Oui ! Jules veut avoir la chemise que Michel Sardou portait pendant son concert. En réalité, Jules possède déjà cette chemise, car Michel la lui a offerte à la fin du concert. Mais sous le coup de l’émotion, Jules s’est évanoui et a oublié le cadeau qui lui a été fait. En se réveillant, Jules désire posséder la chemise qu’il possède en réalité déjà.

En revanche, il est impossible de désirer avoir ce qu’on PENSE déjà avoir. Dans l’exemple précédent, Jules ne pense pas posséder la chemise de Michel, il peut donc désirer l’obtenir. S'il pensait avoir cette chemise, il ne désirerait pas l'avoir. La thèse selon laquelle on ne peut pas désirer ce qu'on pense être le cas est une thèse communément admise (Thomas d'Aquin est peut-être le premier à l'avoir formulée). Ainsi, si un enfant pleure parce qu’il veut la peluche qu'il tient dans ses mains, notre réaction naturelle est de lui dire qu’il n’a pas de raison de pleurer puisque cette peluche est déjà la sienne. Le fait qu’on ne puisse pas désirer ce qu’on pense être le cas a pour corollaire une thèse parfois appelée thèse de la mort des désirs, selon laquelle la prise de conscience qu’un désir est satisfait « tue » le désir en question. Si Jean-Claude désire être élu président et qu’il apprend qu’il vient d’être élu président, il cesse de désirer être élu président.

On peut cependant avancer trois contre-exemples à l'idée que l'on ne peut pas désirer ce que l'on pense avoir.

(i) Paul a une voiture, il pense qu’il possède cette voiture, mais il désire néanmoins avoir une autre voiture. La réponse à ce contre-exemple consiste simplement à remarquer que Paul ne désire pas ici avoir la voiture même qu’il pense déjà avoir, mais une autre voiture. Ce n’est pas la chose qu’il pense avoir qu’il désire avoir, mais une autre chose de même type.

(ii) Emilie a une maison. Elle sait bien qu’elle la possède mais elle désire néanmoins que cette maison reste la sienne. Elle semble alors être en train de désirer ce qu’elle pense être le cas : à savoir, que la maison soit la sienne. La réponse à ce second contre-exemple consiste à distinguer entre posséder un bien et continuer à posséder ce bien. Penser que la maison est la sienne ne consiste pas forcément à penser que la maison continuera à être la sienne dans le futur. Emilie peut penser que la maison est la sienne en ce moment, tout en pensant qu’elle ne sera pas plus la sienne dans un futur proche, (elle peut penser, par exemple qu’elle pourrait en être dépossédée par un huissier la semaine prochaine). Là encore, Emilie ne désire donc pas ce qu’elle pense avoir : elle pense posséder la maison, mais elle désire autre chose : continuer à la posséder.

(iii) Jules est marié à Julie depuis 25 ans. Il n'a cessé d'en être éperdument amoureux et la désire comme au premier jour. Il semble que Jules désire Julie alors qu'il l'"a" déjà. Une réponse à cette objection est que lorsque nous disons désirer quelqu'un, ceci est une ellipse pour dire que nous désirons faire quelque chose avec la personne en question. Par exemple, désirer Julie pourrait être désirer faire l'amour avec Julie, rester proche de Julie, faire en sorte que Julie revienne, etc. Ce n'est pas vraiment la personne que nous désirons, mais une action ou un événement lié à cette personne. Or si nous pensons que cet événement est déjà le cas, nous ne pouvons espérer qu'il se produise. Si Jules désire que Julie revienne, c'est qu'il pense qu'elle est partie.

NB : Ces dernières remarques valent pour le désir mais pas pour l'amour : aimer quelqu'un n'est pas la même chose qu'aimer faire quelque chose avec la personne en question (même si cela est lié) : l'objet de l'amour est bien la personne elle-même, contrairement à l'objet du désir.