Touche pas à mon arbitre!

Grand Format Football - Notre enquête

Keystone - Philipp Schmidli

Introduction

20 novembre 2010: J'ai 13 ans et j’assiste au 8e de finale de la Coupe de Suisse entre le Servette FC et le FC Bâle au Stade de Genève. À la 17e minute, Massimo Busacca, l'arbitre suisse le plus reconnu, accorde un penalty aux Rhénans. Une partie du public genevois le prend alors à partie, scandant des « Busacca, enc*! Busacca, enc*! ».

Cette scène, gravée dans ma mémoire, me pousse aujourd’hui à explorer les raisons de cette violence, son impact sur les arbitres en tant qu’individus et les solutions possibles pour les protéger.

Keystone - Salvatore Di Nolfi
Keystone - Jules Vogt

Chapitre 1
L’histoire de l’arbitrage dans le football

Keystone - Jules Vogt

L'arbitrage, tel que nous le connaissons aujourd'hui dans le football, est le résultat d'une évolution qui s'étend sur plus d'un siècle. Aux origines du football moderne, dans la seconde moitié du 19e siècle, les règles du jeu étaient encore fluides et variaient d'une région à l'autre. Les premières formes d'arbitrage impliquaient souvent des représentants de chaque équipe pour aider à résoudre les désaccords sur le terrain. En effet, cet arbitrage se limitait principalement à un acte de confiance envers le fair-play des joueurs, chaque équipe comptant sur ses capitaines pour régler les litiges. Cependant, cette représentation idéaliste de l'autogestion s'est rapidement heurtée à la réalité des matches, souvent empreints de désordres et de violences.

Des « umpires » aux « referees »

Dès les années 1840, les écoles anglaises comme Eton et Winchester commencent à introduire des "umpires" pour superviser les matches. Ces derniers, choisis par les capitaines de chaque équipe et postés aux buts, sont alors chargés de signaler simplement la mi-temps et la fin des matches et ont un rôle consultatif dans les décisions, les capitaines ayant le pouvoir final de trancher en cas de litige ou désaccord sur le terrain. En 1847, l’école d’Harrow franchit une étape supplémentaire en rendant les décisions des "umpires" définitives, réduisant ainsi le pouvoir des capitaines.

Peu après, en 1849, à Cheltenham, il est décidé que les capitaines nommeraient les "umpires", qui à leur tour désigneraient un "referee", qu’on qualifiera d’officiel supplémentaire, ne représentant aucune des deux équipes, pour trancher les désaccords. Contrairement à "l'umpire", le "referee" était souvent placé en dehors du terrain, par exemple dans les tribunes, et son intervention n'était requise que lorsque les "umpires" n'arrivaient pas à un consensus. Cette figure était une sorte d'arbitre final ou de juge suprême pour les décisions contestées sur le terrain.

L'arbitrage centralisé: Une évolution nécessaire

Au fil du temps, le rôle de "l'umpire" et du "referee" a évolué. Dans les années 1890, le "referee" est passé d'un rôle externe à un rôle central sur le terrain, prenant les décisions principales, tandis que les "umpires" (qui sont devenus les arbitres assistants) ont été relégués à des rôles sur les lignes de touche pour assister le "referee".

Avec l'évolution du football, le besoin d'un arbitrage centralisé et plus autoritaire est devenu évident. Cette transition a donné une réponse aux problèmes inhérents au double arbitrage et à un manque de fair-play croissant. En 1891, la création du penalty et la centralisation du pouvoir de l'arbitre ont consolidé son rôle comme étant le seul maître du jeu, assisté donc de ses deux juges de touche, pour former le trio arbitral que l’on connait aujourd’hui. Plus de 100 ans plus tard, ces deux juges prennent un tout nouveau rôle, devenant des véritables assistants à l’arbitre central, pour appuyer ses décisions lors de situations litigieuses.

Chapitre 2
L’arbitre: son rôle, ses responsabilités

Keystone - Salvatore Di Nolfi

Au sein de ce trio, l’arbitre principal se dresse comme la figure de l'équité et de la justice sportive. Chargé de la lourde tâche de maintenir l'ordre et le fair-play, l'arbitre est le garant des règles, un rôle qui nécessite un jugement rapide, impartial et précis: "A cela s'ajoutent une condition physique irréprochable, une bonne compréhension du jeu et une capacité d'analyser ses propres performances" ajoute Luca Cibelli, arbitre de Super League suisse.

La décision de fait: Le fondement de l'arbitrage

La Loi 5 du football définit les responsabilités de l'arbitre comme étant basées sur des "décisions de fait". Ces décisions, prises dans le feu de l'action, reflètent l'observation et l'interprétation des règles par l'arbitre dans des situations dynamiques et souvent complexes.

Maintenir l’ordre et prendre des décisions difficiles

Au-delà de ce rôle de juge qu’il détient, il a surtout la tâche de prendre des décisions qui peuvent exercer une influence considérable sur un match: "Là où l'on reconnait un bon arbitre, c'est dans sa capacité à gérer des situations délicates, des situations qui existent parfois par sa faute, à la suite d'une mauvaise décision" remarque Luca Cibelli. Et c’est précisément de ce genre de situations que peut venir toute l’animosité face à laquelle un arbitre de football peut se retrouver. Un carton, un but refusé, un temps additionnel mal respecté, un éventail de décisions ou d’erreurs potentielles qui mettent l’arbitre en danger, du fait des émotions négatives qu’une mauvaise décision peut engendrer.

L’arbitre se retrouve dans une position vulnérable, au cœur des tempêtes émotionnelles ressenties par les joueurs, les entraîneurs, les supporters et même les dirigeants de clubs.

Là où l'on reconnait un bon arbitre, c'est dans sa capacité à gérer des situations délicates, des situations qui existent parfois par sa faute, à la suite d'une mauvaise décision

Luca Cibelli, arbitre
Keystone - Urs Flueeler

Chapitre 3
L’arbitre suisse, un homme en danger

Keystone - Urs Flueeler

Dans le football suisse comme partout ailleurs, le rôle de l’arbitre est donc primordial mais empreint de vulnérabilité. Chaque week-end, "le corbeau" (comme il fut appelé péjorativement durant le 20e siècle) se confronte aux défis de la prise de décision et les conséquences qui en résultent.

Le football amateur, vecteur des violences?

En Suisse romande, ces conséquences se traduisent par de la violence, physique ou symbolique, comme des insultes, des intimidations voire des gestes, qui se trouvent notamment sur les terrains de football amateur: "J'avais 17 ans et je devais arbitrer un match de 3e ligue, se souvient Lionel Tschudi, lui aussi arbitre de Super League. J'ai dû expulser un joueur qui avait donné un coup de poing à un adversaire et si ses coéquipiers ne m'avaient pas protégé, j'en aurais reçu un également..."

Un incident qui rappelle certains événements graves qui se sont passés à Genève ces dernières années, dont la bagarre générale lors de la finale du championnat de 4e ligue entre Versoix II et Kosova II, qui a résulté en des blessures graves, des arrestations, et la dissolution de l'équipe de Kosova II.

Le football professionnel pas épargné?

Ce problème concerne évidemment le football amateur, là où la sécurité n’est pas forcément au rendez-vous, et où la proximité du public peut engendrer ce genre de comportements. Malgré tout, ces derniers se retrouvent également au plus haut niveau, à des degrés différents, où l’enjeu des rencontres est d’un tout autre calibre que celui qui se trouve sur les terrains amateurs.

La question est de savoir d'où viennent ces violences à ce niveau supérieur? Du terrain directement avec des joueurs envenimant certaines situations? Du bord du rectangle vert par la faute d'entraîneurs ou de dirigeants? Des tribunes par l'agressivité de certains supporters?

J'ai dû expulser un joueur qui avait donné un coup de poing à un adversaire et si ses coéquipiers ne m'avaient pas protégé, j'en aurais reçu un également...

Lionel Tschudi, arbitre

Chapitre 4
Le terrain engendre, par essence, la violence

Keystone - Salvatore Di Nolfi

La 1re hypothèse que l'on peut avancer est celle du terrain. L'esprit de compétition, l'enjeu du résultat et la volonté de satisfaire un public sont autant de raisons qui peuvent pousser les acteurs du terrain à être violents, ou agressifs: "Cela vient aussi de la personnalité du joueur, précise Anthony Sauthier, latéral droit d'Yverdon-Sport. S'il est prêt à en découdre, à insulter, à se battre, il va le faire. Et puis à chaud, il ne va pas réfléchir et il regrette souvent après coup".

Anthony Sauthier tacle devant Dorian Babunski. [Keystone - Laurent Gillieron]
Anthony Sauthier tacle devant Dorian Babunski. [Keystone - Laurent Gillieron]

Un "sang chaud" qui coule dans les veines de certains joueurs mais qui peut également se retrouver dans le sang d'acteurs qui se trouvent de l'autre côté de la ligne de touche, sur le banc: "Les insultes envers les arbitres, cela a toujours existé et cela existera toujours malheureusement, observe Peter Zeidler, entraîneur du FC Saint-Gall. Mais ce n'est pas une bonne chose, et c'est aussi notre rôle en tant que coach de donner l'exemple. Pour ma part, j'ai fait de grands progrès mais je pense que chacun doit travailler sur soi encore mieux pour réduire cette violence, y compris moi".

Peter Zeidler est averti par Sven Wolfensberger, sous les yeux de Jérémy Guillemenot, alors joueur de Saint-Gall. [Keystone - Gian Ehrenzeller]
Peter Zeidler est averti par Sven Wolfensberger, sous les yeux de Jérémy Guillemenot, alors joueur de Saint-Gall. [Keystone - Gian Ehrenzeller]
1-2 finales, Sion - Lugano (0-2): Christian Constantin à l'interview
Football - Publié le 27 avril 2024

Si la violence semble pouvoir venir du terrain (et aussi des dirigeants), Lionel Tschudi nuance les propos: "Je me sens à 100% en sécurité sur un terrain. Il y a évidemment des entraîneurs ou des joueurs qui ne nous aiment pas à cause de certaines situations qui n'ont pas été digérées, mais le plus important, c'est qu'il y a du respect entre tous, et ça, sur le terrain, on le ressent."

Keystone - Martial Trezzini

Chapitre 5
Le stade est un espace social de violence

Keystone - Martial Trezzini

Le respect dans le football est primordial pour garder le contrôle sur ses émotions. Un avis partagé par Yoan Severin, qui regrette que ce respect ne soit pas partagé par tout le monde... : "Sur le terrain, tous les joueurs restent conscients du fait que le football reste un sport. Ce qui n'est pas forcément le cas dans les tribunes par exemple. Les supporters peuvent être amoureux d'un club et le défendre mais il ne faut pas tout mélanger et il y a des limites. D'être capable d'en arriver au point où on veut se battre pour son club, c'est vraiment regrettable."

Pour Anthony Sauthier, c'est même principalement des tribunes que vient la violence, c'est de là qu'elle se déclenche, qu'elle soit envers l'arbitre ou de manière générale. Il raconte un exemple qu'il a vécu durant la saison: "Il y a eu une altercation entre Varol Tasar et Lindrit Kamberi sur le côté du terrain, à quelques mètres de la tribune où tous les supporters du FC Zurich se trouvaient (Ndlr: le groupe de supporters de Zurich se trouvait dans la tribune latérale après avoir été interdit de se trouver dans la tribune derrière les buts). De cette petite altercation, un véritable grabuge s'est créé, et ça a résulté en un carton rouge pour Cheick Conde qui a pété les plombs. Est-ce que cela serait arrivé si l'action s'était passée ailleurs sur le terrain et pas juste à côté de la Südkurve?"

De cette petite altercation, un véritable grabuge s'est créé, et ça a résulté en un carton rouge pour Cheick Conde qui a pété les plombs. Est-ce que cela serait arrivé si les supporters ne les avaient pas chauffés?

Anthony Sauthier

De nombreuses personnes sont régulièrement témoins de violences verbales envers les arbitres de football dans un stade. Beaucoup de supporters diront avoir déjà entendu un voisin déverser son énervement sur l'arbitre, qu'il ne connait même pas. Mais d'où peut venir une telle agressivité?

"Au moment où le football est créé en Grande-Bretagne, il y a dans les sociétés occidentales et depuis deux siècles, une pacification des comportements par la monopolisation par l'Etat de la violence physique avec la police et l'armée, explique Philippe Longchamp, professeur de sociologie à la Haute École de Santé Vaud. A ce moment-là, la réinvention du sport au XIXᵉ siècle en Grande-Bretagne est à comprendre comme s'inscrivant dans ce processus de civilisation des mœurs. C'est-à-dire qu'on a créé un espace dans lequel la population ou plus exactement les hommes de classe supérieure peuvent mettre en scène une violence physique, mais ritualisée et encadrée. C'est une sorte d'exutoire à cette société très pacifiée où on ne peut plus se battre en duel ou à l'épée."

On a créé un espace dans lequel la population ou plus exactement les hommes de classe supérieure peuvent mettre en scène une violence physique, mais ritualisée et encadrée. C'est une sorte d'exutoire à cette société très pacifiée où on ne peut plus se battre en duel ou à l'épée.

Philippe Longchamp

Si l'on en croit cette analyse (théorisée par Norbert Elias en 1939), cette violence "autorisée" servirait donc d'effet cathartique aux individus pénétrant dans une enceinte footballistique. Néanmoins, cette violence est particulièrement dirigée sur l'arbitre, qui se trouve souvent au centre de toutes les critiques et insultes qui descendent des travées: "J'ai de la peine à accepter qu'un père de famille vienne au stade avec deux enfants en bas âge et utilise des termes inadmissibles envers une personne qu'il ne connait pas" regrette Lionel Tschudi.

Pour Philippe Longchamp, si aucun changement majeur ne s'opère dans l'idée que l'on se fait du sport, la tension perdurera: "Le sport, c'est une sublimation des inégalités et de la hiérarchie. Ces éléments n'ont jamais fait bon ménage avec les mœurs pacifiques. Ce qui veut dire que tant que le sport sera compétition, tant qu'il couronnera les meilleurs et condamnera les moins bons, il devra toujours composer avec cette tension entre pacification et violence."

Chapitre 6
Les médias enveniment-t-ils les choses?

Keystone - Massimo Capodanno

Si cette violence existe dans les stades de football, c'est donc pour plusieurs raisons: l'enjeu, la tension et même une violence sociale ritualisée. Si l'on prend ce dernier aspect, la violence naît également dans le fait que l'individu se sent légitime de remettre en doute la parole de l'arbitre.

Et une des raisons pour lesquelles il se le permet pourrait venir de ce qu'il entend et lit, notamment... dans les médias: "Selon moi, les journalistes enveniment un peu les choses parce qu'ils donnent leur avis sans forcément connaître le règlement comme les experts le connaissent. Et forcément, les lecteurs vont potentiellement suivre l'avis du journaliste plutôt que celui de l'arbitre étant donné qu'on ne le lit jamais. Je pense que les médias ont un grand impact sur le comportement des supporters et des spectateurs" lance Luca Cibelli.

Selon moi, les journalistes enveniment un peu les choses parce qu'ils donnent leur avis sans forcément connaître le règlement comme les experts le connaissent

Luca Cibelli

Pour Luca Cibelli, les médias peuvent donc façonner l'opinion des spectateurs à l'égard des arbitres si ceux-ci sont présentés de façon négative. Cette impression de stigmatisation peut trouver son fondement dans un autre aspect des médias, comme l'explique Massimo Lorenzi, rédacteur en chef des sports à la RTS:

"Il y a un point sur lequel je trouve que les médias, et particulièrement un seul média, la télévision, sont terribles et cruels. C'est que ce média dispose du ralenti. Il dispose de l'image sous plusieurs angles, et il les montre au public, donc chacun peut se faire sa propre opinion. Je pense que la force de l’image est impitoyable, et nous journalistes le sommes aussi parfois. Alors nous devons sans cesse avoir la discipline de toujours bien contextualiser les choses. Ceci par respect et politesse envers tous les acteurs du jeu. »

Massimo Lorenzi lors d'une conférence de presse de la RTS, en 2018. [Keystone - Laurent Gillieron]
Massimo Lorenzi lors d'une conférence de presse de la RTS, en 2018. [Keystone - Laurent Gillieron]

Même si l'assistance vidéo (VAR) a pu permettre à l'arbitre de voir les mêmes images que le téléspectateur dans des situations d'erreur manifeste (comme un penalty ou un carton rouge), il n'empêche que sur toutes les autres actions, l'arbitre ne peut pas voir ces images.

La télévision dispose de l'image sous plusieurs angles, et elle les montre au public, donc chacun peut se faire sa propre opinion

Massimo Lorenzi

Outre les médias qui peuvent jouer le rôle de messager de l'erreur de l'arbitre, un autre type de média l'envoie au purgatoire: les réseaux sociaux. Il suffit d'aller dans les commentaires du compte X (ex-Twitter) de la Swiss Football League pour découvrir que les arbitres sont remis en cause week-end après week-end.

Si ce X semble viser à faire rire une audience en priorité, l'anonymat que permet les réseaux sociaux laisse certaines personnes s'exprimer avec beaucoup plus de véhémence et d'agressivité.

Une violence qui se construit dès le plus jeune âge, comme a pu le remarquer Yves Débonnaire, ancien entraîneur notamment des M16 de l'équipe nationale: "Ce harcèlement entre jeunes sur les réseaux sociaux est terrible. Cette violence anonyme est monstrueuse, que ce soit envers les joueurs, les arbitres ou même les entraîneurs. Ces arbitres qui se font insulter sur les réseaux représentent pour moi un mal-être qui existe actuellement dans la société."

Yves Débonnaire lors d'un match entre les M18 de la Suisse et de la Suède. [Keystone - Valentin Flauraud]
Yves Débonnaire lors d'un match entre les M18 de la Suisse et de la Suède.  [Keystone - Valentin Flauraud]

Chapitre 7
Mais que fait la Ligue?

Keystone - Peter Klaunzer

Les arbitres sont au centre des violences dans le monde du football, et ce par l'intermédiaire de beaucoup d'acteurs différents. S'ils ne peuvent pas y faire grand chose, ce n'est pas le cas des clubs de la Swiss Football League (SFL) et de l'Association Suisse de Football (ASF) qui essaient de mettre des choses en place pour réduire ces violences: "Ce que j'aime faire déjà, c'est de souhaiter aux arbitres la bienvenue quand ils viennent à Genève, pour apprendre à les connaître, leur donner confiance et échanger de manière cordiale" explique Alain Moscatello, vice-président du Servette FC. Une notion de respect que le club essaie de transmettre à ses joueurs: "A Servette, on nous demande toujours de rester le plus respectueux possible envers les arbitres et de ne surtout jamais dépasser les limites" confirme Yoan Severin.

Alain Moscatello lors du match retour du Servette FC à Razgrad, face à Ludogorets, en 16es de finale de la Conference League. [Keystone - Salvatore Di Nolfi]
Alain Moscatello lors du match retour du Servette FC à Razgrad, face à Ludogorets, en 16es de finale de la Conference League. [Keystone - Salvatore Di Nolfi]

L'ASF de son côté, représentée par Stefan Baumgartner, chef de la communication, travaille depuis des années sur l'accompagnement de ses arbitres: "Les nouveaux arbitres sont intensivement accompagnés et encadrés lors de leurs premiers matches et régulièrement par la suite. Grâce au contact personnel pendant la formation et les premiers matches, ainsi qu'aux numéros d'urgence et à l'accompagnement psychologique (« Vous n'êtes pas seul »), il est assuré que les arbitres disposent de personnes à contacter en cas de situations extraordinaires ou inattendues. Un processus standard en plusieurs étapes est mis en place non pas comme mesure de protection, mais pour le suivi, lorsque les arbitres sont insultés ou menacés via les réseaux sociaux."

Stefan Baumgartner avec Xherdan Shaqiri quelques minutes avant le décollage pour le Qatar. [Keystone - Ennio Leanza]
Stefan Baumgartner avec Xherdan Shaqiri quelques minutes avant le décollage pour le Qatar. [Keystone - Ennio Leanza]

Pour Christian Constantin, président du FC Sion de 1991 à 1997 et depuis 2003, un des principaux problèmes concernant la violence envers les arbitres vient du fait que ces derniers ne connaissent pas bien les joueurs et vice-versa: "Il faudrait que les arbitres viennent à tour de rôle s’entraîner avec les clubs pour être en contact avec les joueurs. Ce serait bien qu’ils fassent le tour des clubs suisses pour créer des liens aussi en dehors des matches, ce qui favoriserait une certaine camaraderie et, surtout, un respect mutuel."

Christian Constantin propose des solutions pour l'arbitrage suisse. [Keystone - Laurent Gillieron]
Christian Constantin propose des solutions pour l'arbitrage suisse. [Keystone - Laurent Gillieron]

Une solution qui pourrait améliorer l'environnement durant les matches mais qui ouvrirait la porte à d'autres problèmes, comme l'indique Luca Cibelli: "Ca pourrait être une solution, oui. L'idée de Monsieur Constantin pourrait fonctionner mais il ne faudrait vraiment pas que ce soit tout le temps les mêmes arbitres qui aillent dans les mêmes clubs, par simplicité géographique, sinon ça créerait forcément du favoritisme."

Keystone - Dominic Favre

Chapitre 8
Des mesures pour cacher un manque de professionnalisme?

Keystone - Dominic Favre

Ce qui s'apparente à des solutions visant à soigner un symptôme plutôt qu'une cause, ne convainc que moyennement Ludovic Gremaud, ancien arbitre de Super League, dont la carrière avait pris fin très rapidement, pour une simple et bonne raison: "A mon époque, l'arbitrage n'était même pas semi-professionnel, ce qui est heureusement le cas aujourd'hui. C'est déjà une bonne amélioration, mais ce n'est pas encore suffisant, car ce semi-professionnalisme nous oblige à avoir un métier à côté. Dans le même temps, l'employeur de cet autre métier doit accepter qu'on ait entre 10 et 12 semaines de congé par année pour l'arbitrage, ce que très peu vont accepter. Donc j'étais presque obligé de ne faire que ça, et ça me permettait de gagner entre 4'000 et 6'000 francs par mois. A un moment donné, j'ai dû donc prendre la décision de favoriser ma carrière universitaire, qui m'offrait de vraies perspectives, contrairement à l'incertitude de l'arbitrage."

Ludovic Gremaud lors d'un Saint-Gall et Lucerne, en 2012. [Keystone - Steffen Schmidt]
Ludovic Gremaud lors d'un Saint-Gall et Lucerne, en 2012.  [Keystone - Steffen Schmidt]

En plus de ce manque de reconnaissance financière, les arbitres suisses doivent, à cause du semi-professionnalisme, très souvent retourner au travail dès le lendemain d'un match: "L'usure mentale des arbitres est un aspect important de notre métier. Après une série de matches et les responsabilités qui suivent, nous avons besoin de temps pour récupérer. Il serait juste de nous rémunérer pour ces périodes de repos, tout comme les joueurs bénéficient de jours de congé après leurs matches. Notre travail ne se limite pas aux matches, nous consacrons également énormément de temps à l'entraînement, à l'analyse des matches, etc. Et après tout ça, on doit encore aller travailler dans notre autre métier..." remarque Lionel Tschudi.

Est-ce que la professionnalisation de l'arbitrage en Suisse diminuerait la violence envers ces arbitres? Probablement que non, pas sur le terrain en tout cas, mais elle permettrait aux arbitres d'être mieux accompagnés, et de pouvoir avoir des jours de repos, comme les footballeurs, notamment pour pouvoir intégrer les violences qu'ils auront subies pendant le match du week-end.