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"Une maison de poupée", classique théâtral de l’émancipation

"Une maison de poupée", spectacle joué au Théâtre de Carouge. [Théâtre de Carouge - Carole Parodi]
Une maison de poupée / Vertigo / 5 min. / le 4 mai 2023
Au Théâtre de Carouge jusqu’au 14 mai puis en tournée romande, "Une maison de poupée" d’Henrik Ibsen est mise en scène par Anne Schwaller dans un registre clair et intemporel. Adieu mari et enfants, l’épouse Nora reprend sa liberté.

Tout va bien. Torvald l’a décidé. Homme de principes et de certitudes, ce futur directeur de banque avance dans l’existence comme un brise-glace au large des Lofoten. Carrière, famille, maison, fortune, tempérance, un vrai bonheur bourgeois dans lequel son épouse Nora possède un rôle situé entre l’animal de compagnie, la potiche ou le trophée. Cette belle illusion va exploser dans cette "Maison de poupée".

La poupée, c’est bien sûr Nora à qui personne n’a jamais demandé son avis, surtout pas Torvald qui l’appelle son alouette ou son écureuil, de doux noms pour mieux l’inférioriser. Nora dépense les petites sommes attribuées par Torvald qui lui interdit par ailleurs la consommation de petits gâteaux. Il s’agit de garder la ligne en toute circonstance.

Un mensonge mène au chaos moral

Un jour pourtant, Nora prend une décision à l’insu du rigide Torvald. Cet acte imprudent, commis pour une bonne cause, lui vaut un premier mensonge, avant de la plonger dans un chaos moral et finalement la mener à son émancipation. Nora décide d’abandonner son mari et ses enfants.

En 1879, cette pièce norvégienne signée Henrik Ibsen provoque un scandale retentissant. Aujourd’hui, elle est un classique du théâtre, mis en scène par Anne Schwaller, la nouvelle directrice du Théâtre des Osses à Givisiez (FR).

"Une maison de poupée", une pièce féministe avant l’heure écrite par un dramaturge masculin du XIXe siècle? Ibsen observe la bourgeoisie de son époque, analyse les rapports de pouvoir au sein du couple, mais s’abstient d’un jugement moral. Lorsqu’elle quitte son Torvald, Nora n’est pas une militante. Plutôt une femme devenue point d’interrogation. Elle doute de tout, même de sa foi et exige de la distance pour trouver sa place, quitte à plonger dans la précarité.

Frivole, fragile, explosive

Le jeu de la comédienne Marie Fontannaz évolue sur un fil de funambule. Il lui faut tour à tour être frivole, fragile, perdue, explosive et finalement froidement déterminée. Torvald, alias Julien George, est tout en maîtrise et contrôle jusqu’à l’effondrement final. Aime-t-il Nora? "Vous avez seulement trouvé amusant d’être en adoration devant moi", lui rétorque sa femme.

Naguère drame absolu, "Une maison de poupée" déclenche aujourd’hui des rires dans le public du Théâtre de Carouge. Ce qui était certitude au temps d’Ibsen et devenu ridicule à l’aune de #MeToo. "Ma chérie, je m’occuperai de ton éducation", balance un Torvald persuadé de sa supérieure toute puissance.

Le couple Helmer peut compter sur sa brave nourrice Anne-Marie (la comédienne Véronique Mermoud, sage-femme s’il en est dans ce spectacle), d’abord au service de Nora, puis à celui de ses chères têtes blondes. Elle aussi a dû abandonner un jour ses enfants pour trouver cette place de nourrice. Une question de survie que l’ordre bourgeois trouvait (trouve encore?) parfaitement conforme et acceptable.

Deux splendides seconds rôles

Classique, volontairement intemporelle, entre un XIXe siècle imaginaire et des musiques symboliques puisées dans le répertoire du XXe siècle (Callas, Rita Hayworth, Nina Hagen et Sam Cooke), "Une maison de poupée" file sans jamais lasser en 2h15. Elle révèle aussi deux splendides seconds rôles. L’avocat déchu Krogstad incarné par un Yves Jenny sosie de Lénine. Et la veuve Kristine, copine de Nora et possible modèle d’indépendance et de liberté.

Un choix de mise en scène peut toutefois surprendre. Interprété par Jean-Pierre Gos, l’ami d’enfance du mari qui rêverait d’être l’amant de sa femme a largement le double de l’âge de Nora. Une incarnation du patriarcat d’un autre siècle ou un clin d’œil au sugar daddy de notre époque?

Thierry Sartoretti/sc

"Une maison de poupée", Théâtre de Carouge, jusqu’au 14 mai; Nuithonie, Villars-sur-Glâne, du 17 au 21 mai;  Théâtre du Jura, Delémont, le 23 mai; Le Reflet, Vevey, le 25 mai.

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