Le choc du diagnostic
26 août 2018: en pleine préparation sur les pistes enneigées de Nouvelle-Zélande, Justin Murisier chute à l'entraînement. Son genou droit est touché. La poisse pour le Valaisan de 27 ans, qui n'a pas été épargné par les blessures durant sa carrière. En septembre 2011, puis en août 2012, le skieur de Bruson s'était déjà déchiré le ligament croisé antérieur du genou droit.
Cette fois-ci, Justin Murisier espère un autre verdict. "La chute n'était pas très impressionnante. Je me suis dit que le ligament n'avait peut-être pas été touché. J'avais donc l'espoir de pouvoir revenir après le géant de Sölden (réd: en octobre)."
Malheureusement, des examens approfondis révèlent que le ligament est trop endommagé pour le laisser tel quel. Il faut donc le reconstruire."Quand tu te réveilles et que tu vois qu'ils t'ont pris sur l'autre genou, tu te rends compte que ta saison est morte."
A 24 ans, Charlotte Chable a elle aussi connu son lot de blessures. La dernière en date remonte à janvier 2017. Une chute à l'entraînement "un peu bête", son genou droit qui lâche et un diagnostic qu'elle ne connaît que trop bien: déchirure du ligament croisé du genou droit.
Un gros coup dur pour la Villardoue qui ne s'attendait pas à un tel diagnostic. "Les deux premières fois, je savais que c'était grave. La troisième, je me suis fait piéger car je n'ai pas ressenti le craquement habituel de ce genre de blessure. J'avais de l'espoir jusqu'à ce que j'arrive chez le médecin. Après l'IRM, il m'a annoncé que j'avais de nouveau une rupture du ligament croisé, pour la troisième fois. C'était vraiment un coup dur car je ne m'y attendais pas."
A sa sortie d'hôpital, la Vaudoise peine à réaliser que sa saison est finie. La nuit qui suit va s'avérer être particulièrement douloureuse. "C'est comme si je ne réalisais pas vraiment. J'étais tellement fatiguée que je me suis endormie très vite vers 20h. Vers minuit, je me suis réveillée et j'ai réalisé que tout était fini, que je ne reskierais plus de l'année. Heureusement, Patrick Flaction (réd: son préparateur physique) m'a appelée au beau milieu de la nuit pendant deux heures et nous avons évoqué la possibilité pour moi de partir à l'étranger faire un séjour linguistique."
Le difficile travail de l'acceptation
Après la diagnostic, vient le temps de l'acceptation. Une étape difficile mais cruciale pour mener à bien sa guérison.
"L'acceptation, c'est peut-être le moment le plus difficile de la blessure, explique Justin Murisier. Quand tu es sur le lit d'hôpital et que tu vois qu'ils t'ont à nouveau opéré le ligament croisé antérieur, c'est dur."
Malgré ce nouveau coup dur, le Valaisan garde le moral. "Ce qui m'a aidé dans mes différentes blessures est de voir le positif, de ne pas m'abattre sur mon sort. Quand tu vas regarder des courses, ce n'est pas très facile moralement de se dire que tu n'es pas au départ. Mais cela fait partie du sport. J’estime que c’est une expérience. Si j'arrive à en ressortir plus fort, cela sera bien. Mais cela va être difficile!"
Charlotte Chable, elle, a très vite fait le deuil de sa saison. "C'est difficile de dire exactement quand j'ai accepté de franchir le pas, de regarder en avant, mais je sais que cela s'est fait plutôt assez vite grâce notamment à mon entraîneur physique Patrick (Flaction), avec qui j'ai beaucoup discuté. On a eu ce projet de partir aux Etats-Unis, de faire ce séjour linguistique. Avoir un objectif à court terme m'a aidé à accepter la situation."
Les deux athlètes n'ont toutefois jamais pensé à arrêter leur carrière, malgré la multiplication de leurs blessures.
"C'était clair que j'avais envie de revenir, confie Justin Murisier. Ce n'était pas une option d'arrêter, je n'en avais pas envie."
Une décision parfois mal comprise par certains. "Cela peut paraître bizarre pour beaucoup de monde. Ils se disent que que je peux arrêter quand je veux. Mais c'est ma passion, c'est mon travail. Je vis de mon sport grâce à mes sponsors. Ils sont tous derrière moi. Ce sont des petits points que me motivent à repartir pour un tour. Si tu te retrouves seul, sans structure, sans sponsor et sans argent, là oui, sans doute, tu penses à trouver un autre travail."
Je croche pour ma famille, mon entourage
Même son de cloche pour Charlotte Chable. "Je n'ai pas envie d'arrêter sur une blessure. Je me suis demandée ce que je faisais de faux mais je ne me suis jamais posée la question 'est-ce que j'arrête'. Mais cela aurait été tellement plus simple d'arrêter, concède-t-elle dans un sourire qui en dit long. Je croche pour ma famille, mon entourage."
La déchirure du ligament croisé
Avec le ligament croisé postérieur, le ligament croisé antérieur forme le pivot central de l’articulation du genou. Il sert à la stabilité du genou et donne l'orientation du mouvement. "A ski, la lésion principale que l'on retrouve est la lésion du ligament croisé antérieur. Quand ce ligament est rompu, on va reconstruire un ligament antérieur à base d'une autogreffe de tendon", explique le docteur Siegrist, qui a opéré Justin Murisier et Charlotte Chable.
La re-rupture est la complication majeure dans ce type d’opération. Cela a été le cas pour Justin Murisier et Charlotte Chable."Il y a peut-être un facteur familial. Dans la famille de Justin par exemple, on retrouve plusieurs opérations de ligament croisé antérieur, relève le docteur Siegrist. Il y a aussi des gens qui ont une constitution, qui n'est pas idéale et qui casse plus facilement. Certains skieurs prennent également plus de risques. Ceux qui ne se cassent jamais rien font parfois une belle carrière, mais souvent, on ne les voit pas aux premiers rangs, car pour être en tête, il faut prendre des risques."
La déchirure du ligament croisé augmenterait-elle par ailleurs avec le matériel? "Dans les années 90, avec l'arrivée des skis carvés, on a vu une augmentation de ruptures ligamentaires tellement catastrophique que la FIS est revenue en arrière, répond le docteur Siegrist. Les nouveaux skis, qui tournaient moins bien, ont amené des douleurs dorsales, des hernies, etc. Maintenant, on est revenu aux skis carvés. Il est possible qu'on retrouve une augmentation de blessures au genou dans les prochaines années."
En outre, les différences morphologiques entre les filles et les garçons expliqueraient la recrudescence de telles blessures chez les filles. Une hypothèse partagée par Patrick Flaction.