Jean-Luc Godard en 2010. [AFP - Miguel Medina]
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Godard, icône intimidante du cinéma

>> Jean-Luc Godard est décédé mardi à l'âge de 91 ans. Depuis "A bout de souffle" en 1959, le cinéaste n'aura cessé d'expérimenter de nouvelles formes de narration et de faire un usage iconoclaste des nouvelles technologies. Comme Picasso, Godard a ses périodes.

>> Figure iconique volontiers intimidante, il y avait pourtant du clown en JLG, voire du showman à l'image de ses conférences de presse considérées comme des performances. L'homme avait non seulement le sens de l'humour, il avait aussi développé un burlesque bien à lui.

>> Avec le temps, le montage, "qui transforme le hasard en destin", avait pris de plus en plus d'importance dans son travail. Ces dernières années, le cinéaste tournait moins qu'il assemblait, recyclait, surimpressionnait. Il le faisait avec l'image mais aussi avec la musique, en réinventant son emploi au cinéma.

>> Dans sa période Nouvelle Vague, il avait collaboré avec les meilleurs compositeurs de films. A partir des années 1980, le Rollois avait décidé d'aller puiser directement dans le répertoire classique. Avec une prédilection pour Beethoven.

>> Godard a toujours été là où on ne l'attend pas, en avance de plusieurs trains, défaisant chaque décennie ce qu'il avait fait auparavant. Il est désormais une référence absolue pour les plasticiens, peut-être plus encore que pour les cinéphiles, et inspire toujours autant la jeune génération. : Le cinéaste franco-suisse Jean-Luc Godard est décédé à l'âge de 91 ans

>> A lire également : Après le décès de Jean-Luc Godard, le monde honore un génie irrévérencieux du cinéma

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Catherine Buser, Raphaële Bouchet, Marie-Claude Martin, Rafael Wolf

L'art de la rupture

Godard, cinéaste punk

"Godard a pulvérisé le système, il a fichu la pagaille dans le cinéma, ainsi que l'a fait Picasso dans la peinture, et comme lui il a tout rendu possible", écrira François Truffaut à propos du film culte "A bout de souffle" sorti en mars 1960, tourné sur le vif entre août et septembre 1959. Avec un gars (Jean-Paul Belmondo), petit malfrat qui aime une fille (Jean Seberg) et voudrait la convaincre de partir à Rome avec lui. C'est LE film qui vient à l'esprit, avec "Les 400 Coups" de Truffaut, quand on pense aux débuts de la Nouvelle Vague. Quitte à oublier que d'autres (Agnès Varda, Alain Resnais, Jean-Pierre Melville) avaient déjà permis au cinéma d'entrer dans la modernité.

>> A écouter, le sujet de "Vertigo" :

Jean-Luc Godard chez lui à Rolle (VD) le 5 avril 2019. [RTS - Philippe Christin]RTS - Philippe Christin
Jean-Luc Godard, 90 ans, jeune et punk / Vertigo / 12 min. / le 3 décembre 2020

Soixante ans et quelque 160 films plus tard – longs, courts, vidéo, publicitaires, etc., la statue du commandeur (de Rolle), à la voix chevrotante et au gros cigare, fête ses 90 ans. De "Pierrot le fou" au "Mépris", de "La Chinoise" à "Passion", de "Sauve qui peut (la vie)" à "Adieu au langage", son cinéma n'a jamais cessé de penser, de se renouveler, de chercher. "Sa réflexion est toujours en mouvement, il remet en question, à chaque nouvelle décennie, tout ce qu'il a accompli lors de la décennie précédente", explique Bertrand Bacqué, enseignant en histoire et esthétique du cinéma à la Haute école d'art et de design de Genève.

>> A lire aussi ce grand format axé sur le film ""Le Livre d'image" (2018) : Jean-Luc Godard, au contraire

Fidèle à la rupture

Certains sont fidèles à une méthode. Godard, lui, est fidèle à la rupture. Rupture avec les codes esthétiques, rupture avec le système, rupture avec le public, même. "Godard a un côté punk: son esprit de contradiction, son art du contre-pied, ses provocations permanentes, on les retrouve dans tout son cinéma. Déjà dans 'Prénom: Carmen', en 1983, Lion d'or à Venise, j'étais frappé par le côté fou, virulent et à l'arrache de son cinéma", se souvient Bertrand Bacqué.

>> A voir, le sujet-anniversaire des 90 ans de Godard dans le 19h30 :

Figure de la Nouvelle Vague, Jean-Luc Godard fête aujourd'hui ses 90 ans
Figure de la Nouvelle Vague, Jean-Luc Godard fête aujourd'hui ses 90 ans / 19h30 / 2 min. / le 3 décembre 2020

Le rire selon Godard

Entre Karl Marx et Marx Brothers

Si, le 3 décembre 2020, Jean-Luc Godard avait eu 25 ans, il aurait été une star du stand-up. Un humoriste révolutionnaire alliant Karl Marx aux Marx Brothers. Mais voilà, JLG a alors soufflé ses 90 bougies dans la peau d'une légende vénérée, une icône du septième art synonyme d'intellectualisme, d'austérité intimidante et d'expérimentation absconse.

Pourfendeurs et admirateurs de Godard s'entendent étrangement sur le même point: ignorer la dimension comique du cinéaste et l'autodérision d'un auteur qui s'est souvent rêvé en clown, en idiot.

>> Les scènes les plus drôles du cinéma de Godard :

Godard, vous avez dit "humour"?
Godard, vous avez dit "humour"? / RTSculture / 2 min. / le 1 décembre 2020

Le personnage public de Jean-Luc Godard, avec ses interventions médiatiques truffées d'aphorismes cocasses, est désopilant. Et ses films, même les plus expérimentaux, ménagent toujours un moment d'hilarité, un gag, une scène absurde et humoristique.

>> A regarder, l'extraordinaire conférence de presse cannoise de Godard :

Jean-Luc Godard en conf?rence de presse via facetime fait le buzz
Jean-Luc Godard en conférence de presse via Face Time fait le buzz / 19h30 / 2 min. / le 12 mai 2018

Cet amour du burlesque, Godard le porte en lui depuis le début de sa carrière, lorsqu'il clamait le génie de Jerry Lewis, auteur et acteur de classiques de la comédie américaine comme "Docteur Jerry et Mister Love". Pour JLG, Lewis était "le seul réalisateur américain qui ait fait des films progressifs, il est meilleur que Chaplin et Keaton".

Bien plus tard, Godard imagina même une comédie sur Mai 68 avec Jerry Lewis dans le double rôle de Séguy, le secrétaire général de la CGT, et celui de Pompidou. La star américaine avait accepté, mais le projet capota.

>> A écouter, le sujet de "Vertigo" :

Jean-Luc Godard en 1980. [AFP - Ralph Gatti]AFP - Ralph Gatti
Le rire selon Godard / Vertigo / 14 min. / le 3 décembre 2020

C'est merveilleux le cinéma! On voit des femmes, elles ont des robes; elles font du cinéma, et crac, on voit leur cul!

Michel Piccoli dans "Le Mépris"

L'art de la punchline

L'humour anarchiste

Dès son premier film, Jean-Luc Godard a usé d'un art certain de la punchline, de la phrase comique. C'est Jean-Paul Belmondo dans "A bout de souffle" qui s'adresse directement au public avec le fameux: "Si vous n'aimez pas la mer, si vous n'aimez pas la montagne, si vous n'aimez pas la ville… allez vous faire foutre!" Et dans "Une femme est une femme", Jean-Claude Brialy lance "Tu es infâme" à Anna Karina qui lui rétorque "Non, je suis une femme!", avant d'adresser un clin d'œil complice au public.

>> A regarder et écouter, Raphaël Michoud pastichant Jean-Luc Godard fêtant ses 90 ans :

"Aujourd’hui, c’est mon anni"
"Aujourd’hui, c’est mon anni" / RTSculture / 2 min. / le 1 décembre 2020

Le cinéma de Godard regorge de jeux de mots, sketches burlesques, gags visuels et sonores qui agissent comme des éléments de désordre, des forces anarchistes. Se souvenir de la chanson délirante de Raymond Devos dans "Pierrot le fou". Revoir Sami Frey, Claude Brasseur et Anna Karina visiter le Musée du Louvre en courant dans ses galeries dans "Bande à part". Ou goûter à l'humour noir de "Week-end" qui s'achève sur une image de Mireille Darc en train de dévorer un bout de viande avant qu'une voix précise qu'il s'agit sans doute de touristes anglais… ou d'un reste de son mari.

- Qu'est-ce que vous faites la ? - Je fais pitié.

Dialogue extrait de "Nouvelle Vague" (1990)

Autoportrait

Godard en fou du roi

En plus d'avoir régulièrement dirigé des actrices et des acteurs comiques (Jean Yanne, Michel Galabru, Jacques Villeret, Raymond Devos, Dominique Lavanant), Jean-Luc Godard s'est lui-même mis en scène dans ses propres films avec un sens de l'autodérision assumé.

Que ce soit l'oncle Jeannot, cinéaste fatigué en pyjama, dans "Prénom Carmen", le vieux professeur cinglé de "King Lear" ou le doux idiot dans "Soigne ta droite", Godard endosse le rôle du fou du roi, celui qui porte sur ses épaules l’absurdité du monde.

Une dimension clownesque dont s'est inspiré Michel Hazanavicius pour sa vision iconoclaste du cinéaste dans "Le redoutable", où Louis Garrel incarne un Godard plus amusant que sentencieux.

Je suis (du verbe être) un chien, qui suit (du verbe suivre) Godard.

JLG parlant de lui dans "Adieu au langage"

Histoire(s) de la musique

Du yéyé au classique

Dans sa première période, celle de la Nouvelle Vague, Jean-Luc Godard a travaillé avec les plus grands compositeurs de musiques de film: Martial Solal, Michel Legrand, Paul Misraki, Antoine Duhamel, Philippe Arthuys et Georges Delerue. C'est à ce dernier que l'on doit le fameux thème du "Mépris", repris par Scorsese dans "Casino". "Une bonne musique de guimauve", dira plus tard Godard.

Dans cette même période, le Rollois ne boude pas son plaisir avec la variété yéyé: les juke-boxes inondent ses premiers films, Chantal Goya figure au générique de "Féminin, masculin" et Anna Karina murmure "La chanson d'Angela" dans "Une femme est une femme", musique de Michel Legrand et paroles de... Jean-Luc Godard.

C'est encore le Romand qui suivra les Rolling Stones dans "Sympathy for the Devil", puis les Rita Mitsouko dans "Soigne ta droite". Lui aussi qui dira de Johnny Hallyday, son acteur dans "Détective", qu'il était un vrai gentleman.

Pour Godard, la musique doit être visible à l'écran comme dans "Prénom Carmen", avec le quatuor à cordes interprétant l'"Opus 132" de Beethoven, ou dans "Sauve qui peut la Vie" avec la présence de tout un orchestre.

>> A écouter, une chronique dans "L'écho des pavanes":

Jean-Luc Godard [RTS - Frank Mentha]RTS - Frank Mentha
Godard, Histoire(s) de musique / L'Echo des Pavanes / 16 min. / le 18 novembre 2020

Après son austère période militante des années 1970, Godard revient en 1980 vers un cinéma plus narratif, plus lisible, avec "Sauve qui peut la vie", et Gabriel Yared à la musique. C'est le dernier film de Godard avec une musique originale.

Ce qui m'a toujours intéressé, c'est le fait que les musiques n'aient pas besoin d'image alors que les gens qui font des images ont besoin de musique.

Jean-Luc Godard

Par la suite, voulant maîtriser toutes les étapes d'un film, le Rollois, inspiré par le label ECM, s'occupera surtout de recycler des oeuvres préexistantes.

Ce même label vient de ressortir trois éditions réalisées en étroite collaboration avec Godard. Parmi elles, la bande-son intégrale de "Histoire(s) du cinéma" dans un coffret de cinq albums qui montre comment le cinéaste s'est imposé comme compositeur, au travers d'un univers musical où se côtoient Jean-Sébastien Bach, John Coltrane et Patti Smith.

Moi aussi je sais faire des alexandrins, ducon.

Anna Karina à Jean-Paul Belmondo dans "Pierrot le fou" (1965)

A chaque film...

...sa signature sonore

Jean-Luc Godard n'a pas seulement changé la syntaxe du cinéma, il a aussi opéré une modification radicale de la bande originale au cinéma, adoptant les motifs du collage, du recyclage, de la rupture, de la surimpression et du palimpseste à la musique.

Godard est le seul cinéaste doué d’une conscience aiguë de la musique. Il atteint un degré d’intelligence que personne n’a atteint avant lui.

Antoine Duhamel, compositeur de la BO de "Pierrot le Fou".

A compter des années 1980, le Rollois abandonne les musiques faites pour le cinéma pour aller puiser directement dans le répertoire classique. Comment expliquer cet intérêt? Comme bon nombre de réalisateurs, Godard semble démuni face à cette matière qu'il ne peut pas contrôler à sa guise puisqu'elle a été imaginée par un autre. Les compositeurs classiques ont l'avantage d'être morts. Pas besoin de perdre son temps à communiquer.

>> A écouter, l'émission "L'oreille d'abord" sur la musique dans les films de Godard :

Jean-Luc Godard (2013). [Keystone - Jean-Christophe Bott)]Keystone - Jean-Christophe Bott)
La musique classique dans les films de Jean-Luc Godard / L'Oreille d'abord / 86 min. / le 3 décembre 2020

Mais cela ne veut pas dire que la musique classique est absente de ses premiers films. Pour découvrir le nom de ses compositeurs de prédilection, il suffit d'écouter Anna Karina dans "Le Petit soldat" (1960). Dans une scène culte, elle propose des disques à Michel Subor/Bruno, qui est le double du cinéaste. Il lui répond ceci: "Bach ce n'est plus l'heure, un Brandebourgeois à huit heures du matin c'est merveilleux… Mozart, Beethoven, c'est trop tôt. Mozart c'est huit heures du soir, Beethoven, c'est de la musique profonde, c'est minuit…"

Bach, Mozart et Beethoven, tel est le trio préféré de Godard.

S'il a révolutionné la musique au cinéma, ce n'est pas par ses choix musicaux mais par leur traitement, en contrepoint, en rupture ou en fragment. Godard s'appuie en général sur des valeurs sûres du répertoire classique, presque des tubes. Dans "Adieu au langage", il fait appel à la 7e Symphonie de Beethoven, œuvre archi-utilisée au cinéma, qu'il n'hésite pas à triturer, découper et hacher en petits morceaux.

Dans "Passion" en 1982, Godard s'emploie à rendre la frontière poreuse entre musique et peinture en attribuant à des tableaux célèbres une grande page musicale: ainsi "La Ronde de nuit" de Rembrandt est escortée par le Concerto pour la main gauche de Ravel tandis que le Requiem de Mozart, accompagne les "Exécutions du 3 mai à Madrid" de Francisco Goya.

S'il privilégie les compositeurs classiques, Godard n'hésite pas à solliciter des vivants, et même des figures de la musique contemporaine telles qu'Arvo Pärt, Heinz Holliger, György Kurtag, ou encore Federico Mompou.

Au fil du temps, Godard acquiert une conviction: la musique doit être traitée comme un personnage à part entière.

La musique est un élément vivant, au même titre qu'une rue, que des autos. C’est une chose que je décris, une chose préexistante au film.

Jean-Luc Godard

>> A écouter, le sujet de "Vertigo" :

Jean-Luc Godard. [Fabrice Coffrini.]Fabrice Coffrini.
Godard et la musique / Vertigo / 11 min. / le 3 décembre 2020

La beauté c'est le commencement de la terreur que nous sommes capables de supporter.

Aphorismes de "Prénom Carmen"

Prénom Ludwig

Beethoven en leitmotiv

Beethoven revient comme une constante dans l'œuvre de Godard. Dans une émission de Philippe Cassard, diffusée sur France musique, Marc Chevrie et Jean Narboni font un intéressant parallèle entre le cinéaste et le compositeur. Ils relèvent que JLG est un cinéaste de l'agir, comme Beethoven, et que les personnages de ses films sont souvent confrontés à la question du courage, de la volonté face à la lâcheté. Et de rappeler l'interrogation que le compositeur allemand soulève dans le final de son Quatuor à cordes n°15: "Muss es sein? Es muss sein". Le faut-il? Il le faut.

Godard met cette injonction dans la bouche de Jean-Paul Belmondo qui, dans "A bout de Souffle", affirme à deux reprises: "Il le faut, il le faut". Le "Es muss sein" revient d'ailleurs comme une ritournelle dans l'oeuvre du Rollois.

Le cinéaste affectionne tout particulièrement les quatuors de Beethoven et va jusqu'à les substituer à la musique de Bizet dans "Prénom Carmen". Il en fait aussi l'univers musical d'"Une femme mariée" (1964).

Godard a détaché le son des images, accordant aux musiques un rôle fondamental, métrique et non émotionnel, où les bribes du quatuor de Beethoven racontent la répétition des gestes, l’arrachement de la séparation, l’étouffement de la vie conjugale.

Macha Méryl parlant de "Une Femme mariée", dont elle est l'héroïne.

La musique est constamment interrompue, morcelée, entrecoupée par les interventions des personnages qui sont eux-mêmes interrompus par la musique. Ce traitement fragmentaire de la matière lui permet de reprendre un même extrait musical et le répéter. Paradoxalement, dans ce monde fractionné, la répétition va servir à unifier le film, un peu comme un thème cyclique dans une partition de César Franck, voire un leitmotiv dans un opéra de Wagner.

 >> A regarder, ce documentaire en forme d'autoportrait, tout en ruptures, d'images et de sons:

Les Documentaires de la RTS
Cinéma Suisse: Jean-Luc Godard 10/10 / Les Documentaires de la RTS / 26 min. / le 1 décembre 2020

C'est lorsque les choses finissent qu'elles prennent un sens.

"Eloge de l'amour" (2001)

La Nouvelle Vague

Godard en cinécompositeur

En 1960, Jean-Luc Godard expliquait comment ce terme de "Nouvelle Vague" a été appliqué à son cinéma, ainsi qu'à celui de ses amis cinéphiles, Agnès Varda, Chabrol, Truffaut, Rohmer et Rivette. Et comment l'expression s'est ensuite déclinée pour le cyclisme, la chanson et la publicité, perdant toute sa force corrosive.

>> Jean-Luc Godard ironisant sur le label "Nouvelle Vague" :

Le cinéaste Jean-Luc Godard en 1960. [RTS]
Jean-Luc Godard / Ecrans du Monde / 2 min. / le 3 avril 1960

Bien plus tard, en 1990, il reprendra ce titre créé par Françoise Giroud pour mettre en scène un Alain Delon en perte de vitesse, star boudée par la Nouvelle Vague, contrairement à son ami Belmondo. Aucune nostalgie dans cette revisite. "Certains sont fidèles à une méthode. Godard, lui, est fidèle à la rupture. Rupture avec les codes esthétiques, rupture avec le système, rupture avec le public, même", écrit Raphaële Bouchet, spécialiste cinéma à la RTS, dans son hommage au punk Godard.

>> A écouter, le rapport de Godard aux compositeurs vivants dans "Les années lumières" :

Le réalisateur Jean-Luc Godard. [AFP - Bertrand Guay]AFP - Bertrand Guay
Godard et les compositeurs vivants / Années lumière / 78 min. / le 29 novembre 2020

De fait, "Nouvelle Vague" marque une étape dans la carrière du Rollois:c'est sa bande-son la plus sophistiquée, la plus élégiaque et symphonique, mêlant le bruit des orages au fracas des vagues du Léman, bruitages, aphorismes murmurés ou proclamés, envolées lyriques et brutales ruptures, rimes musicales, voix, fragments de dialogues, extraits de musiques et silences profonds. Le travail de Godard s'apparente à un sampling. D'ailleurs la bande-son de "Nouvelle Vague" a été éditée en deux disques chez ECM en 1997, laissant supposer que le film peut se voir les yeux fermés.

Il faut aimer les jeunes sages et les vieux fous.

Aphorisme tiré de "Vivre sa vie"

Une fan est une fan

Deux étudiantes disent pourquoi elles aiment Godard

En 1969, le cinéaste Francis Reusser, disparu en 2020, confiait sur les ondes de la Radio Suisse romande que Godard avait été un maître et que pendant un temps, tous ses films avaient sur lui une influence déterminante. "Je suis passé par une période non pas de plagiat, mais d'imprégnation, c'est-à-dire une période où l'on fait les choses à la manière des gens qu'on aime, avant de s'en distancer. A travers Godard, j'ai compris et analysé l'une des plus profondes révolutions que le cinéma ait connues depuis la guerre".

Et aujourd'hui, lorsqu'on étudie le cinéma et que Godard fait partie des "gens qu'on aime", comment perçoit-on son influence?

Judith, étudiante en réalisation à la Haute école d'art et de design de Genève (HEAD): "C'est 'Pierrot le fou' qui m'a amenée au cinéma. C'est l'un des plus beaux films que j'aie jamais vus, qui touche à la beauté et à la poésie. Je le revois au moins une fois par mois et je ne le connais même pas encore par cœur. Quand j'ai commencé mes études, j'étais sûre que je serais la nouvelle Godard. Un jour, j'ai copié une scène de 'Rome plutôt que vous', de Tariq Teguia, un film déjà très godardien, scène à laquelle j'ai ajouté les dialogues du 'Mépris', mais en les inversant. Je pensais que c'était quelque chose de tout à fait nouveau. Tout le monde m'a dit: mais tu copies Godard! J'aimerais guérir de cette maladie, mais je pense que Godard m'inspirera toujours, par ses dialogues, ses ruptures, ses répétitions et son sens du cadre".

Linn, fraîchement diplômée de la HEAD, section montage: "J'ai découvert le cinéma de Godard avec 'Adieu au langage', et j'ai trouvé ça incroyable, je comprenais enfin l'intérêt de la 3D. Godard n'essaie pas de se rapprocher de la perception humaine, il travaille avec cet outil comme avec de la peinture abstraite ou de la musique expérimentale. Je ne comprends pas toujours ce qu'il fait, il faut accepter d'être dépassé. Un film de Godard, c'est tellement dense! Il y a tellement d'action! C'est aussi inventif qu'une chanson des Beatles. Godard dit que le cinéma, c'est toujours au présent. Moi, je peux aimer un film des années 1920 comme un film de l'année dernière. Je n'ai pas envie de voir le cinéma comme une histoire ou une évolution vers le mieux. Pour moi, il y a plein de lumières, et Godard représente plein de lumières. Quand je crée, je puise dans mon expérience sensible, l'influence peut venir d'un poème, d'un film, d'une rencontre, d'un roman… C'est cela que je convoque quand je fais du montage. Je pense que Godard aussi est dans cette démarche-là".

>> A écouter, le sujet de "Vertigo" :

Jean-Luc Godard en 1987. [AFP]AFP
Une fan est une fan / Vertigo / 9 min. / le 3 décembre 2020