Calamars à la chinoise

Grand Format

Greenpeace - Abbie Trayler-Smith

Introduction

Dans les étals des supermarchés, le calamar consommé en Suisse a 7 chances sur 10 d’être passé dans un filet chinois. Devenue le géant de la mer, la Chine développe son économie et son secteur maritime: achats d’entreprises en Europe, et surtout un impressionnant commerce de poissons et mollusques. Enquête autour de soupçons de pêche illégale et non réglementée, de manquements à la traçabilité.

Chapitre 1
Des géants de 8 mètres

Le calamar, c’est près de 300 espèces, une batterie d’appellations différentes: encornet, illex, loligo, et un corps en fuseau muni de 10 tentacules.

Ce céphalopode peuple quasiment tous les océans depuis 200 millions d'années. Il peut mesurer de quelques centimètres à plus de 8 mètres de long, tentacules compris.

Aujourd'hui, une trentaine d'espèces sont pêchées et commercialisées. Au total, près de 2 millions de tonnes de calamars sont prélevées chaque année dans les mers du globe. Ces mollusques, qui ont nourri l'imaginaire de quelques auteurs de science-fiction, sont aussi le menu préféré des cachalots et des thons. Les humains en consomment de plus en plus: en rondelles, à la romaine, entier, grillé, découpé ou en salade...

Si l'Espagne a toujours été l'un des pays qui consomme le plus de poissons par habitant au monde, avec ses 38 kilos annuels, juste derrière le Japon, chaque Suissesse et Suisse en consomme annuellement 9,1 kilos, avec une augmentation de 60% en 25 ans, selon une étude de la Haute école des sciences agronomiques, forestières et alimentaires de Zollikofen.

De quoi convaincre l'émission A bon entendeur de partir sur les traces du calamar, de la mer à nos assiettes.

>> Voir le reportage complet d'A bon entendeur :

La pêche illégale et la surpêche menacent les océans
A bon entendeur - Publié le 1 juin 2021

Chapitre 2
Du supermarché à l’Espagne

RTS

Un tour d’horizon dans les étals de supermarchés montre que, sur les emballages, le consommateur peut découvrir les zones de pêche et le lieu d’élaboration des produits, mais aucune trace du pêcheur. La RTS a cherché à savoir d'où provenaient les calamars vendus sous forme congelée par les grands distributeurs suisses: principalement de Galice, en Espagne.

Les services de presse de Migros et de Coop confirment qu’une entreprise espagnole, Alfrio à Vigo, est bien l’un des principaux fournisseurs pour le marché suisse. Direction donc l’Espagne pour en savoir plus.

Le plus grand port de pêche d'Europe

Nord-est de l'Espagne, à Vigo, les apparences peuvent être trompeuses: c'est bien le plus grand port de pêche d'Europe. Dès six heures du matin, la voix du crieur résonne dans le marché aux poissons d’O Berbès, qui emploie près de 6000 personnes. Tout le poisson vendu ici est arrivé dans la nuit et a été pêché les jours précédents, essentiellement au large des côtes d'Irlande.

Peu de calamars lors de la visite d’A Bon Entendeur. Ce n'est pas vraiment la saison de capture de ce céphalopode qui se pêche de juillet à septembre dans cette zone du Nord-Est Atlantique. Cela n'empêche pas le port de Vigo de regorger de calamars. Pour les trouver, il faut se déplacer de quelques centaines de mètres, dans le port à conteneurs. L'essentiel des protéines marines recensées, 352’370 tonnes en 2020, est débarqué sur les quais commerciaux. Le rapport annuel de l'autorité portuaire de Vigo relève que 83,6% du poisson congelé provient de conteneurs.

Dans le port de Vigo. [RTS]
Dans le port de Vigo. [RTS]

La majeure partie du poisson ne passe plus par le circuit traditionnel : des palangres et des chaluts dans les cales des navires de pêche et ensuite sur les quais. Aujourd’hui, poissons et mollusques arrivent au port sur des navires marchands et des cargos, ou à l’aéroport, par avion, congelé en blocs de 10 kilos. Le calamar, une fois débarqué, passe dans des usines. L’industrie de transformation découpe l'énorme manteau du calmar et le transforme en anneaux ou en rabats. L'illex argentin finit généralement en calamars congelés à la romaine. C'est aussi celui qui est le plus souvent expédié dans les supermarchés helvétiques.

La réalité, c’est qu'il y a une telle demande de calamars qu’on en importe d'autres pays. (...) Ensuite, c’est étiqueté comme si c’était de Vigo, même si ça ne l’est pas.

Raúl Cerviño, ingénieur environnemental et porte-parole d'Ecoloxistas en Acción

Pendant ce temps, les navires de pêche sillonnent le globe. Bruno Cabaleiro, Directeur commercial d’InterAtlantic, localise les principaux bassins: "L'Argentine, historiquement, a été une zone de pêche très importante. La Chine est aussi très importante avec une sous-espèce de calamar. Il y a du calamar en Inde, au Maroc, en Afrique du Sud. C'est un marché très mondialisé".

Cette pêche espagnole ne va pas suffire. "La réalité, c’est qu'il y a une telle demande de calamars qu’on en importe d'autres pays, soit pêchés par d'autres pays, soit pêchés par des bateaux galiciens et on les emballe ici", explique Raúl Cerviño, ingénieur environnemental et porte-parole d'Ecoloxistas en Acción. "Ensuite, c’est étiqueté comme si c’était de Vigo, même si ça ne l’est pas".

Chapitre 3
La pêche chinoise nourrit le monde

Sea Sheperd

Ce goût croissant pour le poisson est impressionnant pour la Chine. La FAO chiffre à 39,3 kilos la consommation par personne des 1,45 milliard d'habitants du géant asiatique et estime que le pays mangera 36% des poissons pêchés en 2028. C'est une demande qui a modifié la production et le commerce mondial du poisson.

La Chine est le premier producteur mondial de poisson, qu'il soit issu de l'aquaculture ou pêché en mer. En 2018, elle a pêché 12,7 millions de tonnes dans des eaux autres que les siennes, après avoir triplé les prises en quatre décennies. La quantité de calamars capturés par les navires de pêche lointaine chinois a été de 400’000 à 500’000 tonnes ces dernières années. Les données d'exportation des produits de la mer relevées par l'Administration générale des douanes de Chine chiffrent, en 2019, à environ 520’000 tonnes de céphalopodes exportés, calamars compris.

Près de 17'000 navires chinois

La flotte de pêche lointaine chinoise déploie jusqu'à 16’966 navires en haute mer, selon les estimations publiées dans un rapport de l'Overseas Institute Development en juin dernier. Tous ces vaisseaux ne sont pas reconnus officiellement. Le gouvernement chinois a approuvé une flotte de 2700 navires. Navires qui sont enregistrés auprès des organisations régionales de gestion de la pêche. À titre de comparaison, la flotte de pêche espagnole, bien que la plus importante de l'UE, ne compte que 8007 bateaux, d’après les derniers registres du ministère de l'Agriculture.

Selon plusieurs ONG, comme Oceana, la flotte chinoise pêche sans adhérer aux contrôles opérationnels et aux directives scientifiques auxquels les navires battant pavillon européen sont tenus de se conformer. Pourtant, la Chine est membre de 8 organisations régionales de gestion de la pêche. "Elle remplit pleinement les obligations correspondantes en matière de conservation et de gestion des ressources. Elle remplit par ailleurs les obligations de diligence pour certaines pêches en haute mer qui ne sont pas gérées par des organisations régionales", déclare de son côté l’ambassade de Chine à Berne.

Un bateau de pêche au calmar battant pavillon chinois remonte ses filets, dans le nord de l'océan Indien. [Greenpeace - Abbie Trayler-Smith]
Un bateau de pêche au calmar battant pavillon chinois remonte ses filets, dans le nord de l'océan Indien. [Greenpeace - Abbie Trayler-Smith]

En Espagne, "nous pêchons avec des observateurs scientifiques indépendants à bord qui font leur rapport aux autorités des pays côtiers et de l'UE, nous nous adaptons aux tailles minimales et nous avons toujours le GPS activé", explique Javier Touza, président de la coopérative des armateurs de Vigo.

Rien que dans les eaux de l'Atlantique Sud-Ouest, au-delà des 200 milles sous juridiction argentine, plus de 400 navires battant pavillon ou capital asiatique - comme Javier Touza préfère les appeler - pêchent sans aucun type de contrôle, accuse l'armateur. Les risques de surpêche et de prises illégales sont grands. "Même si l'État chinois a essayé d'atténuer ce problème, il est très difficile de contrôler une flotte aussi importante", relève Vanya Vulperhost, directrice de campagne à Oceana.

Des moratoires volontaires

La Chine voit effectivement cela d’un autre œil. En 2020, pour renforcer la conservation scientifique des ressources de calamars en haute mer et pour protéger les ressources de calamars jeunes, les groupes de reproducteurs et leurs zones de croissance et de reproduction, le pays a appliqué pour la première fois des moratoires volontaires sur la pêche dans certaines zones maritimes le long des côtes de l’Amérique du Sud.

Pendant le moratoire de trois mois, tous les navires de pêche en haute mer chinois en activité doivent évacuer la zone. "À l'avenir, la Chine continuera de mettre en œuvre les moratoires sur la pêche, de renforcer les recherches, le suivi, l'évaluation et l'analyse des ressources, et d'ajuster les mesures en temps opportun en fonction de l'état des ressources", explique l’ambassade.

Chapitre 4
La pêche au calamar et ses conséquences pour le thon

Le Canadien Duncan Copeland est directeur de Trygg Matt Tracking, une ONG norvégienne qui aide les pays en développement à monitorer les activités de pêche. Pour lui, c’est une évidence que les plus grandes nations soient généralement liées aux plus gros problèmes de surpêche.

Si vous éliminez la génération suivante et que vous la jetez par-dessus bord, il n'y aura plus de poissons adultes à attraper la saison suivante.

Duncan Copeland, directeur de Trygg Matt Tracking

Les prises accessoires, ces captures non rentables, sont un facteur de destruction de la faune marine. Il s'agit très souvent de prises d’espèces non ciblées, comme des mammifères marins, des tortues ou des oiseaux de mer. Ces prises incluent aussi des juvéniles de l'espèce cible.

"Ainsi, si vous éliminez la génération suivante et que vous la jetez par-dessus bord, il n'y aura plus de poissons adultes à attraper la saison suivante", précise Duncan Copeland. Pour des pays comme la Thaïlande, l’Equateur ou Tuvalu, la pêche au thon est une partie très importante de leur économie. "Le calamar est un élément-clé de la chaîne alimentaire du thon. Un impact important sur la pêche au calamar peut donc avoir des répercussions sur la chaîne d'approvisionnement du thon et, par conséquent, sur la sécurité alimentaire et l'économie du pays".

Pour Bruno Cabaleiro, l’impact est moindre. Il souligne que le marché du poisson surgelé est "dynamique, pluriel et ouvert aux alternatives" et que les prix ont connu "une tendance à la hausse" au cours des 10 dernières années. Ce serait le résultat d'une demande accrue, dit-il, plutôt que la rareté du produit. "Si une année les captures diminuent, l'année suivante le stock se reconstitue, il n'est pas surexploité".

Chapitre 5
L’Amérique du Sud, bassin du calamar

Sea Sheperd

Pour mieux se rendre compte des conséquences des prises de calamars, il faut se rendre en Amérique du Sud, là où les calamars sont principalement pêchés par les navires espagnols ou chinois.

L'année dernière, l'Argentine a exporté 75’685,8 tonnes de calamars vers la Chine, soit six fois plus que ce qu'elle a vendu à l'Espagne. Le pays exporte plus de céphalopodes que de crevettes ou de merlu, les deux autres produits vedettes de cette zone de l'Atlantique. Et il ne cesse d'augmenter ses ventes à la Chine: depuis 2018, elles ont augmenté de 73%, selon les comptes de l'Institut national des statistiques et des recensements (Indec). "Septante pour cent du calmar congelé dans le monde est traité en Chine", admet Bruno Cabaleiro.

"Une ressource toujours à la limite"

En Argentine, l’écologiste Guillermo Cañete est plus pessimiste. "Le calamar est une ressource qui est toujours à la limite, en raison de ses caractéristiques biologiques et parce qu'il est sensible aux variations environnementales", explique-t-il. Les 400 ou 500 navires qui pêchent l'illex dans les eaux argentines capturent environ 50 tonnes par jour, estime-t-il. Et ce, malgré le fait que Buenos Aires surveille la mortalité des individus de l'espèce et que, lorsque le nombre de reproducteurs tombe à 40%, la pêche est fermée. Il reconnaît qu’il est difficile d'échapper à la domination chinoise en mer.

Zhoushan et Shidao sont les principales régions d’où opèrent les armateurs chinois. Sur les 650 navires battant pavillon chinois qui ont des autorisations de pêche au calamar identifiés par A Bon Entendeur, il y a près de 75 propriétaires différents. Malgré cette diversité de ports d’attache et d’investisseurs, "la flotte asiatique se déplace de manière coordonnée: elle descend le Pacifique des Galápagos jusqu'au Pérou, puis jusqu'au Chili et enfin jusqu'en Argentine", explique Guillermo Cañete.

Grâce aux possibilités de traçage offertes par Global Fishing Watch, une organisation qui permet de suivre les activités de pêche, l’effet de meute de cette armada apparaît au grand jour sur une visualisation.

Les déplacements de navires chinois
Séquences spéciales - Publié le 31 mai 2021

Chaque point représente un navire chinois ayant une autorisation de pêche au calamar entre la période 2012-2021.

Source : Global Fishing watch, données : RTS

Duncan Copeland confirme cette tendance. "Tout au long de l'année, la flotte fait essentiellement le tour de la planète. Ils commencent dans le Pacifique Nord. Elle traverse le Pacifique et pêche au large de l'Amérique du Sud. Ils passent la frontière de l'Amérique du Sud et pêchent en Argentine".

Face à cette masse, les garde-côtes argentins ou péruviens par exemple doivent aller jusqu’à arraisonner des navires ou tirer des coups de semonce pour faire respecter les zones économiques. Ces mouvements montrent la pression exercée par la pêche sur les populations de calamars sud-américaines.

Chapitre 6
Une surveillance très difficile

Ce suivi de la pêche mondiale n’est pas la seule solution puisque les capitaines et les pêcheurs peuvent éteindre leur système de positionnement – normalement obligatoire en permanence. La pêche au calamar se fait de nuit. Les jiggers, ces navires spécialisés dans le calamar, éteignent alors le système de positionnement et seule l'empreinte lumineuse, les projecteurs avec lesquels ils pêchent, les trahit à l'œil des satellites.

Le capitaine met ce qu'il veut sur son transpondeur, il peut apparaître ou disparaître des écrans, il le fait comme il veut.

Clément Galic, cofondateur de l’entreprise française Unseenlabs

Clément et Jonathan Galic, les cofondateurs de l’entreprise française Unseenlabs basée à Rennes, ont une spécialité: la surveillance des mers par les satellites et les signaux radios. Le contrôle par les GPS est peu fiable.

"Le capitaine met ce qu'il veut sur son transpondeur, il peut apparaître ou disparaître des écrans, il le fait comme il veut. Il y a un certain nombre de cas où ceux qui veulent faire de l'activité illégale (la pêche illégale, le narcotrafic, le dégazage enfin tout ce qu'on peut imaginer) commencent par le couper. Donc ça donne une vision très partielle de l'activité réelle à la mer", détaille Clément Galic.

Contrôles par satellites

Seuls les satellites permettent ce contrôle. "Il n’y a pas d'avion, il n'y a pas de bateau, il n’y a pas d'hélicoptère, c'est loin de tout. Il faut savoir que l'optique très haute résolution des satellites permet très bien de voir une zone géographique, de voir les bateaux. On peut aller jusqu'à voir le nom du bateau", explique Clément Galic.

Les lumières des navires d'une flotte de bateaux de pêche au calmar battant pavillon chinois dans le nord de l'océan Indien. [Greenpeace - Abbie Trayler-Smith]
Les lumières des navires d'une flotte de bateaux de pêche au calmar battant pavillon chinois dans le nord de l'océan Indien. [Greenpeace - Abbie Trayler-Smith]

Les trois satellites de l’entreprise bretonne permettent de couvrir des zones de 500 kilomètres carrés, et sont plus adaptés au domaine maritime. Ils décèlent les ondes électromagnétiques émises par tout navire pour peu qu'il ait une installation électrique ou de communication à bord. La simple barque en bois d'un rameur solitaire ne sera pas repérée, alors que le voilier, le hors-bord, le chalutier ou le tanker de 400 mètres de long le seront. Cette analyse permet d'obtenir rapidement non seulement la position réelle des bateaux, mais aussi les mouvements et les routes des navires faufilant dans les zones interdites pour pêcher illégalement.

Unseenlabs vend aujourd'hui ses données principalement aux services de surveillance maritime. Son système suscite énormément d'intérêt. La preuve? Le mois dernier, la société de Rennes a réussi à lever pas moins de 20 millions d'euros pour assurer son développement.

Chapitre 7
Contrôle à terre et sur les mers

RTS

En cinquante ans de pêche industrielle, la moitié des animaux marin a disparu. Aujourd'hui, selon la FAO, 90% des stocks de poisson sont soit exploités au maximum de leur durabilité, soit surpêchés.

Operation Jodari, IUU Campaigns in Africa, prises de calamars. [Sea Shepherd]
Operation Jodari, IUU Campaigns in Africa, prises de calamars. [Sea Shepherd]

Si le calamar n’est pas régi par une organisation internationale, chaque nation peut capturer autant qu'elle veut dans les eaux internationales. La directrice de campagne d’Oceana Vanya Vulperhost ajoute: "En ce sens, c'est très dommageable pour les stocks de poissons, car tout est permis, et cela continuera jusqu'à l'effondrement des stocks".

Contrôle partiel et difficile des océans

Le contrôle sur les océans est partiel et difficile. L’autre alternative pour les protéger est d’améliorer la surveillance à terre, comme l’a fait en mai 2019 le ministère de la Santé espagnol. Il a publié une directive exigeant que toutes les importations de poisson congelé en provenance de Chine et 20% de celles en provenance de pays tiers soient accompagnées de copies de certificats de capture attestant que le produit a été "congelé, transformé ou transporté" à bord de navires approuvés par l'UE ou "manipulé, transformé ou stocké" dans une usine ou un entrepôt à terre qui figurent sur la liste des établissements autorisés à exporter vers les pays de l'UE.

La mesure était justifiée par les antécédents de non-conformité des importations chinoises, qui cumulaient à l'époque le plus grand nombre d'erreurs de certification.

Un aller retour Espagne-Chine-UE

Avec ces contrôles, le traçage jusque dans les ports s’améliore. La Chine occupe la sixième place dans le classement des importateurs de calamars congelés dans le port galicien de Vigo, seulement 2760 tonnes sur un total de 97’703 en 2019. Elle est la première destination des calamars exportés depuis Vigo. Et pas seulement pour être mangé par ses citoyens, mais aussi pour y être transformé et renvoyé sur le territoire de l'Union européenne. Les faibles coûts industriels chinois rendent ce long voyage rentable.

"La même chose se passait avec les crevettes pêchées au Groenland: elles étaient envoyées congelées en Chine dans des conteneurs, décortiquées là-bas, car c'était moins cher, puis renvoyées dans l'Union européenne dans des boîtes", explique Edelmiro Ulloa, directeur de la Coopérative des armateurs de Vigo.

Chapitre 8
Et pour le consommateur ?

Keystone

La pêche la plus durable est la pêche artisanale et la consommation de poisson frais et local. "Si la pêche se poursuit au rythme actuel, non seulement l'écosystème marin sera endommagé, mais il y aura aussi un impact sur les régions qui vivent de la pêche, comme Vigo", rappelle le porte-parole de Ecoloxistas en Acción, Raúl Cerviño. "Les pêcheurs se retrouveront sans leur principale source de revenus".

En revenant au paquet de calamar à la romaine vendu dans les supermarchés suisses, le consommateur se trouve de l'autre côté de la chaîne.

Transbordements en haute en haute mer

Avec la mondialisation du commerce de la pêche, il a perdu la trace de l'origine de ce qu'il mange. Il peut vérifier sur l’emballage le lieu d’élaboration de son produit, ce qui donne une première piste, mais la zone de pêche en est une autre. Il ne saura jamais quel navire a pêché son calamar. Parfois, la Chine est mentionnée.

"Lorsqu’elle apparaît dans la chaîne comme une étape intermédiaire, la traçabilité en pâtit", explique Vanya Vulperhost. "Les transbordements en haute mer effectués par les navires de pêche chinois mélangent les captures de différents navires sur un même cargo".

Chapitre 9
La pêche illégale et non réglementée

RTS

La pêche qui échappe aux surveillances se regroupe dans ces deux termes: illégal et non réglementé, ou IUU. C’est un terme fourre-tout très large qui présente en fait des caractéristiques très différentes.

"Pour nous, la pêche illégale est définie comme une violation de la législation sur la pêche. Cette législation peut être nationale ou faire partie d'une convention régionale plus large. La pêche non réglementée est essentiellement une pêche qui a lieu en l'absence de cadre juridique", précise Duncan Copeland.

Comme il y a beaucoup, beaucoup de navires, (...) il y a une grande variété dans ce que peut être un crime.

Duncan Copeland, directeur de Trygg Matt Tracking

C'est valable pour les zones de haute mer, où aucun cadre juridique n'a été établi pour réglementer les efforts de capture. "Comme il y a beaucoup, beaucoup de navires, il est également important de comprendre qu'il y a une grande variété dans ce que peut être un crime", détaille le directeur de Trygg Mat Tracking. "Un navire peut utiliser un maillage légèrement trop petit, tandis qu'un autre peut être activement impliqué dans toutes sortes d'activités, de la pêche sans licence à l'utilisation d'esclaves à bord, en passant par la falsification de documents. Les affaires sont donc complexes et le nombre de navires en circulation, bien sûr, rend la tâche très lourde".

Calamars pêchés traditionnellement. [Sea Shepherd - Operation Jodari, IUU Campaigns in Africa, Calamars pêchés traditionnellement.]
Operation Jodari, IUU Campaigns in Africa, Calamars pêchés traditionnellement. [Sea Shepherd - Operation Jodari, IUU Campaigns in Africa, Calamars pêchés traditionnellement.]

A ces fraudes techniques et administratives s’ajoutent "la fraude fiscale ou le blanchiment d'argent. Toutes ces choses sont donc liées. Il y a effectivement des pêcheurs illégaux qui opèrent à l'échelle mondiale", explique Vanya Vulperhost, avant de préciser: "Des syndicats criminels internationaux existent dans le domaine de la pêche illégale. Ils savent comment exploiter le système et comment gagner beaucoup d'argent dans ce commerce mondial".

Les enjeux de surveillance sont complexes et multiples. "Les navires de pêche naviguent de plus en plus souvent sous pavillons multiples. Ils sont immatriculés dans un autre pays. Il est donc difficile de déterminer qui est le véritable coupable. Est-ce le pays où le navire essaie de s’immatriculer ou le pays où se trouve le propriétaire réel?", se demande Duncan Copeland. D’autant que l’OCDE le précise: "L’absence de systèmes de sanctions dissuasifs appliqués à l’échelle mondiale continue de laisser un vide que les opérateurs illégaux peuvent exploiter".