Le dilemme des Norvégiens pour penser l'après-pétrole

Grand Format Reportage

AFP/NurPhoto - Noe Falk Nielsen

Introduction

La Banque centrale propose au gouvernement norvégien de ne plus miser sur le pétrole ou le gaz pour faire fructifier son fonds souverain, des investissements jugés trop risqués d'un point de vue financier. Un comble pour ce pays scandinave qui a fait fortune grâce aux hydrocarbures. Le fonds souverain norvégien est le plus riche du monde avec près de mille milliards de francs.

Chapitre 1
Oslo, une ville très calme

Ce qui frappe lorsqu'on arrive à Oslo, c’est le calme un peu inhabituel pour une ville de 600'000 habitants, peut-être dû à la neige ou au silence des Tesla…

Plus de la moitié des voitures neuves vendues en Norvège l'année dernière étaient des voitures électriques ou des hybrides.

Des Norvégiens plus écolos que les autres? "Pas plus … Non, non… je ne dirais pas ça…", estime Steinar Hoïback. "Mais il y a un domaine dans lequel ils essaient d'être respectueux de l’environnement, ce sont les voitures parce qu'on a beaucoup de voitures électriques en Norvège. C'est dû aux subventions du gouvernement."

Bonnet rouge sur la tête, démarche mal assurée sur les trottoirs glissants d’Oslo, Steinar Hoïbackest à la tête de l’association "Grandparents Climate Change" ("Des grands-parents en campagne pour le climat") qui demande une réduction de la dépendance du pays aux énergies fossiles au nom des générations futures.

Sur les bords du port d'Oslo. [RTS - Blandine Levite]
[RTS - Blandine Levite]

Un défi pour la Norvège

Ce combat n'est pas facile à mener en Norvège. "Il y a un dilemme parce que la Norvège est devenue très riche grâce au pétrole et au gaz… Et nous devons essayer d’expliquer que nous devons changer en faveur d'une économie plus verte", explique Steinar Hoïback.

"Ce n'est pas si difficile de trouver des exemples. Vous pouvez regarder du côté de la Suède qui est un pays relativement bien organisé. Les salaires sont relativement bons, le système social aussi… Et ils n'ont pas de pétrole ni de gaz."

City bikes are covered in snow in central Oslo, after this winter's first snowfall, on November 14, 2017. Heiko JUNGE / NTB Scanpix / AFP [AFP/NTB Scanpix - Heiko Junge]
[AFP/NTB Scanpix - Heiko Junge]

Vers une conversion aux énergies vertes

Steinar Hoïback et son association plaident pour une conversion aux énergies vertes, le vent, le solaire qui pourraient créer des milliers d’emplois à la place du pétrole.

Stopper la production de pétrole, n’est-ce pas le risque de voir la Norvège s'appauvrir? "Je ne crois pas (...). On ne demande pas plus d’argent, on trouve qu'on a suffisamment d’argent, comparé à d’autres pays et notamment ceux qui souffrent du changement climatique", estime le président de "Grandsparents Climate Change".

"Le pétrole et le gaz, ce n'est pas la Norvège. Ce n’est pas spécifiquement norvégien. C'est mondial alors on doit essayer de lancer une vague internationale pour faire rentrer les choses dans l’ordre."

Avec deux autres ONG, dont Greenpeace, l’association a tenté de faire interdire les nouvelles licences de prospection en Arctique, voulues par le gouvernement, un procès perdu pour le moment.

Chapitre 2
Un débat sur le pétrole relancé

RTS - Blandine Levite

Tout comme les actions de Greenpeace en justice, la décision de la Banque centrale de ne plus miser ses produits financiers sur le pétrole a contribué à relancer le débat sur le pétrole dans la société norvégienne.

Dag Harald Claes, professeur de sciences politiques à l'université d'Oslo. [RTS - Blandine Levite]
Dag Harald Claes, professeur de sciences politiques à l'université d'Oslo. [RTS - Blandine Levite]

Direction l’université d'Oslo. Rendez-vous avec le professeur Dag Harald Claes, qui travaille sur les politiques énergétiques internationales.

Il n’a pas été spécialement surpris par la décision de la Banque centrale: "Je pense que c'est une bonne décision. Ils auraient dû la prendre il y a des dizaines d’années. Pour moi, ça a peu de chose à voir avec le changement climatique ou quelque chose comme ça, c'est seulement une question de diversification", détaille le professeur.

"Mais ces temps, vu les débats, et les résultats macroéconomiques qui pèsent sur le pétrole et le gaz dans l'économie norvégienne, je pense que c’était la bonne décision."

Seulement 6% des investissements dans les hydrocarbures

Seuls 6% des investissements du fonds souverain norvégien concernent les hydrocarbures, ce n'est pas grand-chose. Par contre, le problème se mesure surtout sur le plan de l’image, explique Dag Harald Claes: "Dans le débat public bien sûr, c’est vu comme un signal, que les investisseurs importants se détournent du pétrole et du gaz".

L'arrêt du parc scientifique du métro d'Oslo. [RTS - Blandine Levite]
L'arrêt du parc scientifique du métro d'Oslo. [RTS - Blandine Levite]

Un débat que le professeur de sciences politiques estime "très intéressant, puisque les investisseurs seront les premiers à relever ce qu'il se passera commercialement dans 10 ans, 15 ans. Et s'ils pensent que le pétrole et le gaz ne rapportent plus, ils vont commencer à retirer leurs investissements."

Et pourtant… comment se détourner de cette manne financière, le pétrole qui représente un tiers des exportations du pays, et 12% du PIB?

Le parti des Verts norvégiens n’a fait que 3% aux dernières élections en novembre dernier. Les deux grands partis sont sur la même ligne, le gouvernement a ouvert de nouvelles concessions en mer de Barents, au nord du pays.

Même si dans l’opinion publique l'accord de Paris sur le climat et le réchauffement climatique font réfléchir les Norvégiens.

Chapitre 3
Bienvenue à Salt

SALT - Baard Henriksen
Le café du centre culture Salt à Oslo. [RTS - Blandine Levite]
Le café du centre culture Salt à Oslo. [RTS - Blandine Levite]

Salt, trois bâtiments en forme de pyramide sur les bords du fjord. Ici on vient boire un café, voir une exposition et même faire un sauna.

"C’était chaud et bien…! On a même fait pris un bain dans le fjord! C’est super!", exulte Jørgen, 35 ans, entouré d’un groupe d’amis. Il estime que la Norvège pourrait bien se passer de pétrole.

"Si les partis politiques se mettaient ensemble et planifiaient un futur sans pétrole, je suis sûr que la Norvège irait très bien. Il y a beaucoup de gens très bien formés dans le secteur pétrolier, ils pourraient très bien utiliser leurs compétences pour faire autre chose."

Un sauna comme salle d'exposition

Un peu plus loin Karina, la jeune directrice de cette institution culturelle, travaille à une nouvelle exposition dans le sauna.

Un débat dans le sauna géant du centre culturel Salt à Oslo. [Salt - Endre Lohne]
[Salt - Endre Lohne]

"Nous sommes à Salt (...), dans l’un des plus grands saunas du monde. Là nous voyons, en face l'opéra d'Oslo et on voit des grandes fenêtres…", décrit Karina. "Elles seront recouvertes d'une oeuvre d’art, donc on va recouvrir chaque fenêtre avec des images de plate-formes pétrolières avec des toutes petites images des gouttes de pétrole, dans les pipelines."

L'exposition Dark Ecology sera visible du 8 février au 13 mai.

Un débat qui continuera d'agiter le pays

La Norvège accueillait par ailleurs en janvier un festival sur le climat dans tout le pays, emblématique du débat qui agite la société, même si la fin du pétrole est loin d’être pour demain.

Selon un sondage publié en août dernier, 70% des Norvégiens estiment important de préserver l’industrie pétro-gazière, contre 16% qui pensent le contraire.

Ecouter le reportage de Tout un monde

La Norvège a fait fortune avec les hydrocarbures et son fonds souverain est le plus riche du monde. [EPA/Keystone - Helge Hansen]EPA/Keystone - Helge Hansen
Tout un monde - Publié le 31 janvier 2018