Z'avez pas vu passer Mirna? En tout cas sa maman, elle, n'a pas vu passer le temps. Voici la crise de la quarantaine qui s'annonce avec des fourmis dans les jambes et au moral. Faut-il illico changer complètement de vie avant qu'il ne soit trop tard? Par exemple partir dans une grande maison à la campagne avec les copines qui sont toutes dans la même situation pour des raisons diverses: maman seule élevant un ou plusieurs enfants. Allez, on se bouge! Sauf qu'il y a Mirna. Et que Mirna a peut-être un autre avis sur la question.
Texte de théâtre acide et caustique à souhait, "Et soudain Mirna" porte la signature de Sibylle Berg, fine plume des lettres germaniques résidant entre Zurich et Tel-Aviv selon son humeur, laquelle est généralement ironique et prompte à se jeter dans une nouvelle polémique sociétale ou culturelle. Au Poche de Genève, temple de l'écriture contemporaine, voici donc son "Und dann kam Mirna" traduit et joué pour la première fois en français grâce au duo Camille Logoz (traductrice) et Nicole Seiler (chorégraphe et metteuse en scène pour l'occasion).
La petite et la grande
Dans "Et soudain Mirna", mère et fille se ressemblent forcément un peu, s'opposent évidemment et ce n'est pas toujours la plus âgée la plus sensée ou la plus réfléchie. Avec une maman qui pratique en toute illégalité les injections de botox à domicile pour arrondir ses fins de mois et s'avère incapable de faire les cartons du déménagement tant elle semble sur les nerfs en se demandant si désormais elle est devenue vieille, pas étonnant que Mirna reprenne souvent la main et pousse des soupirs en mode "ça me saoule".
Histoire d'ajouter un brin de confusion dans ces rapports hiérarchiques déjà bousculés, Mirna s'appelle simplement "la petite personne" et sa génitrice "la grande personne". Une affaire de taille plutôt que d'âge.
Des airs de thérapie familiale
Au milieu des tapis roulés, du matériel en vrac et des chaises pliantes, voici les comédiennes Lucie Zelger (la grande) et Bénédicte Amsler Denogent (la petite). Ça balance des punchlines, ça se frite avec humour, amour et parfois ça danse. Invitez une chorégraphe à créer du théâtre, il y aura de toute évidence du mouvement.
La petite et la grande se jaugent, esquissent un pas qui ressemble à une foulée de boxeur ou des ruses de matador. Gestuelles presque identiques. Tout est dans le presque. On se ressemble, on s'assemble, on ne cesse d'essayer de se distinguer tout en continuant à se ressembler. "Va-t-elle hériter de mon goût impeccable en musique?", se demande la grande qui ajoute aussitôt, lucide: "Va-t-elle hériter de moi tout court et est-ce bien souhaitable?".
Au Poche de Genève, "Et soudain Mirna" a des petits airs de thérapie pour couple mère-fille. On y rit tout en se disant que l'on n'a pas fini d'épuiser la question. Quant aux hommes, relégués dans les coulisses du texte au rang de père dépassé ou de donneur de sperme, ils sont invisibles dans cette production 100% féminine et malicieuse à souhait. Côté public, ces messieurs auraient tort de se priver.
Thierry Sartoretti/ld
"Et soudain Mirna", théâtre Le Poche, Genève, du 4 mars au 5 mai 2024, en alternance avec d'autres pièces.