La Science des Rêves

Grand Format Série estivale

AFP - Jean-Christophe Verhaegen

Introduction

Pourquoi rêvons-nous? Y a-t-il vraiment de petits et de grands rêveurs et rêveuses? Peut-on éviter les cauchemars? Des scientifiques se plongent dans le monde onirique et livrent des explications.

Chapitre 1
Le sens des rêves

Etienne George/Collection ChristopheL via AFP - Michel Gondry

Nos rêves sont parfois étranges, illogiques, récurrents... tout cela a-t-il un sens? Scientifiques, philosophes et psychanalystes se sont posés ces questions sans y trouver de réponse définitive. Mais ils et elles ont émis plusieurs théories.

Sigmund Freud parlait d'une fonction d'équilibre psychique grâce à la réalisation de désirs refoulés, tandis que Carl Gustav Jung disait que l'esprit humain se préparait à ce qu'il allait vivre.

Plus récemment, des neuroscientifiques ont proposé une fonction évolutionnaire du rêve qui nous préparerait à mieux affronter des menaces de notre quotidien; il pourrait aussi consolider notre mémoire. Une minorité pense que le songe ne sert à rien, qu'il n'est qu'une production aléatoire du cerveau.

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Métaphores puissantes et émotionnelles

Pour Perrine Ruby, chercheuse au Centre de recherche en neurosciences de Lyon (CRNL), le rêve a forcément du sens: "Dans les rêves, on reconnaît énormément de choses familières. Il y a des métaphores qui sont extrêmement puissantes, élaborées sémantiquement et émotionnellement. On se rend bien compte que ça ne peut pas être perpétuellement de l'aléatoire qui produit un sens émotionnel aussi fort. On rêve aussi beaucoup plus souvent de choses qui ont un impact émotionnel pour nous", note-t-elle au micro de La Matinale.

Pendant le premier confinement en France, Perrine Ruby et son équipe ont collecté des rêves – obtenant plus de 3000 réponses – pour observer ce qui préoccupait la population et quelles métaphores émergeaient pendant la nuit. Un livre a même été publié à ce sujet.

"C'est vraiment extrêmement intéressant de voir l'éclairage qui est proposé par les rêves, ce que le cerveau endormi a choisi comme image, comme métaphore", remarque-t-elle, notant que, dans l'ensemble, les métaphores sont extrêmement fortes: "On se rend compte que ce n'est pas du tout uniquement la question de la crainte de la mort, de la maladie et de la contagion qui ressort".

Ces peurs se projettent dans l'avenir et l'angoisse tourne autour de craintes de manipulation ou de la façon dont est gérée la pandémie: "Et aussi du devenir de notre avenir: et notre liberté individuelle dans tout ça?" Pour la chercheuse, des notions très importantes sont exprimées dans les rêves et que la question de leur sens est légitime: "Il y a vraiment quelque chose à comprendre dans l'analyse des rêves: ça, j'en suis certaine".

>> Ecouter "Le labo des songes", un reportage de Vacarme :

Electroencéphalographie. [Depositphotos - yacobchuk1]Depositphotos - yacobchuk1
Vacarme - Publié le 13 juillet 2022

Affronter les dangers futurs

Le psychiatre Lampros Perogamvros est chef de clinique dans le centre de médecine du sommeil (HUG) et fait aussi de la recherche en neurosciences au Campus Biotech (UNIGE): avec son équipe, il a testé l'idée selon laquelle le rêve nous prépare pour le futur: "On a demandé à des sujets sains de remplir un carnet de rêves pendant une semaine. Il y avait des questions sur les émotions et, plus spécifiquement, sur celle de la peur".

Après une semaine, les volontaires ont fait examen dans un scanner durant lequel des images négatives et effrayantes leur ont été montrées: "Ce qu'on a constaté, c'est que plus la peur était présente dans leurs rêves la semaine qui précédait, plus ces personnes étaient préparées à affronter les images effrayantes pendant la veille".

L'équipe de recherche en a donc tiré la conclusion que le rêve a une fonction émotionnelle: "Le rêve peut nous préparer à mieux affronter des dangers potentiels futurs", affirme Lampros Perogamvros.

>>Lire aussi: Une étude bernoise montre le rôle du sommeil dans la gestion des émotions

Trouver des solutions

Mais pourquoi fait-on des songes bizarres, étranges, voire surréalistes? Pour Francesca Siclari, neurologue au Centre d'investigation et de recherche sur le sommeil (CHUV), c'est parce que le cerveau qui rêve fonctionne d'une façon un peu différente: "Il fait des associations entre des choses qu'on ne fait pas normalement pendant la veille.

C6H6, la formule chimique du benzène, un composé organique, est représentée sous la forme d'un anneau. [tcichemicals.com]
C6H6, la formule chimique du benzène, un composé organique, est représentée sous la forme d'un anneau. [tcichemicals.com]

On ne sait pas exactement selon quels critères il le fait. On a tendance à croire que c'est aléatoire ou bizarre, mais je pense qu'il y a une logique très claire là-derrière".

De plus, la chercheuse explique que le rêve est aussi très créatif: "Souvent, on arrive à trouver des solutions à des problèmes".

Elle donne l'exemple d'un rêve fait en 1865 par August Kekulé von Stradonitz... s'assoupissant devant un feu de cheminée, le fondateur de la chimie du carbone a rêvé d'un serpent qui se mordait la queue. Et c'est ainsi qu'il a révélé des années plus tard avoir découvert la formule chimique du benzène, qui est en forme d'anneau.

>> Le 1er épisode de la série:

La science des rêves (1-5): le sens des rêves
La Matinale - Publié le 4 juillet 2022

Chapitre 2
Se souvenir de ses rêves

Hans Lucas via AFP - Laurent Ferrière

Les rêves peuvent intervenir à tout moment de la nuit. Longtemps, les scientifiques ont pensé qu'ils survenaient seulement pendant le sommeil paradoxal mais, en observant des personnes endormies et en les interrogeant, ils et elles se sont rendu compte que les rêves pouvaient survenir dans toutes les phases du sommeil.

Le fait que certaines personnes se souviennent de leurs rêves et d'autres pas est en partie lié à la structure du sommeil: "Ce que nous avons montré en laboratoire, c'est que le fait de se réveiller au moment où un rêve est en train de se dérouler joue un rôle très important dans le fait de pouvoir s'en souvenir ou pas", explique Perrine Ruby, chercheuse au Centre de recherche en neurosciences de Lyon.

"Quand vous avez un réveil qui est bien net et que vous avez un rêve en cours, dans ce cas là, la transition entre le sommeil et l'éveil est rapide et vous réussissez à vous réveiller encore dans l'ambiance du rêve. Alors que certaines fois, les réveils graduels laissent plus échapper le contenu du rêve et s'installer progressivement l'éveil".

Comme dans un songe... "Machine Hallucination. Rêve de nature", une œuvre numérique de l'artiste turc Refik Anadol. Musée Pompidou-Metz, du 11 juin au 29 août 2022. [AFP - Jean-Christope Verhaegen]
Comme dans un songe... "Machine Hallucination. Rêve de nature", une œuvre numérique de l'artiste turc Refik Anadol. Musée Pompidou-Metz, du 11 juin au 29 août 2022. [AFP - Jean-Christope Verhaegen]

L'envie et la créativité

Une autre donnée expliquant pourquoi certaines personnes se souviennent mieux de leurs songes, c'est tout simplement l'envie, la volonté: "La motivation est importante. Quand on a envie de s'en rappeler, qu'on est intéressé, quand on tient un journal des rêves ou quand on commence une psychanalyse, une psychothérapie, on a tendance à s'en souvenir davantage et mieux", note Francesca Siclari, neurologue au Centre d'investigation et de recherche sur le sommeil du CHUV.

"Après, il y a des différences inter-individuelles: les femmes, typiquement, qui s'en rappellent plus facilement que les hommes". Et la raison exacte de ce fait est inconnue pour l'heure: "On rêve certainement tous, mais le rappel des rêves est très variable. Et il y a ces facteurs – comme la structure du sommeil, l'intérêt qu'on porte aux rêves – qui déterminent une certaine partie de cette variabilité. Mais il y a une autre partie dont on ne connaît pas la cause".

Pour Perrine Ruby, des traits de la personnalité ou neurophysiologiques peuvent entrer en compte pour favoriser le rappel de rêves: "Par exemple, avoir une certaine activité cérébrale au réveil le favorise. Une meilleure connexion entre les réseaux qui sont impliqués dans la mémoire, par exemple: ça, on l'a montré en laboratoire". Elle note encore que des études ont indiqué qu'une personne créative et ouverte à l'expérience se rappellera mieux de ses aventures nocturnes le matin.

>> Ecouter "Parlons avec nos morts", un reportage de Vacarme :

Illustration rêve. [Depositphotos - E_Serebryakova]Depositphotos - E_Serebryakova
Vacarme - Publié le 14 juillet 2022

Une production prolifique

Selon la chercheuse, il n'y a pas de personnes que l'on peut qualifier de grande ou petite rêveuse, mais plutôt de grande ou petite "rapporteuse de rêves": "C'est peut-être moins joli, mais plus proche de la réalité. Actuellement, on n'est pas en mesure de dire s'il y a des personnes qui produisent plus de rêves que d'autres. En revanche, on est sûr qu'il y en a certaines qui en rapportent plus souvent que d'autres".

Une certitude des scientifiques, c'est qu'on produit plus de rêves que ce dont on se souvient: si on réveille une personne plusieurs fois dans la nuit, les souvenirs de rêve vont se multiplier.

Il y a donc à la fois la production de rêves et la capacité d'accéder au rêve produit. Là, les neuroscientifiques ne savent pas exactement quelle part des deux intervient le plus dans le souvenir de rêve.

Ce qui est sûr et observé, c'est qu'il varie, d'une personne à l'autre et aussi chez une même personne: il y a des phases où l'on se souvient bien de tous ses rêves et des phases où l'on a l'impression de ne pas en faire de tout.

Environnement sensoriel

Et l'environnement sensoriel a une influence: sons, température, si on nous touche pendant notre sommeil… N'importe quelle stimulation sensorielle peut s'incorporer à notre rêve. Et surtout à la limite du seuil de réveil – une astuce du cerveau pour protéger le sommeil. Un exemple, c'est le réveil qui sonne et s'intégre au songe pour devenir un coup de sifflet sur le quai de gare: "Selon les études, ce ne sont pas les stimulis langagés qui ont le plus d'impact", remarque Perrine Ruby. "Ou alors, il faut qu'ils soient très émotionnels: notamment le prénom de la personne. Ou des mots qui sont en lien avec les préoccupations personnelles de la personne à ce moment-là ont plus de chance de s'incorporer dans le rêve".

Et si vous ne vous souvenez pas de vos rêves, a priori, ça n'a rien d'inquiétant ou de pathologique… Une idée suggérée par les neuroscientifiques pour s'en rappeler: écrivez un journal des rêves.

>> Le 2 :

La science des rêves (2-5): se souvenir de ses rêves
La Matinale - Publié le 5 juillet 2022

Chapitre 3
Les cauchemars et les terreurs nocturnes

AFP - Fabrice Coffrini

Piégé dans un cauchemar, agité, on met toute notre énergie pour courir, fuir, mais impossible de bouger, de respirer…

Mais qu'est-ce que c'est? Un mauvais rêve, un cauchemar, une terreur nocturne… Quelle est la différence? "Le mauvais rêve est considéré comme un rêve normal et fonctionnel et qui maintient cette fonction de régulation émotionnelle", détaille Lampros Perogamvros, chef de clinique au Centre de médecine du sommeil des HUG.

En revanche, le cauchemar semble perdre cette mission: "Le mauvais rêve, c'est un rêve caractérisé par des émotions négatives comme la peur, l'anxiété, la frustration. Tandis que le cauchemar est caractérisé par la même émotion, mais dans une intensité beaucoup plus élevée et, souvent, avec un réveil au milieu de la nuit dans un état d'angoisse. On considère que cet éveil, cette fragmentation du sommeil à cause du cauchemar fait que le cauchemar n'est pas fonctionnel", explique-t-il au micro de La Matinale.

>> Ecouter "Poursuivie par le tigre", un reportage de Vacarme :

Cauchemars. [Depositphotos - likozor]Depositphotos - likozor
Vacarme - Publié le 15 novembre 2021

"Le cauchemar est souvent produit pendant le sommeil paradoxal, vers la fin de la nuit. Les terreurs nocturnes sont un phénomène similaire qui se produit plutôt au début de la nuit, pendant le sommeil non-paradoxal. Pendant les terreurs nocturnes, on n'est pas sûr s'il y a une activité onirique".

Il ajoute que la personne qui souffre de terreur nocturne se met souvent assise dans son lit, dans un état de panique, pendant plusieurs minutes: "Il n'y a pas un bon contact avec l'entourage. Il n'y a pas de souvenir de rêve. Donc c'est une situation et un état clinique qui est différent du cauchemar".

Des notes de piano thérapeutiques

Les cauchemars récurrents peuvent être traités par des thérapies classiques comme la psychothérapie, qui peut être utilisée après un événement traumatique. Il existe aussi une nouvelle méthode, testée par Lampros Perogamvros: il s'agit de réécrire l'histoire, transformer le cauchemar, en apprenant un nouveau récit à notre cerveau.

La thérapie par répétition d'imagerie mentale pourrait être utilisée pour traiter les angoisses, la dépression ou l'insomnie. [Hans Lucas via AFP - Benoît Durand]
La thérapie par répétition d'imagerie mentale pourrait être utilisée pour traiter les angoisses, la dépression ou l'insomnie. [Hans Lucas via AFP - Benoît Durand]

Cela se nomme la thérapie par répétition d'imagerie mentale: "On demande au patient de construire un scénario alternatif et positif de leurs cauchemars et en pratiquant cinq à dix minutes cette imagerie visuelle du bon scénario, pendant la veille, on a constaté qu'au bout de deux semaines, il y a une nette amélioration du cauchemar au niveau de la fréquence, mais aussi au niveau émotionnel".

"On a associé les bons scénarios de cette thérapie avec un son et, par la suite, avec un bandeau du sommeil qui enregistre les stades du sommeil automatiquement et fait jouer ces sons qui ont été associés au bon scénario. En rejouant les sons pendant le sommeil paradoxal, on a trouvé que cela peut accélérer la consolidation de bons rêves pendant le sommeil". Le médecin estime que cette méthode pourrait être utilisée potentiellement pour d'autres pathologies psychiatriques.

Dans cette expérience, c'est une note de piano qui a été utilisée: "Un son neutre que nous avons associé avec une expérience positive pendant la veille. Par la suite, cette note de piano a été rejouée pendant le sommeil paradoxal, le stade où l'on fait le plus souvent des cauchemars et des rêves en général".

Patientes et patients pourraient ensuite être autonomes et se rejouer ces quelques notes chez eux, en étant branchés à un système de surveillance du sommeil: "Oui. Et bien sûr, il faut une supervision par un thérapeute", souligne Lampros Perogamvros: "On ne peut pas éviter que la personne doive se rendre à l'hôpital. Il peut y avoir une surveillance médicale à distance. Par contre, la thérapie continue de se faire à la maison via des bandeaux du sommeil".

Cette thérapie par répétition d'imagerie mentale pourrait être utilisée pour traiter des pathologies telles que les angoisses, la dépression ou l'insomnie. Mais elle ne fonctionne pas pour les terreurs nocturnes: là, il faudrait travailler sur l'hygiène du sommeil et la gestion du stress, selon les neuroscientifiques, deux facteurs qui sont très souvent à l'origine des terreurs nocturnes.

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Chapitre 4
La narcolepsie et les rêves lucides

Hans Lucas via AFP - Sandrine Marty

Les narcoleptiques s'endorment soudainement, au-milieu d'une discussion, parfois en pleine activité, dans des situations plutôt étonnantes: "J'ai connu personnellement un narcoleptique qui s'endormait chez le dentiste avec la fraise dans la bouche", se souvient le neurophysiologiste Mehdi Tafti, professeur en sciences biomédicales à l'Université de Lausanne, cocréateur du laboratoire du sommeil du CHUV.

"Ils s'endorment et puis ils mettent leur chaussures dans le frigo... ils font de drôles de choses, car ils sont à moitié endormis. Le deuxième symptôme, pour ce qui est le cas typique de la narcolepsie avec cataplexie, c'est que s'ils ont une émotion forte, ils perdent leur tonus musculaire. Ils peuvent même tomber par terre. Souvent les gens pensent qu'ils tombent de sommeil mais, en fait, ils sont éveillés: c'est uniquement une perte du tonus musculaire", souligne-t-il. Un état qui est essentiellement déclenché par des émotions positives.

"En plus de ces deux symptômes principaux, ils ont des paralysies du sommeil: ils se réveillent mais ne peuvent pas bouger. Et ils ont aussi des hallucinations. Je me souviens d'un narcoleptique qui disait que ses pieds s'approchaient devant son visage".

Des neurones désactivés

Ce qui provoque la narcolepsie serait lié au système immunitaire. Dans ses recherches récentes, l'équipe de Mehdi Tafti a fait une découverte intéressante qui pourrait ouvrir sur des possibilités de traitements de cette pathologie: "On le sait depuis les années 1980, cette maladie est fortement liée à un gène du système immunitaire. Tout cela fait penser que c'est une maladie auto-immune. Il y a une vingtaine d'années, on s'est rendu compte qu'un neurotransmetteur – une sorte d'hormone – manque dans leur cerveau. Fort probablement, les neurones qui le produisent ne sont plus là".

Plus récemment, une autre découverte essentielle a été faite: "On arrive à montrer que ces neurones ne sont pas détruits, mais qu'ils sont tout simplement désactivés. Cela ouvre la voie à un traitement qui pourrait les réactiver", espère-t-il.

>> Ecouter "Apprivoiser Morphée", un reportage de Vacarme :

Le sommeil est perçu différemment selon les époques.
leszekglasner
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Vacarme - Publié le 12 juillet 2022

Le pouvoir du rêve lucide

La narcolepsie, c'est aussi parfois l'expérience spontanée du rêve lucide: un vécu intense, avec une une forme de conscience différente du rêve normal, où rêveuses et rêveurs pourrait même influencer le cours de leur songe.

"Pendant un rêve habituel, on a conscience qu'on a une expérience, mais on n'a pas conscience qu'on est en train de rêver", indique Francesca Siclari, neurologue au Centre d'investigation et de recherche sur le sommeil (CHUV). "En général, on se croit ailleurs que dans le lit en train de dormir et il y a des rêves dans lesquels on peut prendre conscience d'un coup du fait qu'on est en train de rêver. Parfois, on peut même prendre le contrôle sur le contenu du rêve. Il suffit souvent dans ces rêves lucides de penser à quelque chose et, dans le rêve, cette chose se matérialise: une expérience que les gens décrivent comme très puissante, hors du commun".

Le rêve lucide permet de prendre le contrôle de son propre songe... comme si l'on pouvait flotter dans une œuvre de l'artiste turc Refik Anadol. Ici "Machine Memories: Space", Pilevneli Mecidiyekoy Art Gallery, Istanbul, Turquie, le 18 mars 2021. [Anadolu Agency via AFP - Erhan Sevenler]
Le rêve lucide permet de prendre le contrôle de son propre songe... comme si l'on pouvait flotter dans une œuvre de l'artiste turc Refik Anadol. Ici "Machine Memories: Space", Pilevneli Mecidiyekoy Art Gallery, Istanbul, Turquie, le 18 mars 2021. [Anadolu Agency via AFP - Erhan Sevenler]

Pour elle, les rêves lucides sont un modèle intéressant pour la recherche parce qu'ils permettent aux chercheurs et chercheuses de communiquer avec la personne qui rêve en temps réel, avec des codes de mouvement occulaire, ou d'autres codes préétablis. Lorsque la personne entre dans le sommeil paradoxal lucide, elle peut commencer à bouger et réaliser le code avec ses yeux: "Cela permet de poser des questions et ces études-là ont permis de voir que le temps s'écoule d'une manière très similaire entre un rêve lucide et la veille normale. Que quand on fait des mouvements de respiration volontaire, on peut vraiment les voir au niveau du tracé. D'autres observations ont pu être faites grâce aux rêveurs et rêveuses lucides".

C'est pendant le sommeil paradoxal que la plupart des rêves lucides ont lieu: "Certaines régions du cerveau sont dé-activées, notamment des grandes parties du cortex fronto pariétal associatif, une partie très évoluée de notre cortex qui juge, qui réfléchit, qui fait des liens, etc. Certaines études ont montré qu'il y a une réactivation de ces régions qui sont momentanément dé-activées pendant le sommeil paradoxal et qui permettent peut-être de reprendre conscience et parfois le contrôle sur le contenu des rêves".

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Chapitre 5
Le rêve animal

DR - Stéphanie Jaquet

En observant son chat, son chien ou son poisson rouge, on se demande si nos animaux familiers rêvent aussi. Notamment lorsque l'on voit des soubresauts pendant leur sommeil.

Mehdi Tafti, neurophysiologiste et généticien, professeur en sciences biomédicales (UNIL) dit n'avoir aucune idée à quoi ces êtres rêvent: "Aucun animal ne m'a raconté son rêve!", dit-il en riant.

Tout dépend de ce qu'on entend par le mot rêve: si on imagine une histoire ou quelque chose de moins construit: "Le rêve est un récit qui nécessite le langage, donc je ne peux pas répondre parce qu'on n'a pas les moyens de le savoir. Mais si on regarde toutes les structures du cerveau nécessaires pour les états de vigilance, il n'y a pas de différence. Les animaux – au moins les mammifères, pour simplifier – ont quasi la même organisation du cerveau. Donc s'il faut des centres pour produire des rêves, s'il faut une neurochimie pour cela, oui, bien entendu, tous les animaux l'ont".

Autrement dit, les animaux, les mammifères, ont tout ce qu'il faut là où il le faut pour produire des rêves, sauf le langage pour le raconter. Quoique: ils ont peut-être une autre forme d'expression! Un film fascinant proposé par Nature montre une pieuvre endormie qui change de couleurs:

"Si elle rêve, alors c'est un instant spectaculaire", commente le scientifique dans la vidéo: "La voilà endormie, elle voit un crabe et sa couleur change un peu". Plus loin, sa peau prend une couleur de camouflage: "Elle se fond dans le décor – comme si elle mangeait son crabe et voulait rester inaperçue".

Des structures particulières dans le cerveau

Et le chat? Dans les années 1960, le neurobiologiste Michel Jouvet, pionnier des études sur le sommeil, s'y est intéressé… avec moins de respect et d'empathie animale que l'homme à la pieuvre. Mais il a pu explorer l'activité onirique du chat: "A cette époque-là, l'équipe de Michel Jouvet avait identifié une structure particulière à la base du cerveau chez le chat et ils lui avaient fait des lésions", raconte Mehdi Tafti.

Mon chat rêve-t-il qu'il poursuit un papillon? [DR - Stéphanie Jaquet]
Mon chat rêve-t-il qu'il poursuit un papillon? [DR - Stéphanie Jaquet]

Suite à cela, chaque fois que le chat rentrait dans le sommeil paradoxal – un moment normalement caractérisé par la paralysie musculaire –, il avait un comportement très typique soit de jeu ou de chasse: "Michel Jouvet avait dit: 'Si on détruit une structure qui est responsable de la paralysie, on verra ensuite ce à quoi l'animal rêve'."

Quarante ans plus tard une maladie neurodégénérative a été identifiée chez l'être humain: une pathologie nommée maladie du comportement du sommeil paradoxal. Les personnes qui en souffrent sont atteintes dans ces structures se trouvant dans la base du cerveau: "Ces gens-là, quand ils rentrent dans le sommeil paradoxal, ont des mouvements anormaux, souvent agressifs. Et si l'on regarde ce qu'ils font, qu'on les réveille pour leur demander ce à quoi ils rêvaient, on a l'impression qu'ils jouent leurs rêves".

Le professeur note que ces personnes font souvent des rêves où elles sont attaquées et doivent se défendre: "Au début, ces patients étaient amenés par leur femme, parce qu'ils donnaient des coups de pied ou de poing, parce qu'ils se battent pendant cet état", se remémore-t-il. "Donc est-ce la même chose entre les animaux et les humains? Il semblerait que chez le chat – le seul animal chez qui cela a été fait – ce sont des comportements plutôt innés, comme le jeu ou la chasse. Ce n'est pas aussi élaboré et pas forcément uniquement violent comme cela arrive dans le trouble du comportement du sommeil paradoxal".

>> Ecouter "Echapée onirique", un reportage de Vacarme :

Rêves 5/5: échappée onirique - Ben Evans oeuvre. [www.dreamrealizationlab.com - Ben Evans]www.dreamrealizationlab.com - Ben Evans
Vacarme - Publié le 19 novembre 2021