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En finir avec le metteur en scène polonais Krystian Lupa

Le metteur en scène polonais Krystian Lupa à Varsovie, le 9 novembre 2017. [AFP - Mateusz Wlodarczyk/NurPhoto]
Le metteur en scène polonais Krystian Lupa à Varsovie, le 9 novembre 2017. - [AFP - Mateusz Wlodarczyk/NurPhoto]
Faut-il souffrir pour créer? La réponse est individuelle et appartient à chaque artiste. Faut-il faire souffrir autrui pour créer? Non. C'est ce qu'estime dans ce commentaire le journaliste Thierry Sartoretti, spécialiste des arts de la scène pour la RTS, suite à la décision de la Comédie de Genève d'annuler "Les Emigrants" de Krystian Lupa.

En théâtre, comme dans le monde de l’opéra, de la musique classique, du cinéma voir du rock, l’acte de création est collectif. Il implique l’artiste entouré d’une communauté allant des interprètes à un large éventail de professions techniques.

Les conditions de travail peuvent être intenses, chargées, porteuses de conflits. Toutefois rien, surtout pas l’art, ne justifie des comportements engendrant la souffrance. En particulier lorsque cet art, en l’espèce le théâtre, se veut critique de la condition humaine et des déracinements comme c’est le cas dans ce spectacle avorté, "Les Emigrants", mis en scène par Krystian Lupa.

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Le gâchis de ce spectacle annulé tant à la Comédie de Genève qu’au Festival d’Avignon ne saurait être imputé à la fragilité d’une direction de théâtre ou d’une équipe technique qui ne serait pas à la hauteur des exigences d’un maître omnipotent. Une renommée culturelle, une longue carrière internationale, ne signifie pas impunité quant aux comportements inadéquats.

Comportements injustifiés

Une exigence artistique extrême ne justifie en rien des comportements contraires aux valeurs de travail, en particulier lorsque ces dernières figurent dans un contrat dûment signé (la charte de la Comédie) avant de se lancer dans cette aventure créatrice.

L’art a toute sa place sur scène. En coulisses, il s’agit aussi de l’accorder au monde actuel du travail. Repousser une date de première s’est déjà vu. Maltraiter ou épuiser des collaboratrices et collaborateurs ne devrait plus exister dans le théâtre d’aujourd’hui, en particulier dans un secteur de la culture largement subventionné par les pouvoirs publics lesquels ont un devoir d’exemplarité.

Décision courageuse

Tout en comprenant la frustration des interprètes lancés dans une aventure hors du commun sur des scènes prestigieuses, du metteur en scène stoppé en pleine création et des publics qui se réjouissaient de découvrir une œuvre ambitieuse, il faut saluer la décision courageuse et médiatiquement difficile à assumer d’annuler un spectacle aussi attendu.

Et rappeler qu’il est grand temps d’abandonner un mythe de l’abandon total, de la douleur ou du sacrifice au nom de l’art tel que célébré dans un film comme "Les amandiers" de la cinéaste française Valeria Bruni Tedeschi (l’histoire d’une école de théâtre) ou glorifié dans le dernier spectacle de la comédienne espagnole Angélica Liddell, laquelle fustige les revendications des acteurs et actrices du secteur culturel à l’ère post #MeToo.

Faire souffrir ou sacrifier pour l’art ne le rend ni meilleur ni plus indispensable qu’une création née dans un esprit de collaboration, d’écoute et de respect mutuel.

Thierry Sartoretti/olhor

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