body positive", ses coups de cœur littéraires - essentiellement des autrices ignorées des programmes scolaires – et des ouvrages de sensibilisation écrits en collaboration avec Ovidie: "Baiser après #Metoo" et "Libres! Manifeste pour s'affranchir des diktats sexuels".

Une retraite dans le Morbihan

Mais en février 2020, la vie de Diglee s’enlise dans une spirale délétère. Accablée par la fatigue militante, la surdose de réseaux sociaux, une peine d'amour et un drame familial, elle décide de s’isoler. "J’étais devenue cette personne qui disait tout le temps: j’ai pas le temps. Et ça c’était pas possible."

Je ressentais aussi un fort et impérieux besoin d’écrire. Quelque chose de nouveau, d’indicible avait besoin de sortir.

Diglee, extrait de "Ressac"

C’est l’Abbaye de Rhuys, dans le Morbihan, qui hébergera sa retraite: "un bâtiment en pierres grises et à l’allure austère, bordé d’un jardin calme saupoudré de neige." Des repas à heure fixe. Une chambre frugale. Des chemins balisés. Un cadre idéal pour la jeune femme qui ne veut surtout pas "partir dans quelque chose de trop flou où j’aurais eu à m’occuper de moi-même."

Archiver le présent

Pour parer à l’angoisse de la solitude et du désœuvrement, tout sauf une disposition naturelle pour cette hyperactive hypersensible, Diglee transforme sa valise en kit de survie: des carnets de toutes tailles, du matériel de peinture, ses journaux intimes, des timbres, un coupe-papier, des feutres, des stylos, de l’encre et ses livres fétiches. Des présences pour meubler le vide qu'elle appréhende, mais aussi une manière d’archiver le présent, cette matière éphémère qui fait la glaise de son travail.

Ma grande angoisse, celle qui me pousse à faire des livres, c’est de perdre la trace des choses vécues. De les vivre, de les éprouver, mais de n’avoir aucune chance de les garder. J’essaie de tout retenir.

Diglee

"Ressac" témoigne de cette manie. Dans ce récit à fleur de peau, lavé par les embruns, revigoré par l’iode, Diglee consigne tout ce qui la traverse, du dehors et du dedans. Les humeurs et les ciels gris, ses problèmes d’orientation, ses caprices de citadine. "D’abord, je suis déçue, dit-elle avec humour. Je m’imaginais une sorte de château à la Poudlard avec des vieilles pierres et une cheminée, et puis j’arrive et je trouve des couloirs en linoléum et une cantine qui sent la graisse froide et la javel".

Une introspection réussie

Son honnêteté, directe, désarmante, est pourtant ce qui va permettre à "Ressac" de se hisser sur le mât d’une introspection réussie. Se délestant progressivement de ses attentes, elle va s’ouvrir aux hasards des rencontres, faire parler les coïncidences, apprendre à se perdre et à retrouver son chemin, au propre comme au figuré. En se détachant d’elle-même, elle fait place, dans son esprit puis dans le texte, aux forces qui irriguent sa vie quand le courant n’est pas obstrué par les contingences extérieures.

Battue par le ressac, l’abbaye devient un espace de sororité improvisée, où les résidentes partagent leurs expériences et leurs blessures, mais aussi leurs audaces et leurs renaissances. Au détour d’un jeu de tarot, en évoquant la vie de sa grand-mère, en lisant Anaïs Nin à flanc de falaise, en mordant dans un phare breton ou en s’absorbant dans la peinture d’un mimosa, Diglee réussit à capter une forme de "douceur philosophique", l'intensité tranquille du recueillement.

Salomé Kiner/aq

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