Un virus dans la ville

Grand Format Urbanisme

Reuters - Denis Balibouse

Introduction

Chapitre 1
Les grandes villes dans l'oeil du Covid

Reuters - Eduardo Munoz

Chaque virus a son terrain de prédilection pour sévir. Celui du Covid-19 est plutôt un virus des villes (ndlr: contrairement à ce que l'on avait écrit, le paludisme n'est pas un virus, mais une infection parasitaire). Il se propage grâce à la promiscuité et la multiplication des contacts sociaux. La ville en soi n'est pas en cause. Ce n'est pas sa construction qui favorise la prolifération du virus, mais bien les comportements humains.

Peu de données existent sur la prévalence réelle du virus en ville. Le journal britannique Financial Times a compilé des données durant la première vague. New York a totalisé 23% des morts des Etats-Unis, alors qu'elle compte pour 2,5% de la population du pays. A Londres, c'est aussi 23% des morts pour une ville qui abrite 13% des habitants du Royaume-Uni. Enfin Madrid, où vivent 14% des Espagnols, a compté 32% des morts du pays.

>> Les explications de Laurent Dufour (1/2) :

Eclairage de Laurent Dufour sur l'inégalité des villes et des campagnes face au nouveau coronavirus
19h30 - Publié le 4 janvier 2021

Inégalité selon les quartiers

En Suisse, il existe des données sur les infections par canton, mais très peu d'études par commune ou par quartier. En novembre, Genève a détenu le record absolu de contaminations sur 14 jours, toutefois juste devant deux cantons beaucoup moins urbanisés: le Valais et Fribourg.

Une nouvelle étude menée à Genève montre par ailleurs que le risque de contagion est plus marqué dans les zones d'habitation les moins favorisées. "Dans les quartiers plus précaires, les clusters (foyers d'infection) vont persister beaucoup plus longtemps, tandis que dans les zones plus aisées, ils tendent à disparaître beaucoup plus rapidement après une flambée", explique le coauteur de l'étude David de Ridder, doctorant à l'Université de Genève.

Ainsi, après deux mois d'observation durant la première vague, 85% de ces foyers d'infection étaient toujours actifs dans les quartiers les plus précaires. Dans d'autres zones du centre-ville moins défavorisées, 70% d'entre eux étaient encore actifs, contre seulement 30% dans les zones les mieux loties.

Cette différence s'explique notamment par la densité plus élevée de la population dans les immeubles des quartiers les moins favorisés et la promiscuité dans les appartements.

>> En image, le sujet du 19h30 :

Une étude menée par des chercheurs suisses pointe une contamination accrue dans les quartiers les plus précaires.
19h30 - Publié le 3 janvier 2021

Effets sociaux dans les villes suisses

Au-delà des données épidémiologiques, le Covid-19 a un impact par ses effets sociaux. Les villes sont-elles plus touchées que les périphéries? Difficile à dire.

Dans le canton de Vaud, ce n'est pas le Grand Lausanne et les centres urbains qui ont subi l'augmentation la plus forte du nombre de dossiers de revenu d'insertion. Lausanne a vu son nombre augmenter de 1,2%, bien en-dessous de l'Est lausannois (+5,1%) et Bex (+4,3%). Le taux global d'aide sociale reste stable.

L'aide sociale n'est toutefois pas le seul indicateur de la précarité. Le CSP et Caritas ont lancé un programme d'aide d'urgence pour les personnes qui passent entre les mailles du filet étatique (pour des aides ponctuelles pour la nourriture, le loyer, ou des frais médicaux): 80% des aides vaudoises ont, elles, été distribuées dans le Grand Lausanne. C'est en effet en ville que se concentrent une grande partie des travailleurs précarisés de l'économie domestique, des étudiants privés de leurs petits jobs, ou encore des artistes touchés par l'arrêt de la vie culturelle.

>> Les explications de Laurent Dufour (2/2) :

Laurent Dufour sur les diverses inégalités ville - campagne face au nouveau coronavirus.
19h30 - Publié le 4 janvier 2021

Les traces urbaines du Covid

La pandémie est aussi l'occasion pour les villes de se réinventer. A Lausanne, Genève, ou dans des métropoles du monde entier, des pistes cyclables ont été développées dans l'urgence pour être en partie pérennisées. A Paris, des trottoirs sont élargis pour garantir la distance sociale. En architecture, des réflexions commencent sur les espaces privatifs favorisant le télétravail. Et des solidarités nouvelles se développent dans les quartiers.

Les grandes épidémies du passé, le choléra, la fièvre jaune, la tuberculose, ont transformé les villes. Le Covid-19 lui aussi laissera sans doute des traces.

Chapitre 2
Pandémie et pollution: un cocktail explosif

Keystone - Gaetan Bally

La pollution est un problème de santé publique, qui n'épargne pas la Suisse. Selon Valérie d'Acremont, infectiologue à Unisanté à Lausanne, l'impact de la pollution sur les maladies cardiaques et pulmonaires est bien connu et causerait environ 3000 décès par année en Suisse.

A l'échelle mondiale, la présence de particules fines dans l'air serait la cause de 8,8 millions de décès prématurés chaque année, selon une étude publiée par la Société européenne de cardiologie en mars 2020. C'est donc logiquement que les scientifiques tentent aujourd'hui de tisser un lien entre mauvaise qualité de l'air et virulence du Covid-19.

11% de décès supplémentaires

En Suisse, faute d'étude ciblée, il est difficile de définir à quel point la pollution a pu jouer un rôle dans les plus de 7000 décès du Covid comptabilisés à ce jour dans notre pays

Aux Etats-Unis en revanche, des chercheurs de l'Université d'Harvard ont récemment établi et quantifié cette corrélation, en analysant le niveau de pollution sur la quasi-totalité du territoire américain.

Leur conclusion, publiée en novembre 2020 dans le journal "Science Advances", suggère que l'exposition à long terme aux particules fines, a augmenté le nombre de décès du Covid-19 de 11%.

A gauche: moyenne de particules fines (PM 2,5 = 2,5 micromètres) dans les comtés américains entre 2000 et 2016. A droite: nombre de décès du COVID-19 par million d’habitants dans les comtés américains, jusqu'au 18 juin 2020 inclus. [DR - Ecole de santé publique, Harvard]
A gauche: moyenne de particules fines (PM 2,5 = 2,5 micromètres) dans les comtés américains entre 2000 et 2016. A droite: nombre de décès du COVID-19 par million d’habitants dans les comtés américains, jusqu'au 18 juin 2020 inclus. [DR - Ecole de santé publique, Harvard]

Une autre étude publiée en octobre 2020 dans la revue "Cardiovascular Research", évoque quant à elle que 15% des décès du Covid seraient liés à la pollution.

Si les chercheurs s'accordent à dire que d'autres études doivent encore être menées pour consolider ces résultats, ces derniers viennent toutefois renforcer l’hypothèse selon laquelle le virus circule mieux, et frappe plus fort dans les zones urbaines.

"En ville, il y a une incidence de Covid plus importante", confirme Valérie d'Acremont. "Les facteurs de densité de population et de mobilité jouent un rôle très important. Mais dans les périodes où il y a une forte pollution, cela peut rendre la maladie plus sévère pour les personnes qui ont déjà des poumons fragiles à cause de la pollution."

Facteurs météorologiques

Un facteur saisonnier pourrait en effet expliquer la flambée des hospitalisations et des décès liés au Covid-19 lors des deux premières vagues du coronavirus: chaque année, entre octobre et mars, le stratus recouvre durablement une grande partie du Plateau suisse et de la plaine du Pô. Ce phénomène d'inversion thermique a pour effet d'emprisonner les particules fines (et d'augmenter leur quantité) sous la chape de brouillard.

Dans une étude publiée en novembre 2020 dans la revue "Earth Systems and Environment", des chercheurs de l'Université de Genève et de l'EPFZ constatent, au regard des pics de pollution mesurés à Londres, à Paris et au Tessin peu avant l'arrivée de la première vague, que ce phénomène météorologique a très probablement renforcé la virulence du Covid-19.

"Les résultats qu'on a pu trouver suggèrent que durant cette situation d'inversion thermique, à quelques jours près, nous avons une augmentation nette dans les hospitalisations et aussi, malheureusement, une augmentation nette de la mortalité", précise Markus Stoffel, coauteur de l'étude.

Londres et Paris, mais aussi Milan et Genève, autant de villes régulièrement embrumées, devenues tristement célèbres pour avoir été des cibles privilégiées du coronavirus.

>> En images, le sujet du 19h30 :

Série "Un virus sur la ville" : dans ce premier épisode, le rôle de la pollution dans les centres urbains
19h30 - Publié le 4 janvier 2021

Chapitre 3
L'appel du grand air

RTS

Depuis la pandémie, le vrai luxe n'est plus le temps ou l'argent, mais l'espace. Pour fuir les surfaces exiguës des centres villes, les familles se précipitent vers le grand air des campagnes ou des montagnes.

L'air des montagnes, Anouk et Zyo, le respirent depuis le début de la pandémie de coronavirus. Ils passent tous les week-ends et les vacances à Vercorin (VS), dans le chalet de leur grand-mère, où la petite famille a formé son second domicile.

"On vit dans un appartement de 3 pièces au centre-ville, donc on est un peu à l'étroit. Ici, cela nous permet d'avoir de l'espace, d'être dehors. On aime beaucoup jardiner avec les enfants, on aime jouer", raconte Marylou de Weck.

Bonne année pour les agences immobilières

La famille de Weck n'est pas la seule à ressentir l'appel de la montagne. La tendance est palpable dans les agences immobilières.

A Saint-Cergue, dans le Jura vaudois, l'agence immobilière Stünkel a terminé l'année sur les chapeaux de roue. Selon la courtière Elsa Grandclément, c'était l'un des meilleurs exercices. "Aujourd'hui, on n'a pratiquement plus d'objets en vitrine, donc on vend tout. Si on met un bien sur le marché et qu'il est au bon prix, cela ne reste pas très longtemps. La demande est très forte."

Même des biens dépassant le million, pourtant difficiles à vendre dans la région, ont trouvé acquéreur ces dernières semaines.

Le télétravail accélère la tendance

Les derniers chiffres de l'indice Swiss Real Estate Offer, publiés cette semaine par ImmoScout24 et le cabinet de conseil immobilier CIFI SA confirme une hausse des prix de l'immobilier en 2020.

L'essor du télétravail, qui s'annonce durable, accélère la tendance à vouloir s'éloigner des centre urbains. Selon une étude commandée par le consultant immobilier Wüest Partner, sa part pourrait passer de 12 à 25%, voire 30% à l'avenir.

Mais l'air pur reste un rêve qui n'est pas à la portée de toutes les bourses. Seuls ceux qui ont les moyens pourront s'offrir le luxe, en 2021, de fuir la ville pour de plus grands espaces.

>> En images, le sujet du 19h30 :

Avec le Covid, la campagne et la montagne attirent davantage les citadins
19h30 - Publié le 5 janvier 2021

Chapitre 4
Une architecture adaptée au confinement

RTS

Depuis le confinement, les locataires cherchent plus loin des centres urbains, mais aussi et surtout plus grand. Le domicile n'est plus seulement un lieu pour manger et dormir. On y réalise de plus en plus d'activités. Et cette année plus que jamais, on est resté chez soi.

Le bureau de conseil immobilier Wüest Partner, qui agrège les données des principaux sites d'annonces immobilières du pays, a observé une nette hausse des recherches dans les communes rurales ou les petites villes par rapport aux grandes agglomérations. Mais surtout, les logements convoités sont plus grands. Les recherches pour les studios ou 2 pièces ont diminué, tandis que les 4 à 6 pièces ont augmenté.

Comme beaucoup de familles, les Morier ont fait le choix de déménager. D'apparence normal, leur nouveau logement situé dans la Tour Opale à Chêne-Bourg (GE) est quasi-totalement modulable. Une fonction appréciable en temps de Covid.

Une pièce de plus

"Dans nos critères, nous avons imaginé que nous allions passer nettement plus de temps ici. Il nous fallait donc un espace aménageable, qui soit modulable", affirme Jean-Pascal Morier, un nouveau locataire.

Cet espace est une pièce prévue à l'origine comme une chambre d'ami. Mais elle s'est finalement transformée en salle de sport et de travail. Et l'extérieur a été complètement aménagé. "C'est une partie de vie au même titre que l'appartement. En saison froide on peut y sortir aussi, en l'occurrence pour manger une fondue, même si on est un peu habillé pour la manger", ajoute Dominique Morier, son épouse.

En été, cet espace s'ouvre et se transforme en une énorme terrasse. D'un seul mouvement, environ 30% de surface est ajoutée à l'appartement.

Espaces modulables

Huit étages plus haut, le chef du projet de la tour, Alexandre Boireau, explique que la modularité est partout: "Cette grande porte coulissante donne accès a une chambre, qui elle, peut permettre différents types d'aménagement. On peut aussi s'en servir comme étant une extension de la pièce de jour, en y intégrant une bibliothèque par exemple ou une zone bureau."

Adapter chaque pièce à ses besoins est un critère qui a pris plus d'importance depuis la pandémie. Car nos idéaux architecturaux ont changé. Finis les grands lofts où sont mélangés salon, salle à manger. Mais reviendrons-nous à la mode des appartements de nos grand-mères?

"Il y a des alternatives à ce retour au cloisonnement et au plan fermé. Et c'est la raison pour laquelle beaucoup d'architectes aujourd'hui travaillent sur des espaces beaucoup plus flexibles qui permettent aux habitants de pouvoir moduler leur logement au fur et à mesure de l'évolution de leur vie et des situations", répond Valentin Bourdon, architecte à l'EPFL.

La contrainte du vivre chez soi imposée par le Covid offre un nouveau terrain de jeu pour les architectes. Si la situation de 2020 était peut-être temporaire, le télétravail, lui, risque bien de s'imposer durablement.

>> En images, le sujet du 19h30 :

Suite de la série "Un virus dans la ville": les locataires cherchent plus grand et plus loin des centres urbains.
19h30 - Publié le 6 janvier 2021

Chapitre 5
Les nomades digitaux

RTS

Ils veulent fuir le ciel gris, les embouteillages aux heures de pointe et les journées enfermées dans un bureau. Ou pire, un 2 pièces en ville durant le confinement. Plutôt que la campagne, certains préfèrent prendre le large. Leur métier permet à ces travailleurs d'exercer n'importe où dans le monde, pour autant qu'ils y ait une bonne connexion internet.

Yanick Steinbeck, un ingénieur suisse, a troqué le costume-cravate contre des tongs et s'est installé aux Canaries: "Ici, ils ont très bien géré la crise sanitaire, je me sens en sécurité. On est en Europe, le climat est agréable, je peux aller surfer, faire du sport, sortir rencontrer des gens, tout en restant productif."

Pour 900 francs par mois, il partage un grand appartement avec huit autres personnes. Ce sont tous des télétravailleurs venus du monde entier, qui se déplacent au gré de leurs envies.

Touristes à forte valeur ajoutée

L'endroit a été conçu pour attirer ces nouveaux nomades digitaux en quête de convivialité.

Avec 3000 télétravailleurs internationaux vivant actuellement aux Canaries, l'archipel a flairé un potentiel. La pandémie ayant vidé les hôtels, les autorité ont multiplié les initiatives pour faire venir ces travailleurs étrangers: une excellente connexion internet, des taux d'imposition parmi les plus faibles d'Europe, et un réseau de coworking qui permet à ces nomades de se sentir entourés.

"Ce sont des touristes à forte valeur ajoutée, leur séjour est beaucoup plus long, et ils dépensent leur argent dans les commerces locaux, ce qui est bon pour notre économie, bien plus que s'ils ne sortaient pas de leur hôtel", souligne Nacho Rodriguez, directeur de Repeople, la principale entreprise de coworking des Canaries.

D'autant que ces touristes à long terme s'intégrent aussi à la vie locale, en s'inscrivant dans des clubs de sport, par exemple. Mais ces nomades digitaux ne sont pas des expats et s'en iront un jour. "On ne sait pas où on va! C’est l'avantage d'être un nomade digital, on ne sais jamais où on va voyager, c'est l'aventure!", conclut Catarina, une travailleuse nomade portugaise.

>> En images, le sujet du 19h30 :

Dernier épisode de la série "Un virus dans la ville": le télétravail les pieds dans le sable ou l'attrait des Iles Canaries
19h30 - Publié le 7 janvier 2021