Il y a 10 ans à Melbourne, naissance d'une légende: Stan Wawrinka

Grand Format

EPA - Aaron Favila

Introduction

Le 26 janvier 2014, il y a 10 ans (déjà!), Stan Wawrinka remportait son 1er titre du Grand Chelem, l'Open d'Australie. Retour, en textes et en images, sur une quinzaine totalement hallucinante et géniale, qui a fait entrer le Vaudois dans une autre dimension.




- Par Arnaud Cerutti -

Chapitre 1
Pour l'éternité

Les images ne nous rajeunissent pas, mais les souvenirs, eux, sont intacts. Ils renvoient à une quinzaine mythique, à des moments inoubliables, gravés en nous pour toujours. Et qu'est-ce que tout cela doit être, alors, pour Stan Wawrinka, héros incroyable, qui s'était assis sur le toit d'un autre monde, le 26 janvier 2014, il y a 10 ans, au bout d'un tournoi doré, époustouflant et magistral, qui le transforma de très bon joueur en légende de son sport, vainqueur d'une épreuve du Grand Chelem! Bref, tout Là-haut. Au sommet, après avoir notamment battu Novak Djokovic et Rafael Nadal. Comme dirait un grisonnant amateur de café, what else?

Stan Wawrinka "flashé" sur l'autoroute de la gloire [EPA - Frank Robichon]
Stan Wawrinka "flashé" sur l'autoroute de la gloire [EPA - Frank Robichon]

Dix ans après ce moment d'histoire, le Vaudois (quasi 29 printemps à l'époque) a notamment ajouté deux autres trophées du Grand Chelem dans sa besace ainsi qu'une Coupe Davis, donnant l'impression finalement que cette quête australienne s'inscrivait dans une évolution logique, mais c'est oublier que rien, mais vraiment rien, ne le prédestinait à aller si loin. Ni même tout simplement à devenir roi d'Australie. Il était déjà un très bon joueur, oui, mais pas l'un de ceux que l'on "soupçonnait" pouvoir inscrire son nom à un tel palmarès dans l'ère du "Big Four".

Or, on peut le dire désormais: c'était bien lui le "cinquième Beatles".

Chapitre 2
Un triomphe né... en 2013

Le déclic n'est pas tombé du ciel, la mue ne s'est pas faite en un jour pour Stan Wawrinka. Mais on peut sincèrement penser que quelque chose s'est débloqué pour de bon chez lui lors de l'Open d'Australie précédent, en 2013. Et ce paradoxalement à la suite d'une défaite mortifiante, après laquelle plusieurs joueurs ne se seraient peut-être pas relevés. Mais il faut être fait d'un autre bois, avoir une sacrée caboche aussi, pour justement se redresser d'un revers contre Novak Djokovic après 5h02 de jeu et en ayant tutoyé la perfection. C'est ce que le Vaudois avait vécu le 20 janvier 2013.

Souvenez-vous: le no 2 helvétique est alors appelé à croiser le fer avec le Serbe, patron du circuit mondial, au coeur de la Rod Laver Arena. Malgré sa 17e place ATP, personne ne mise un dollar australien sur lui. Notamment car il reste sur 10 défaites de rang face à l'ogre de Belgrade. Mais transcendé par le contexte, celui qui se fait encore appeler Stanislas saute à la gorge de son adversaire. Il envoie des pains à gauche et à droite, des patates de papet, et le roue de coups façon Mike Tyson.

Djokovic - Wawrinka (1-6): Extraordinaire première manche de Wawrinka mettant à mal son adversaire.
Tennis - Publié le 20 janvier 2013

Djokovic ne comprend pas très bien ce qui se passe. A contrario, le public australien, lui, commence à se dire qu'un séisme pourrait bien se produire sous ses pieds. En Suisse, où il n'est pas encore 10h00 ce dimanche matin, on a soigneusement rangé la télécommande. Interdit de zapper! Encore moins lorsque Wawrinka breake et prend le large dans la 2e manche. Il a pris le large 6-1 5-3, 30-0 et se retrouve à deux doigts de mener deux manches à rien. Sur les bords de la Yarra, l'ambiance est dingue, digne des plus belles sessions de nuit. Mais l'Helvète coince et Djokovic renverse la vapeur.

Melbourne se dit alors que le train est passé. D'autant plus que "Nole" enchaîne en empochant la 3e manche. Mais Wawrinka se remet alors à distiller des parpaings et remet la Rod Laver Arena en fusion. Le combat est exceptionnel. Il n'est pas fini.

Djokovic - Wawrinka (1-6; 7-5; 6-4; 6-7): Fantastique retour de Wawrinka avec 2 sets partout.
Tennis - Publié le 20 janvier 2013

Mieux, il s'étend. Quasiment une éternité. Au pays, les Suisses n'ont pas bougé de leur canapé. Ils sont scotchés à leur écran. Même les épreuves de Kitzbühel ne peuvent les détourner de ce match épique. En Australie, on peine à se désaltérer. Dingue. Et Stan met le feu en chipant le service de son opposant d'emblée. Il l'égare ensuite, mais dispose de 4 balles de break à 4-4 qui auraient pu lui permettre de servir ensuite pour le match. Sur l'une d'entre elles, il oublie de demander le "challenge", alors que sa balle jugée faute a bien embrassé la ligne!

45 minutes plus tard, son rêve s'effondre, comme lui, sur un dernier passing de revers. Djokovic en déchire son t-shirt (1-6 7-5 6-4 6-7 12-10). Puis lance: "Je crois que Stan aurait aussi mérité de gagner ce match".

Djokovic - Wawrinka (1-6; 7-5; 6-4; 6-7; 12-10): Après 5 heures d'efforts et une rencontre historique, Wawrinka s'incline au bout du suspens face au numéro 1 mondial.
Tennis - Publié le 20 janvier 2013

L'hommage du no 1 mondial ne sert pas à grand-chose pour un Wawrinka en larmes, détruit d'avoir perdu ce match. "Je crois fermement que cette défaite peut être le début de quelque chose", nous confiera Mats Wilander, croisé au sortir de l'antre. Le Suédois, ancien no 1 ATP, ne croit sans doute pas si bien dire...

Chapitre 3
Une entame tranquille

Une année après cette défaite dont il a beaucoup appris, et désormais avec Magnus Norman dans son "box", Stan Wawrinka retrouve Melbourne et son parfum enivrant. Il s'y pointe surtout dans un autre "costume", puisque son année 2013, la plus belle de sa carrière jusqu'ici, a été marquée par un titre à Oeiras, des finales à Buenos Aires, Madrid et à Bois-le-Duc, des demies à l'US Open (battu par... Djokovic) et au Masters (encore Djokovic), ainsi qu'un quart de finale à Roland-Garros, où Rafael Nadal lui a barré la route du dernier carré. Le Vaudois est 8e mondial, son meilleur classement.

Wawrinka - Golubev : balle de 2ème manche (4-1) et abandon de Golubev
Tennis - Publié le 13 janvier 2014

Accompagné de nouvelles certitudes, il démarre son édition 2014 en passant aisément son 1er tour contre Andrey Golubev (6-4 4-1 abandon). Bien que le Kazakh ait été contraint à l'abandon, le 8e de finaliste 2013 a eu le temps de faire ses preuves en un peu plus d'une heure passée sur le terrain. "Je crois que je n'ai jamais aussi bien entamé un tournoi du Grand Chelem, expose-t-il au sortir du court. J'étais très calme et la balle sortait bien de ma raquette."

Il enchaîne contre Alejandro Falla (6-3 6-3 6-7 6-4), bénéficie ensuite du forfait de Vasek Pospisil pour rallier les 8es de finale, où il ne laisse aucune chance à Tommy Robredo (6-3 7-6 7-6).

Le scénario parfait pour se hisser en quarts de finale, son 2e à Melbourne après celui perdu trois ans plus tôt contre Roger Federer. Il y retrouve un certain... Novak Djokovic, l'épouvantail des courts, qui reste sur 25 succès de rang à Melbourne et vient notamment de coller des "roues de vélo" à Leonardo Mayer et Fabio Fognini.

Chapitre 4
La revanche de 2013

Ce mardi 21 janvier 2014, un an et un jour après avoir déserté la Rod Laver Arena des larmes plein les yeux, Stan Wawrinka s'apprête à composer un morceau d'histoire, sans aucun doute le plus grand match de sa carrière jusque-là, dans une sorte de copier-coller de celui de 2013, avec cette fois-ci la victoire au bout. Un récital, pour tout dire, comme il en offrira d'autres par la suite.

Pour qu'un match devienne un match-référence, il faut deux champions et le Vaudois et Djokovic offrent ce jour-là un nouveau spectacle d'anthologie, après quarante premières minutes passées à observer, durant lesquelles le favori a pris le large, pensant ainsi s'offrir une petite promenade (6-2). C'était sans compter sur un Wawrinka façon diesel, capable de monter en puissance, de bander les muscles et de soudain prendre la rencontre à son compte.

Le Vaudois entre enfin dans la baston et reproduit les mêmes gestes que 366 jours auparavant. Sa balle fuse, s'en va embrasser les lignes et dégoûter le no 1 mondial. A force de toucher au sublime, l'Helvète passe devant pour mener deux manches à une (2-6 6-4 6-2).

Wawrinka – Djokovic (2-6, 6-4, 4-1): double break de Stan
Tennis - Publié le 21 janvier 2014

La perte du 4e set pourrait être un coup d'arrêt. Un break au 3e jeu du 5e semble enterrer à nouveau ses illusions. Comme en 2013. Sauf que le coeur de lion rugit deux fois plus fort en Stan, qui reprend le fil du match, la main sur le combat. "J'ai davantage cru en moi que l'an dernier, expliquera-t-il d'ailleurs après coup. Je savais que mon jeu ne lui convenait pas. La clé résidait dans la fraîcheur physique avec laquelle j'ai abordé cette rencontre. Je devais faire travailler Novak. Et pour ce faire, il faut avoir les jambes..."

Ainsi, parfaitement en jambes, le Vaudois transforme la fin de match en récital. Il cogne comme un damné, lâche son revers si bien léché et place Djokovic sous l'éteignoir. C'est une symphonie. A 8-7 en la faveur du Suisse, et ce encore une fois au bout de la nuit, le Serbe, essoré par celui se fera bientôt appeler "Stanimal", commet une faute grossière pour offrir une balle de match à son opposant. Moins d'une minute plus tard, une volée "gaufrée" délivre Wawrinka, qui voit un sourire incroyable succéder sur son visage aux larmes de l'année précédente (2-6 6-4 6-3 2-6 9-7). Et Pascal Droz, commentateur de cet exploit, de lâcher des mots qui restent dans les annales:

"Oooooh, il l'a mise dehors!

Wawrinka vient d'éliminer Novak Djokovic!

Quel exploit!

C'est magnifique, c'qui arrive à Stan!

Superbe! Djokovic est éliminé! Wawrinka est en demi-finales!

Oh la la la la la la!

Quelle victoire, quel grand moment!

Oh la la! Quelle émotion, c'est superbe!"

Wawrinka – Djokovic (2-6, 6-4, 6-2, 3-6, 9-7): historique victoire de Wawrinka
Tennis - Publié le 21 janvier 2014

"Je crois que le plus fort a gagné ce soir", reconnaîtra Djokovic. Appelé à affronter Tomas Berdych 48 heures plus tard, Wawrinka ne veut pour sa part pas trop se projeter. Il trempe dans un bain glacé pour récupérer et pense à profiter. D'abord. "Je veux effectivement prendre le temps de savourer cette victoire, glisse-t-il. Il faut aussi savoir s'arrêter un instant sur de telles performances."

Chapitre 5
Le plongeon dans la grande histoire

Berdych gobé au bout d'une performance d'une extrême solidité (6-3 6-7 7-6 7-6), où la lucidité et la qualité de service du Vaudois ont fait la différence, c'est une première finale du Grand Chelem, déjà historique, qui prend rendez-vous avec Stanislas Wawrinka. Non pas contre Roger Federer, comme aurait pu l'espérer la Suisse entière, mais face à Rafael Nadal, qui a dominé le Bâlois en demi-finale (7-6 6-3 6-3). Le duel à venir apparaît déséquilibré, car tous les chiffres parlent en faveur de l'Espagnol, qui n'a par ailleurs lâché qu'une seule manche dans cette quinzaine. Pis, en douze affrontements, l'Helvète n'a jamais pris le moindre set à l'homme de Manacor. "Rafa a l'habitude d'être là, l'habitude de ces matches-là, situe le Vaudois. Moi ce sera ma première, donc forcément ce sera très compliqué."

Mais dans un coin de cette tête qu'il aime montrer du doigt, comme pour dire qu'il en "a là-dedans", l'intéressé sait bien que rien n'est impossible. "Je ne sais pas comment je me sentirai pour cette première finale en Grand Chelem, mais je joue du très bon tennis actuellement et je sais que je serai prêt physiquement. Le plus important est que mon jeu soit en place, que je bouge bien, que je me montre agressif, en servant bien. Je dois trouver des solutions. J'ai su le faire jusqu'ici. Ca me donne confiance."

Rafael Nadal et Stan Wawrinka prennent la pose avant de croiser le fer en finale de cet Open d'Australie 2014. [AP - Rick Rycroft]
Rafael Nadal et Stan Wawrinka prennent la pose avant de croiser le fer en finale de cet Open d'Australie 2014. [AP - Rick Rycroft]

Cette confiance se reflète dans une entame de match ahurissante. Alors que l'on aurait pu imaginer que Wawrinka débute avec l'estomac lourd, les papillons dans le ventre et les jambes qui flageolent, c'est tout le contraire. Il entre dans le lard de Nadal, ne lui laisse aucun espace, le bouscule. Sans pitié. Comme contre Djokovic l'année précédente. Comme si c'était lui le patron. Il l'est d'ailleurs pendant une manche et demie, grâce à un tennis disputé à un niveau remarquable, écrivant depuis son nuage une page inattendue d'histoire, à force d'estourbir l'Espagnol. L'outsider jouer le feu. C'est dingue. Et Melbourne vit un moment irréel.

Sauf que cette finale prend un autre virage également inattendu, lorsque Nadal se bloque le dos au coeur du deuxième set. Dans ses petits souliers, il fait de la résistance, s'appuie sur son expérience et sa qualité de frappes, mais continue d'être bousculé par un Wawrinka qui mène ensuite 6-3 6-2 et ne se retrouve "plus qu'à" six petits jeux de la légende.

Wawrinka - Nadal (6-3, 4-1): double break de Wawrinka
Tennis - Publié le 26 janvier 2014

A partir de là, un tout autre match commence. L'orgueil et l'énergie du désespoir poussent "Rafa" à tenter le tout pour le tout. Le Majorquin commence alors à entrer des frappes qui ne passaient pas quelques minutes plus tôt. Et Wawrinka, forcément, cogite. Il est déjà difficile de battre un R8 blessé à Goumoens-le-Jux en temps normal, alors imaginez un no 1 mondial amoindri en finale de l'Open d'Australie?!

Sans doute conscient que ce "match qu'il ne devait pas gagner" est subitement devenu un "match qu'il ne doit pas perdre", le Vaudois connaît un petit coup de mou. Mille pensées doivent alors traverser son esprit. Le temps que son adversaire remporte le 3e set.

La classe de Wawrinka est à ce moment-là de parvenir à se remettre dans la rencontre, à retrouver l'oeil du tigre, celui affiché avec un telle détermination depuis 15 jours. Nadal, à bout de forces, est dégoûté. Une fois le break fait, le Vaudois cavale en tête et ne lâche rien. Trois services gagnants puis un dernier coup droit décisif lui offrent l'Open d'Australie (6-3 6-2 3-6 6-3). Lui-même n'en croit pas ses yeux.

Wawrinka - Nadal (6-3, 6-2, 3-6, 4-3): Stan break, Nadal débreak le jeu d'après
Tennis - Publié le 26 janvier 2014

L'histoire est magnifique. Les éloges pleuvent sur les épaules de celui qui devient à la fois "Stan", "Stanimal" ou encore "Stan the man", mais aussi no 3 mondial! "Wawrinka possède le plus beau revers du Circuit, j'aurais rêvé d'avoir le même", glisse Pete Sampras, qui lui remet le trophée. L'ancien roi de Wimbledon devient même prophète: "Je crois qu'un gars qui frappe aussi proprement dans la balle peut être dangereux sur toutes les surfaces. En tout cas, je pense qu'il peut gagner d'autres tournois du Grand Chelem."

La feuille de route de Stan Wawrinka à l'Open d'Australie 2014. [ATP Tour]
La feuille de route de Stan Wawrinka à l'Open d'Australie 2014. [ATP Tour]

La légende est écrite. Elle se renforcera encore davantage, notamment le 23 novembre 2014 à Lille, le 7 juin 2015 à Paris ou le 11 septembre 2016 à New York. Sans oublier tout le reste. Mais ce 26 janvier 2014 à Melbourne, le gamin de Saint-Barthélemy, devenu le géant de Saint-Barth' ou de "Stan-Barthélemy" n'en croit toujours pas ses yeux: "Je ne sais pas si je suis en plein rêve ou si tout cela est réel, souffle-t-il. Je verrai bien demain à mon réveil. Mais pour moi, gagner un Grand Chelem, ce n'est pas normal. C'est quelque chose d'hallucinant..."

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