Immersion dans les "points chauds" pour les cyclistes romands

Les Suisses ont beau être toujours plus nombreux à posséder un vélo, ils rechignent encore à l'utiliser pour leurs trajets quotidiens.

La bicyclette reste considérée en Suisse comme un mode de transport dangereux en ville. A raison: au kilomètre parcouru, un usager de la route a dix fois plus de risques d’avoir un accident mortel à vélo qu’en voiture.

>> Lire aussi : Bien que populaire, le vélo peine à s'imposer dans les trajets quotidiens

Les statistiques de l'Office fédéral des routes (OFROU) montrent que des points chauds tendent à concentrer les accidents graves impliquant des cyclistes dans les villes romandes (voir la carte en bas d'article).

RTSinfo a choisi de parcourir à vélo plusieurs axes passant par ces lieux sensibles à Genève, Bienne et Lausanne afin de découvrir où et pourquoi le bât blesse.

Entre 2011 et 2017, quatre personnes ont perdu la vie et près de 700 ont été blessées lors d'accidents impliquant des cyclistes en ville de Genève.

Les données fournies par l'Office fédéral des routes (OFROU) montrent que de nombreux lieux ont été le théâtre de plusieurs de ces accrochages: le pont du Mont-Blanc et son entrée depuis le Quai Général-Guisan (5 accidents dont 3 graves), la rue Chantepoulet (12 accidents dont 8 graves), la route des Acacias (1 mort et 11 blessés, dont 4 graves)...

Notre cycliste a expérimenté trois tronçons "à problème" (en vert sur la carte): l'itinéraire reliant la gare Cornavin à la plaine de Plainpalais, un segment autour de la rue des Deux-Ponts à la Jonction et le boulevard de Saint-Georges en direction de la plaine de Plainpalais.

La récurrence de plusieurs cas de figure problématiques a été constatée: des pistes cyclables interrompues inopinément ou coupées par les véhicules motorisés, des changements de voies dans le trafic, des itinéraires non prévus sur pistes cyclables, des indications peu claires et de nombreuses voies de tram à traverser.

Sur le premier axe emprunté, qui relie le boulevard James Fazy à la rue du Stand, 15 personnes ont été blessées, dont 7 grièvement, lors d'accidents impliquant des cyclistes entre 2011 et 2017.

Une personne a trouvé la mort et une vingtaine de personnes ont été blessées, dont 9 grièvement, lors d'accident survenus sur ce segment situé dans le quartier de la Jonction.

Sur ce troisième trajet qui passe par le boulevard de Saint-Georges, les cyclistes rencontrent principalement deux points chauds: le rond-point situé au croisement du boulevard avec la rue des Bains (7 blessés ces dernières années, dont 3 graves) et le croisement de la rue Harry-Marc avec le boulevard Georges-Favon (8 blessés dont 2 graves).

A Bienne, environ 450 accidents impliquant des cyclistes ont été signalés en sept ans. Quatre personnes sont décédées, et près d'une centaine ont été grièvement blessées.

Notre cycliste a pédalé de la gare à la rue Centrale (segment 1), de la rue du Canal à la rue Général-Dufour (segment 2) et sur la route reliant le sud de la ville à la gare (segment 3).

Bienne, une ville dotée d'une topographie plate propice à l'usage du vélo, se caractérise par d'importantes disparités entre certaines zones bien aménagées pour les cyclistes et d'autres totalement dépourvues d'infrastructure cyclable.

Certaines voies pour cycles s'arrêtent sans prévenir, et réapparaissent un peu plus loin. Un trajet complet sur piste cyclable est quasiment impossible. La ville compte plusieurs carrefours et giratoires accidentogènes ainsi que des présélections mal indiquées et dangereuses.

Une vingtaine d'accidents avec blessés se sont produits sur ce segment au cours des dernières années. Le rond-point est particulièrement sensible: 16 personnes y ont été blessées, dont 6 grièvement, depuis 2011. Trois accidents ont eu lieu au croisement de la rue des Prés et de la rue Centrale, et une personne y a perdu la vie.

Près d'une dizaine d'accidents ont été signalés ces dernières années sur la seule rue du Canal, un axe central fréquenté, doté d'une piste cyclable intermittente.

Ce segment comporte un point chaud, le carrefour entre la route de Brügg et la rue de Madretsch. Six accidents impliquant des cyclistes y ont été signalés.

En ville de Lausanne, plus de 300 personnes ont été blessées au cours d'accidents impliquant des cyclistes entre 2011 et 2017, dont plus du quart grièvement. Aucun accident mortel n'a été signalé.

Là aussi, les pistes cyclables discontinues sont fréquentes. Certaines voies dédiées se déportent brusquement et renvoient les cyclistes dans le trafic. Lausanne compte plusieurs carrefours et giratoires accidentogènes et dépourvus d'aménagements pour les cyclistes.

Plusieurs endroits se révèlent particulièrement sensibles. C'est par exemple le cas de l'avenue de Béthusy (10 personnes blessées dont 3 grièvement depuis 2011), des abords de la place Saint-François (8 accidents) et de la gare (une dizaine d'accidents).

A Lausanne, notre cycliste a effectué son premier parcours de Bessières à Saint-François. Sur l'avenue Benjamin-Constant, où se sont produits plusieurs accidents, la piste cyclable disparaît un moment avant de réapparaître et de renvoyer subitement les cyclistes dans la circulation.

Le deuxième trajet relie l'avenue Jules-Gonin à la gare de Lausanne. Un tronçon essentiellement dépourvu d'infrastructure pour les cyclistes, où se sont produits 6 accidents ces dernières années.

Le troisième segment entre l'avenue Juste-Olivier et l'avenue de l'Elysée est surtout marqué par deux giratoires problématiques: six accidents avec blessés -dont deux graves- ont été signalés dans le double rond-point de l'avenue de Montchoisi, et encore 4 dans celui qui débouche sur l'avenue de l'Elysée.

Sur les quais d'Ouchy, les cyclistes bénéficient de pistes dédiées nettement séparées de la chaussée, mais qui s'interrompent inopinément à deux reprises.

Si la Suisse est en retard par rapport aux pays nordiques, par exemple, la Suisse romande l'est encore plus.

Selon Florence Germond, municipale à Lausanne en charge de la mobilité, la volonté des services publics dans les villes romandes existe bien, mais les difficultés sont ailleurs.

Dans les années 1970 et 1980, c'est comme si les cyclistes n'existaient pas.

"On hérite d'une situation: dans les années 1970 et 1980, c'est comme si les cyclistes n'existaient pas", a-t-elle expliqué vendredi au micro de la Première.

"On a redécouvert dans les années 2000 l'immense avantage du développement des itinéraires à vélo, mais on ne change pas une ville d'un coup de baguette magique", a poursuivi la municipale.

>> Les pistes cyclables sont souvent semées d'embûches :

Keystone - Laurent Gilliéron

"Des infrastructures coûteuses"

Remodeler une ville pour la rendre plus favorable aux cyclistes coûte cher et peut, selon les configurations, être plus complexe qu'il n'y paraît, a encore souligné Florence Germond.

"On peut faire des interventions simples avec du marquage, créer un espace pour une bande cyclable... Mais parfois, pour offrir vraiment une infrastructure sûre, il faut revoir toute la structure de la chaussée. Quand on pense à construire des passerelles, ou des passages sous-terrains, ce qui est essentiel dans des villes comme Lausanne, les investissements peuvent être très conséquents."

En 2017 dans toute la Suisse, les accidents impliquant des cyclistes ont fait près de 40 morts et 4200 blessés, dont plus d'un millier de blessés graves.

Ces statistiques fournies par l'OFROU sont en outre probablement inférieures à la réalité, puisqu'elles ne tiennent compte que des accidents signalés à la police.