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Milo Rau teste les limites du jeu avec des comédiens handicapés

Une scène tirée du spectacle "Les 120 jours de Sodome" de Milo Rau. [facebook.com/SchauspielhausZuerich]
Les 120 journées de Sodome / Nectar / 53 min. / le 9 février 2017
Des nazis, du sadisme, du caca, une crucifixion et des handicapés mentaux, Milo Rau teste les limites du théâtre dans "Les 120 Journées de Sodome", événement théâtral du moment à voir dès vendredi à Zurich avant Lausanne en avril.

Pour cette création théâtrale, Milo Rau, le plus politisé et le plus connu internationalement des artistes suisses du théâtre contemporain, s'inspire d'un film culte. Un film également choc, voire insoutenable: "Salò ou les 120 journées de Sodome" de Pier Paolo Pasolini. Il s'agit du dernier film du cinéaste italien, assassiné peu après le tournage en 1975.

Pasolini avait transposé dans les derniers jours de la barbarie fasciste l'univers sado-maso d'un roman du Marquis de Sade écrit en 1785. Au cinéma, cette histoire se passe dans le village de Salò, au bord du lac de Garde. Ce lieu bucolique a été l’ultime refuge du gouvernement fasciste italien entre 1943 et 1945.

Les sévices de quatre bourreaux fascistes

"Les 120 journées de Sodome" est une descente aux enfers. Avec une série de sévices sexuels, de scatologie et de torture infligés par quatre bourreaux de l'élite fasciste au pouvoir sur un groupe de jeunes gens raflés dans les villages alentour.

Dans sa création théâtrale, Milo Rau cite abondamment le film, mais le dramaturge y ajoute des dialogues et des réflexions sur la violence de cette oeuvre, des rappels de notre histoire et de nos liens au nazisme, des réflexions sur les responsabilités de notre société vis-à-vis de massacres et de génocides contemporains et enfin de notre regard sur les handicapés mentaux. La pièce comprend aussi une Sainte Scène de même qu'une reproduction de la Crucifixion du Christ, deux thèmes religieux qui avaient également été filmés par Pasolini dans "L'Évangile selon Saint-Mathieu".

Des comédiens handicapés mentaux

Les "120 Journées de Sodome" sont interprétées par quatre comédiens de l'ensemble du Schauspielhaus et par onze comédiens professionnels souffrant de la trisomie 21 du Théâtre Hora. Une troupe qui a reçu l'an passé le prix suisse du théâtre, tout comme Milo Rau, également lauréat de ce prix national.

Thierry Sartoretti/ld

"Les 120 Journées de Sodome", Schauspielhaus, Zurich, jusqu'au 12 mars; Théâtre de l'Arsenic, Lausanne, les 1 et 2 avril dans le cadre du Festival Programme commun.

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Un théâtre résolument politique

Milo Rau tisse également des liens avec des sujets politiques récurrents dans son œuvre théâtrale. Une œuvre acclamée sur les scènes mondiales. Pour mémoire: "Hate Radio" traite du génocide rwandais en recréant la station radio des massacreurs. La pièce a été jouée en Europe, mais aussi au Rwanda. "Le procès des Pussy Riots" fut joué à Moscou et vaut au metteur en scène une interdiction d'entrée en Russie. "Empire" raconte les massacres en République démocratique du Congo, le flux des migrants aux frontières de l'Europe et les limites de notre compassion. Et sa trilogie "Civil Wars", "Dark Ages" et "Empire" dresse une sorte de portrait psychologique de l'Europe à travers les souvenirs personnels d'une douzaine de comédiens venus d’ex-Yougoslavie, des banlieues françaises, de Syrie, d'Irak, etc.

Récemment, "Five Easy Pieces" racontait l'affaire du pédophile Dutroux à travers le regard et les réflexions de jeunes comédiens flamands. Ces spectacles ont valu à leur auteur nombre de récompenses internationales pour un théâtre documentaire et très politique.