Passion saucisson

Grand Format Découverte

Keystone - Laurent Gillieron

Introduction

Nous sommes partis dans les cantons romands, dans les boucheries, sur les traces d'un produit phare de leur production: le saucisson. Emblématique à plusieurs égards, le saucisson peut être aussi érigé en symbole d’une profession qui doit faire face à des critiques et relever plusieurs défis. Affronter les scandales liés à l’élevage intensif et aux combats des antispécistes. Intégrer les nouvelles donnes sanitaires et de fabrication. Réagir face à l’émergence de la tendance végane, ou encore le manque de relève dans la profession... Bref, nous vous proposons de faire un état des lieux de la boucherie charcuterie en Suisse romande.

Chapitre 1
Neuchâtel, le boucher et son IGP

PEJ

La boucherie Montandon au Pont-de-Martel reçoit ses carcasses directement de l’abattoir voisin. Le cochon est découpé. Le boucher retire le jambon et l’épaule. Le reste sert à la préparation du saucisson neuchâtelois (IGP).

La particularité de cette spécialité réside dans le boyau qui entoure la viande de porc. On utilise du bœuf.

Un saucisson neuchâtelois pèse traditionnellement 350-400 grammes. Le boyau de boeuf est retourné pour permettre d’avoir la graisse à l’extérieur pour ne pas donner un goût étranger à la viande de porc.

La chair est composée exclusivement de porc. On y ajoute du sel, du poivre et de l’ail.

Dépeçage des cochons à leur arrivée dans le laboratoire de la boucherie Montandon
Dépeçage des cochons à leur arrivée dans le laboratoire de la boucherie Montandon

Il faut compter 45 minutes de cuisson dans l’eau. Idéalement avec des haricots et des patates.

A Neuchâtel, il y a une vingtaine d’entreprises qui produisent du saucisson IGP (Indications géographiques protégées).

« L’IGP n’est pas une contrainte », estime Olivier Montandon, directeur de la boucherie. « Le cahier des charges a été fait par les bouchers. Il faut faire la même recette en adaptant sa viande et en tenant compte de la température extérieure. Ce n’est pas difficile de faire un saucisson, mais c’est compliqué de faire le même toutes les semaines pendant toute l’année. L’IGP a amené un plus, car la qualité est devenue régulière. »

Si la recette est standardisée, chaque boucherie a tout de même son tour de main secret, son fumage et son choix de poivre.

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Le saucisson neuchâtelois (IGP) est embossé dans un boyau de boeuf. [RTS - PEJ]RTS - PEJ
La Matinale - Publié le 30 décembre 2019

Chapitre 2
Vaud, la fierté et la transmission

Le saucisson vaudois (IGP) est une fierté pour Stéphanie Ogiz à Yverdon. Patronne de la boucherie depuis 2018, elle estime que le saucisson représente les racines d’une région. « Quand je vends un saucisson vaudois à un étranger, je suis fière ».

Stéphanie Ogiz prépare son saucisson avec de la viande maigre de porc. Puis elle ajoute de la graisse. Mais l’important réside dans le fumage ainsi que dans les épices « secrètes ».  « On ne pique jamais un saucisson, un boutefas ou une saucisse aux choux ! On cuit gentiment dans une eau frémissante. Toute la graisse reste à l’intérieur. Le bon goût du saucisson vient de là. On ne veut pas que le meilleur parte dans l’eau de cuisson !»

Le métier de boucher est en constante évolution. Stéphanie a, par exemple, la vie plus facile en ayant acheté une cellule fumoir automatisée qui fonctionne avec des copeaux de bois.

« Les innovations sont folles. Aujourd’hui, on peut même faire des saucisses sans boyaux. Un liquide coule sur la canule et entoure la viande. C’est impressionnant ! Mais notre métier disparaît. Pour nous, il est important d’utiliser toutes les parties de l’animal. J’utilise du boyau. Pas du liquide. »

Après avoir travaillé dans la restauration, Flora s'est lancée dans une reconversion en boucherie. Ici, elle prépare des cordons bleus.
Après avoir travaillé dans la restauration, Flora s'est lancée dans une reconversion en boucherie. Ici, elle prépare des cordons bleus.

Il faut donc toujours du travail manuel en arrière-boutique. Notamment pour faire les cordons bleus. « Mais il devient de plus en plus compliqué de trouver des jeunes qui souhaitent faire ce métier. Et souvent à la fin de l’apprentissage, ils se tournent vers autre chose. Il faut savoir que le métier est dur. Il est manuel. Physique. Et les horaires sont contraignants. »

Stéphanie reste confiante. Le métier ne va pas se perdre, mais il y aura moins de bouchers selon elle.

Les contraintes du métier augmentent. L’hygiène, les contrôles et la traçabilité de la viande sont passés par là. « Les grandes surfaces ont les moyens de digérer ces contraintes. C’est elles qui les mettent en vigueur. Le boucher indépendant n’arrive pas à suivre. Il faudrait engager deux personnes pour uniquement gérer la paperasse. C’est difficile. A l’époque, il y avait moins de surveillance et ça allait très bien. Évidemment, il faut garder une hygiène stricte sans aller trop loin. »

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Saucisson vaudois [RTS - Pierre-Etienne Joye]RTS - Pierre-Etienne Joye
La Matinale - Publié le 31 décembre 2019

Chapitre 3
Jura, l’Ajoie et le bio

La saucisse d’Ajoie (IGP) est le produit phare de sa région. Il s’agit d’une saucisse fumée que l’on doit cuire. Sa spécificité réside dans l’épice qui l’assaisonne. Le cumin. Ici encore, le cochon est à l’honneur. La chair est 100% porc.

Pour la cuisson, il suffit de 20 minutes à feu doux. On peut également la finir au gril. Attention ! On ne pique jamais une saucisse d’Ajoie.

La boucherie mobile Chappuis est ce jour-là à Courgenay. Stéphane, le patron, mise sur l’authenticité pour assurer sa survie. Circuit court. Produits locaux. Travail du boucher. « On doit toujours investir dans des nouvelles machines, mais aussi pour des panneaux solaires. Il faut sans cesse évoluer. ».

Franck revient du marché de Porrentruy
Franck revient du marché de Porrentruy

Parmi les changements marquants des dernières années, il y a l’arrivée de la viande bio. « La demande augmente. Il y a aussi plus de fournisseurs. Cela devient plus facile d’en avoir. ».

Manger moins mais mieux. Mais pas cuisiner plus. « On a de la peine à vendre du bouilli ou des rôtis. Les clients veulent souvent du vite prêt, vite cuit. On vend principalement des steacks. Et du pré-cuisiné. Les gens ne font que de courir et beaucoup ne savent plus cuisiner. Même faire un pot-au-feu est trop long. »

Et il ne faut pas lui parler de fausse viande. « Pour moi, une saucisse végan n’est pas une saucisse. Il ne faut pas mélanger les produits et les noms. Ils peuvent faire ces produits, mais pas les appeler saucisse. Ils doivent trouver un autre nom ! »

Est-ce qu’elle s’exporte cette saucisse d'Ajoie, notamment en France voisine ? « C’est très compliqué. Il est plus difficile d’exporter de la viande suisse en France, que l’inverse. Beaucoup de gens vont en France pour le prix. »

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La saucisse d'Ajoie (IGP) a la particularité de contenir du cumin.
La Matinale - Publié le 1 janvier 2020

Chapitre 4
Genève, le fenouil et les antispécistes

PEJ

C’est une incontournable de la cuisine genevoise. La longeole (IGP) se compose de viande maigre de porc, de bajoues, de lard de cou et de couenne. Le secret de son goût si particulier vient des graines de fenouil. Attention, contrairement aux autres saucisses, ici pas de fumage.

Autre particularité de la longeole, elle doit cuire au moins 3 heures dans une casserole avec une eau en ébullition très fine. La couenne et la graisse doivent fondre mais rester dans la saucisse. L’IGP fête ces dix ans cette année.

Il existe aussi une longeole en Haute-Savoie. Mais celle-ci contient du bœuf et des couennes cuites.

Blaise Corminboeuf, directeur de la boucherie du Palais à Carouge. [PEJ]
Blaise Corminboeuf, directeur de la boucherie du Palais à Carouge. [PEJ]

La branche de la boucherie-charcuterie a été secouée depuis deux ans par une série d’attaques venant des milieux antispécistes. « On a dû faire avec», estime Blaise Corminboeuf, directeur de la boucherie du Palais à Carouge. « Après en avoir beaucoup parlé, le mot d’ordre désormais chez les bouchers est de ne plus en parler. On ne veut plus leur faire de pub. Avec les derniers procès contre des antispécistes, la pression est un peu retombée. »

Certains bouchers ont subi des actes de vandalisme ces dernières années. Blaise Corminboeuf n’a pas pris de mesures particulières pour sécuriser son lieu de travail. « Il y avait une appréhension le matin en arrivant. J’étais toujours soulagé de voir la boucherie en bon état. Aujourd’hui, on est plus serein. »

Comment réagit-il au mouvement de consommation des végans ? « On comprend que depuis 10 ans, il y a un véritable changement. De notre côté, on explique qu’il faut manger tous les morceaux de la bête. Dans la longeole par exemple on utilise un peu toutes les parties du porc. Je respecte le choix des végans. J’ai l’esprit ouvert. Si un jour je trouve quelque chose d’intéressant dans les substituts, pourquoi pas en proposer. Mais pour l’instant, ce n’est pas à l’ordre du jour. »

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La longeole genevoise. [RTS - Pierre-Etienne Joye]RTS - Pierre-Etienne Joye
La Matinale - Publié le 2 janvier 2020

Chapitre 5
Fribourg, le service et la borne

PEJ

C’est en Vielle-Ville de Fribourg qu’on trouve une des plus goûteuses spécialités du canton. Le saucisson de la borne. Nicolas Bertschy a repris il y a près de 20 ans la boucherie fondée par son grand-père. Et il a son astuce.

« J’ai la chance d’avoir encore une borne en Singine à Schmitten. C’est la fumée qui donne le goût. Il est également plus foncé qu’un saucisson traditionnel. L’odeur est plus intense. C’est fumé au bois de sapin. »

Le saucisson est pur porc. « Le boyau est 100% naturel. On peut le manger. Mais normalement on l’ôte. »

Le saucisson fribourgeois de la borne est fumé avec du bois de sapin. [PEJ]
Le saucisson fribourgeois de la borne est fumé avec du bois de sapin. [PEJ]

Pour survivre, les boucheries doivent proposer des produits différents. Et mettre en valeur un savoir-faire local. Évidemment, il y a la concurrence des grandes surfaces. « En basse ville de Fribourg, il y avait une dizaine de bouchers. Ils ont disparu les uns après les autres, parfois aussi par manque de relève. »

Mais il y a un motif d’espoir pour Nicolas Bertschy, « La clientèle se rajeunit. La proximité et le service doivent être notre force. Le client doit savoir d’où vient la bête et comment elle a été traitée. Les gens sont sensibles aux origines de la matière première. Ils apprécient également d’avoir quelques conseils culinaires, des petites recettes. »

Le saucisson fribourgeois peut également se déguster froid, en apéritif par exemple. [PEJ]
Le saucisson fribourgeois peut également se déguster froid, en apéritif par exemple. [PEJ]

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Le saucisson fribourgeois de la borne est fumé avec du bois de sapin. [PEJ]PEJ
Le Journal horaire - Publié le 19 décembre 2019

Chapitre 6
Valais, le séchage et les conservateurs

PEJ

C’est au coeur de la vallée qu’il y a trente ans Marc Genoud a fondé les Salaisons d’Anniviers à Vissoie. Aujourd’hui, il produit trente tonnes de saucisses par année.

Et il s’est lancé dans le bio. Marc et son fils Méryl proposent désormais une saucisse au vin rouge et une saucisse paysanne. La viande est bio. Les herbes sont bio. Et ils connaissent le nom de la vache.

Une des nombreuses variétés de saucisse sèche. Ici, au poivre. [PEJ]
Une des nombreuses variétés de saucisse sèche. Ici, au poivre. [PEJ]

« On essaie d’être le plus naturel possible, de ne pas mettre de conservateurs. Cela représente aussi des inconvénients au niveau de la conservation et de la couleur. On arrive gentiment à avoir des produits qui ont du succès. »

Évidemment, le produit se conserve moins longtemps et présente une couleur inhabituelle, plus sombre.

Les saucisses passent entre 2 et 4 semaines suspendues dans un local de séchage. La durée dépend de la taille et de la forme que l’on veut donner à la saucisse.

Des morceaux de viande de boeuf en cours de séchage. [PEJ]
Des morceaux de viande de boeuf en cours de séchage. [PEJ]

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Le saucisson fribourgeois de la borne est fumé avec du bois de sapin. [PEJ]PEJ
Le Journal horaire - Publié le 19 décembre 2019
Les six saucissons. Sauriez-vous les reconnaître ?