Romands de l'Hexagone

Grand Format

Renaud Malik

Introduction

Francis Weill, directeur de l'Hôpital suisse de Paris

Francis Weill, juriste genevois de 64 ans, dirige l'Hôpital suisse de Paris à Issy-les-Moulineaux, seul hôpital suisse situé en dehors des frontières de la Confédération. Construit en 1970 grâce aux dons de groupes industriels comme Roche, Sandoz ou Nestlé, le lieu était à la base réservé aux ressortissants suisses.

L'établissement reste aujourd'hui une oeuvre de bienfaisance, largement financé par les dons de la diaspora Mais qu'est-ce que cela implique, pour un hôpital suisse, de dépendre du système de santé français? Eléments de réponse avec Francis Weill.

Dans un hôpital en France, si vous voulez acheter un scanner, il peut se passer deux ans avant le dépôt du dossier de demande et le moment de son installation.

Francis Weill

"En Suisse, vous voulez un nouveau scanner ou un nouvel IRM, vous l'achetez, vous l'installez, et vous pratiquez les prix que vous voulez. C'est là que le système français devient assez original: pour un scanner, il faut faire une demande d'autorisation à l'ARS, l'Agence régionale de santé, qui va étudier le dossier. C'est très lent. Entre le dépôt du dossier jusqu'au moment de l'installation, il peut se passer deux ans."

Francis Weill dirige l'Hôpital suisse de Paris. [RTS - Renaud Malik]RTS - Renaud Malik
Le Journal du matin - Publié le 20 mars 2017

Observateur attentif de la crise hospitalière en France, Francis Weill souligne un problème de management du système hospitalier public. "Il y a trop de monde non occupé, ou ne travaillant pas, ou en congé maladie... On pourrait fermer des services, faire de l'ambulatoire, de l'hôpital de jour. Mais de nombreux médecins s'opposent aux fermetures, on laisse donc ouverts des services non rentables et pas assez remplis."

Anne Rothenbühler, enseignante d'histoire-géographie

RTS - Renaud Malik

Jurassienne de 36 ans, Anne Rothenbühler fait partie des rares Suisse travaillant pour l'éducation nationale en France. Pour financer sa thèse sur l'histoire de l'émigration suisse en France, elle s'est retrouvée à faire ses premières armes en banlieue parisienne, dans une Zone d'éducation prioritaire (ZEP). Une expérience dure mais précieuse, raconte-t-elle.

Le respect, ça se gagne, centimètre par centimètre. Ca a vraiment du sens d'être prof dans ces quartiers-là.

Anne Rothenbühler

"C'est difficile physiquement, vraiment. Quand vous sortez de là, vous êtes épuisée. Parce que le respect, ça se gagne, centimètre par centimètre. Mais vous vivez des situations incroyables, des rencontres, des regards qui s'illuminent. Ca a vraiment un sens d'être prof dans ces quartiers-là."

Anne Rothenbühler. [RTS - Renaud Malik]RTS - Renaud Malik
Le Journal du matin - Publié le 21 mars 2017

L'enseignante évoque également la violence, exacerbée ou larvée, ainsi que le problème des débouchés dans un système éducatif qui peine à envisager des alternatives au baccalauréat et à l'université.

Expliquer qu'en Suisse, il y a des gens qui peinent à joindre les deux bouts, est quelque chose d'absolument inaudible en France.

Anne Rothenbühler

"Quand on évoque le système des apprentissages en Suisse, l'excuse qui revient le plus souvent, c'est 'Oui, mais c'est un petit pays alors ça peut fonctionner. Et déjà, en Suisse, vous êtes riche.' Expliquer qu'en Suisse, il y a des gens qui ont des ressources faibles, pour qui c'est compliqué de joindre les deux bouts, est quelque chose d'absolument inaudible en France."

Roger Sauvain, ex-agent de liaison à Interpol

RTS - Renaud Malik

Ancien officier de la police fédérale, le Neuchâtelois Roger Sauvain a travaillé pendant 15 ans comme agent de liaison pour Interpol, l'organisation internationale de police, à Lyon. Pour lui, si les zones de non-droit ont toujours existé, elles n'ont pas simplement stagné, mais dégénéré. Il souligne également le fossé qui existe entre le quotidien des policiers suisses et français.

"Les policiers français envient un peu nos collègues suisses, en disant: 'Ils ne vont pas au casse-pipe, eux. Quand ils partent le matin, ils ont une chance de rentrer le soir, alors que nous, quand on part dans les banlieues, on ne sait pas si on va en revenir."

Roger Sauvain. [RTS - Renaud Malik]RTS - Renaud Malik
Le Journal du matin - Publié le 22 mars 2017

Je ne vais plus dans les supermarchés le samedi ou lors de grosses périodes d'affluence.

Roger Sauvain

Son quotidien a bien changé, depuis les attentats du 13 novembre 2015. "On a des réflexes différents, effectivement. Par exemple, je ne vais plus dans les supermarchés le samedi ou quand il y a des grosses périodes d'affluence."

Et de relativiser: "Celui qui a décidé de s'expatrier en France doit aussi prendre en compte qu'il quitte un pays tranquille, la Suisse, pour venir dans un pays où les paramètres ne sont pas les mêmes au niveau sécuritaire. Donc, on s'adapte, et je pense qu'on vit bien avec ça."

Paul Ackermann, rédacteur en chef du Huffington Post France

RTS - Renaud Malik

Le Jurassien Paul Ackermann, 38 ans, dirige la rédaction française du Huffington Post. Pour ce site d'information et d'opinions, créé en 2005 aux Etats-Unis, la greffe a particulièrement bien pris en France.

Pourquoi un tel succès? "Il y a en France une sorte d'amour ou de dépendance au débat, l'amour de donner son avis et de le défendre face à quelqu'un d'autre", décrit Paul Ackermann.

Paul Ackermann. [RTS - Renaud Malik]RTS - Renaud Malik
Le Journal du matin - Publié le 23 mars 2017

Le rédacteur en chef, qui a assisté en France à l'influence grandissante de médias comme BFMTV ou des réseaux sociaux, note un "vrai bouleversement de la vie publique", un tourbillon médiatique qui fait aussi des victimes.

Tout s'accélère tellement que c'est impossible de tenir deux quinquennats aujourd'hui, quelle que soit le bord politique ou la situation économique. François Hollande, par exemple, a été victime de ça.

Paul Ackermann

"Tout va beaucoup plus vite aujourd'hui. Je pense que François Hollande, par exemple, a été victime de ça. Tout s'accélère tellement que c'est impossible de tenir deux quinquennat aujourd'hui, quelle que soit le bord politique ou la situation économique."

C'est un effort quotidien d'échapper au piège du parisianocentrisme, et on n'y échappe jamais complètement. Parce qu'on est le produit du lieu où l'on habite.

Paul Ackermann

Le media-bashing, critique récurrente d'une élite médiatique qui serait déconnectée du reste de la population, est pour lui en partie justifié, notamment sur la question du parisianocentrisme.

"C'est un vrai travers des médias français. Tout se passe à Paris intra muros. La diffusion de l'information en France est gérée géographiquement dans Paris. Et Paris est une ville très, très fermée sur elle-même. C'est un effort quotidien d'échapper à ce piège-là, et on n'y échappe jamais complètement. Parce qu'on est le produit du lieu où l'on habite."

Pascale Kramer, écrivain, Prix suisse de la littérature 2017

RTS - Renaud Malik

La Genevoise Pascale Kramer, Prix suisse de littérature 2017, est installée à Paris depuis 30 ans. Dans son dernier ouvrage, "Chronique d'un lieu en partage", l'auteure décrit son expérience d'une économie sociale et solidaire, fruit d'un séjour dans une petite communauté du sud-ouest.

"Convertie" à ce type d'économie de partage - épiceries solidaires, garages solidaires, lieux d'hébergement d'urgence, ateliers d'objets de seconde main, etc. -, Pascale Kramer avoue ne s'être jamais complètement reconnue dans la vision très étatiste, et interventionniste, de la France.

Portrait de l'autrice Pascale Kramer. [RTS - Renaud Malik]RTS - Renaud Malik
Le Journal du matin - Publié le 24 mars 2017

L'idée - assez suisse - qu'il faut faire sa part, commence à se développer en France.

Pascale Kramer

"'J'ai découvert mon côté protestant - alors que je suis parfaitement athée - en venant en France. Cette idée qu'il faut faire sa part, une idée assez suisse, mais qui commence à se développer en France." Le mouvement, encore embryonnaire, se heurte néanmoins à un certain désespoir, au cynisme ou au vote FN, constate l'auteure.

Je pense qu'il faut avoir fait l'expérience de faire quelque chose d'utile ou de bien, et de voir le bonheur que ça donne, pour continuer.

Pascale Kramer

"J'ai vécu dans le nord de la France, où j'ai connu de nombreuses personnes qui votaient Le Pen. La précarité est hallucinante là-bas, les gens se sentent abandonnés. Ceux-là, je ne sais pas si on arrivera à les convaincre. Je pense qu'il faut avoir fait l'expérience de faire quelque chose d'utile ou de bien, et de voir le bonheur que ça donne, pour continuer."

Crédits

Interviews: Renaud Malik

Réalisation web: Katharina Kubicek